Paris: quatre ans après, le bizness du Château Pirate continue…

En novembre 2010, un squat d’artistes a été ouvert à Paris, au 40 rue René Boulanger, dans le Xe arrondissement, près de la place de la République. Nommé Château Pirate ou Château Albat’art, ce squat a été expulsé quelques mois plus tard, le 31 mai 2011. Une expulsion «à la cool», comme le dit un article paru le jour-même sur le site branchouille StreetPress puisque les artistes ont gentiment donné les clés au proprio, à l’époque la mutuelle d’assurance Groupama (une entreprise «à la cool», pas de doute). L’ex-squat a été muré illico-presto, sans aucune contestation, tranquillou.

Entre-temps, il s’est passé des choses assez banales (ateliers, teufs et autres machins d’artistes), et d’autres bien plus môches (bizness artistouille permanent et expo d’artistes conspis et/ou fafs en février 2011, cf. l’article ci-dessous qui avait à l’époque été publié sur Indymedia-Paris)…

Mais pourquoi reparler de tout ça maintenant ?

Hé bien parce que le bizness du Chateau Pirate continue à sa manière !

Alors que l’immeuble est en chantier pour être transformé en hôtel de luxe 5 étoiles, un des artistes ayant décoré le squat à l’époque s’est compromis (si l’on peut dire, parce que vu leur politique d’il y a quatre ans, ça n’a rien d’incohérent) avec la bande à haute-bourgeoisie, marché de l’art et charity-business.

Le 5 février 2015, une douzaine de fenêtres de l’immeuble, peintes par l’artiste Kouka lorsque le bâtiment était squatté, ont été vendues entre 3 000 et 5 000 euros pièce, à des amateurs d’art, parmi lesquels le journaliste Patrick Poivre d’Arvor ou le promoteur immobilier Jérôme Dauchez. Le tout a rapporté 46 OOO euros, sous la houlette du promoteur immobilier Pitch Promotion et du commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr, qui a orchestré la vente aux enchères sur les lieux-mêmes de l’ex-squat. Mais rassurez-vous, c’est pour la “bonne cause” !

Déjà, le promoteur Christian Terrassoux, président de Pitch Promotion, déclare au Figaro: «en transformant cet ancien immeuble de bureaux en un hôtel Marriott Renaissance, j’ai décidé de donner une seconde vie à certains des guerriers bantous peints par Kouka sur les fenêtres de l’immeuble». Trop sympa, trop cool le promoteur !

Mais surtout, l’argent dégagé de cette vente n’ira (a priori) pas dans ses poches, ni même dans celle de Kouka, puisque toujours selon Christian Terrassoux, «le produit de cette vente sera entièrement reversé à deux fondations que je soutiens depuis longtemps, la Fondation Chirac et l’AMREF Flying Doctors», des petites fondations en galère (rires).

Le bizness de l’art a plusieurs visages, il peut prendre celui du squat et pas longtemps après prendre celui de la charité institutionnelle…

[Sources: Le Figaro | France 3 | L’Obs.]


Squat du Château Pirate : quand la société du spectacle fricote avec les conspirationnistes et l’extrême droite
Samedi 26 février 2011 | Indymedia-Paris

Le squat du « Château Pirate » (connu aussi sous le nom de « Château Albatart »), qui a ouvert il y a environ un mois à deux pas de République, a organisé des « portes ouvertes » ce week-end. L’occasion de découvrir un lieu étrange, qui n’a de « squat » que le nom et le statut juridique. Car en ce qui concerne l’état d’esprit, ce n’est pas ça : tout est fait pour inciter le chaland à la dépense. Et, beaucoup plus grave : certains des artistes exposés sont connus pour faire de la propagande conspirationniste et fasciste.

Première étrangeté : les « portes ouvertes » se font « sur donation ». Et la « donation » est très fortement incitée : un chien de garde à l’entrée, qui se proclame « maître des lieux » [1] (un squat avec un « maître » a-t-on déjà vu ça ? [2]) se charge de harceler les récalcitrants. Une fois à l’intérieur, le sentiment de malaise se prolonge. Pas un coin n’est épargné par la « branlette intellectuelle » : outre la « musique » industrielle qui mixe des sons stridents dans la première salle, les « créations » médiocres et formatées se suivent et se ressemblent.

L’espace est envahi par la marchandisation : pas une toile ou une pièce artisanale en dessous de 10 euros. Comme dans les vraies boutiques, bijoux, t-shirts et sweats sont estampillés « made in squatt », sorte de marque déposée ou de « Label rouge » destiné à créer une valeur ajoutée pour des produits ainsi certifiés « authentiques ». Et comme dans toutes les bonnes enseignes, on fait des promos pour les meilleurs consommateurs (…).

Mais le pire reste à découvrir. Ce lieu semble être un lieu de rendez-vous idéal pour les militants de mouvements très douteux. Première alerte au bar, où le nom du mouvement new age et technoscientiste Zeitgeist [3] occupe une bonne place.

