Calais: L’État patauge, les exilés continuent leur lutte

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Hier vendredi, les exilés occupant le lieu de distribution des repas se mettaient d’accord sur leurs revendications et les faisaient parvenir au préfet et aux médias (voir ici). Au départ, le préfet considère que le délais de 48h heures qu’il leur avait laissé pour quitter les lieux est écoulé, et refuse tout dialogue. Puis, voyant qu’ils sont déterminés à rester rendez-vous est pris ce matin avec le directeur départemental de la cohésion sociale, bientôt rejoint par le sous-préfet.

La proposition qui est faite aux exilés est qu’un second rendez-vous est prévu mardi prochain à condition que d’ici-là ils s’installent dans un autre endroit et quittent le lieu de distribution des repas. Il semble qu’une réunion soit prévue lundi matin au ministère de l’intérieur à propos de la situation des exilés à Calais, la rencontre de mardi sera donc conditionnée aux décisions prises lundi. La proposition de continuer le dialogue dans un autre lieues est assortie de menaces : si les exilés ne partent pas d’eux-mêmes du lieu de distribution des repas ce week-end, ils en seront expulsés par la force, arrêtés et renvoyés dans leur pays. Se pose bien entendu la question d’où aller, l’idée se glisse dans la conversation de l’ancien camping municipal. L’État est devant sa contradiction de demander aux gens de quitter un lieu pour s’installer dans un autre sans autorisation alors qu’il est forcément la propriété de quelqu’un. Le site de l’ancien camping est propriété de la ville de Calais.

Les exilés sont divisés sur le point de partir du lieu de distribution des repas ou pas. Des discussions ont lieu dans l’après-midi et au début de la soirée. Finalement, pour préserver l’unité du groupe, tout le monde accepte de suivre l’opinion majoritaire de partir. Un peu après 20h, cent cinquante personnes sont dans la rue de Moscou, leur baluchon sur l’épaule, les autres sont dans le lieu de distribution en train de plier leurs affaires, des délégués des différentes communautés sont à l’ancien camping pour préparer l’installation… lorsque la police arrive et leur dit de dégager. Les médias sont là et ont suivi l’ensemble du processus. Retour au lieu de distribution. La préfecture devant son propre chaos concède que les exilés y restent jusqu’à mardi, jour de reprise des négociations, sans être embêtés par la police.

Sauf que les exilés qui étaient divisés sur l’opportunité de partir ou non se retrouvent soudés devant l’adversité, et c’est la fête toutes communautés confondues, les gens chantent, dansent, s’embrassent. Ces gens dont les langues et les cultures n’ont rien à voir, de l’Éthiopie à l’Afghanistan, de la Roumanie à la Syrie, se retrouvant dans une situation improbable à Calais ont su construire des liens de solidarités. Si les expulsions de mercredi dernier s’étaient passées comme d’habitude ces personnes seraient de jour en jour à se cacher dans les buissons le soir pour être délogées par la police au petit matin, à errer de jour en jour et de lieu en lieu le manque de sommeil chevillé au corps et les marques des coups reçus imprimée sur les membres. Au lieu de ça, cette fois-ci elles ont choisi d’affirmer leur dignité dans la lutte. Et cette dignité ni les violences policières ni les trahisons de l’État ne pourront l’effacer.

En face cet épisode suit deux semaines pendant lesquelles l’administration a étalé son incompétence et ses incohérences devant les médias. Pour nous il est devenu normal qu’un représentant de l’État mente comme un arracheur de dents. Mais pour quelqu’un qui vient d’une culture base sur le respect de la parole donnée c’est choquant. Et les incohérences de ce samedi ne faciliteront pas la suite du dialogue.

Ce samedi après-midi également, un rassemblement de protestation contre les expulsions et de soutien à la lutte des exilés pour un accueil digne, quelques centaines de personnes, prise de parole, musique et danses.

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Manifestation l’après-midi.

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Les exilés quittent le lieu de distribution des repas en signe de conciliation, et y reviennent bloqués par la police. Ils tiennent leur parole, l’État non.

[Publié le 1er juin 2014 sur le blog Passeurs d’hospitalités]