On savait que par le passé, ce mouvement fumeux avait déjà tenté d’infiltrer les squats Macaq, sans grand succès heureusement [4]. Il semble que du côté de Château Pirate, Zeitgeist n’ait aucun problème pour diffuser sa propagande.

Cependant, le pot-aux-roses se trouve à l’étage supérieur. Là, c’est le meilleur du pire des « artistes » conspirationnistes, voire purement et simplement fafs, qui exposent :

– Le dénommé Arkidinon (ou « Art qui dit non »), tout d’abord. Ce jeune graphiste s’est fait remarquer en octobre dernier en organisant un « festival Art qui dit non » à La Petite Rockette, en ouverture duquel était programmée une conférence du souverainiste de droite François Asselineau. Président du groupuscule Union Populaire Républicaine (UPR), ce dernier est un invité régulier de Radio Courtoisie, Radio Notre Dame ou Radio Ici et Maintenant, qui n’a pas hésité quelques mois plus tôt à donner une conférence au Local de Serge Ayoub, le rendez-vous des identitaires parisiens (…).

Outre le nom de François Asselineau, on reconnaît sur [un] dessin ceux de Pierre Jovanovic (animateur de la radio Ici et Maintenant, connu pour ses positions réactionnaires et conspirationnistes), Michel Collon, Seb Musset (blogueur à l’ego démesuré, ex-soralien dont on se demande s’il a bien rompu avec ses premières amours politiques), Johan Livernette (« intellectuel » soralien et conspirationniste), Pierre Hillard (grand théoricien francophone du concept fumeux de « Nouvel ordre mondial », lui aussi intervenant régulier sur Radio Courtoisie et sur le site conspirationniste d’extrême droite Mecanopolis), Annie Lacroix-Riz (intellectuelle stalinienne qui donne des cours aux larouchistes, responsable du PRCF et proche du Comité Valmy, deux mouvements qui fricotent régulièrement avec les souverainistes de droite).

Comme d’habitude chez les conspis, ces noms sont mêlés, pour faire bonne mesure, à ceux d’intellectuels de gauche proches de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « altermondialisme », et qui n’ont rien demandé à personne concernant ce fâcheux voisinage : Noam Chomsky, Naomi Klein, Serge Halimi, Daniel Mermet [5].

– Le dénommé Zéon, ensuite. Celui-là est encore plus malin, puisqu’il n’a exposé au Château Pirate que ses toiles les plus « soft », si l’on peut dire : un bébé Besancenot jouant dans un bac à sable sous l’œil attendri du médiacrate Jacques Attali, ou encore un Hugo Chavez se torchant les fesses avec le drapeau américain (et aussi, mais c’est plus discret, israëlien).

Car pour le reste, Zéon est un véritable propagandiste fasciste : il a ainsi conçu une affiche de promotion pour le dernier livre d’Alain Soral et fait ouvertement sur son site de la propagande pour Dieudonné et le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme de Kémi Séba (…).

Nos deux compères, qui exposaient côte-à-côte, étaient aussi accompagnés d’un dénommé Jinks Kunst Stencil, qui a en son temps fait la promo de la venue d’Asselineau à La Petite Rockette sur son site (…). Enfin, par un hasard heureux, le porteur d’un sweat « Militantvibes.com » se trouvait non loin. Il s’agissait sans doute d’un des animateurs de ce site, qui fait la promotion de… Zeitgeist et Arkidinon !

Si on ajoute à tout cela la présence dans les lieux d’une salle de massages « ayurvédiques », « shiatsu » ou « sensoriels » ; celle au quatrième étage d’un « espace de recherche universitaire et alternactive » accueillant des sociologues et anthropologues venus de Sciences-Po, de Paris I ou du CNRS ; ou encore celle, toujours au quatrième, d’un hacker center, on obtient un bien curieux mélange dans lequel critique apparente du capitalisme et pratique outrancière du même capitalisme se mêlent à des délires mystiques pour le moins douteux.

Le Château Pirate : un « squat » à fuir absolument !

Marie-Anne Boutoleau

Notes:
[1] Plus tard, légèrement bousculé dans un mouvement de foule, ce vil personnage s’exclamera avec agressivité à l’adresse de la personne fautive : « Hé là ! On ne me bouscule pas, je suis le maître des lieux ! »
[2] Oui, à la Petite Rockette, autre squat d’« artistes », qui est géré, semble-t-il, par un « propriétaire ».
[3] Dont il a déjà été question sur Indy-Paris et dans CQFD.
[4] Ils ont quand même pu y faire une séance de projection, comme l’indique ce témoignage dépité d’un militant de Zeitgeist (lien désactivé) : mouvement-zeitgeist.fr/index.php?option=com_kunena&func=view&catid=118&id=13232&Itemid=345#13252
[5] Deux des noms cités restent à éclaircir : « Leap2020 », qui a l’air d’être un think tank européiste libéral et « Jacques Powell », dont aucune trace n’a pu être relevée sur le Net.