Québec: Occupation illimitée d’une maison vide

17 mai 2002

Depuis 18h environ, une maison vide de l’îlot Berthelot dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, à Québec, est occupée pour dénoncer la crise du logement. Cette action directe s’inscrit dans le cadre d’une semaine nationale d’occupation (infos: http://www.frapru.qc.ca).Les occupantEs ont profité d’une manifestation d’appui de 200 à 300 personnes pour entrer dans la maison barricadée en déjouant les flics. L’action était organisée par le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste. Voici le texte du tract diffusé pour expliquer pourquoi occuper cette maison en particulier, suivi de celui diffusé dans les boîtes à lettres des résidentEs des environs.

L’ILOT BERTHELOT, POINT FORT DE LA RÉSISTANCE URBAINE

Depuis 1970, l’îlot Berthelot sert d’avant-poste pour le Faubourg Saint-Jean-Baptiste face à l’envahissement des édifices de la Colline parlementaire et des hôtels de l’industrie touristique. Plusieurs projets de gratte-ciels destinés à occuper l’îlot se sont butés à une résistance populaire éclairée et bien organisée.

D’abord en 1972, celle des locataires des six maisons miraculeusement oubliées par les bulldozers de la ” Rénovation urbaine ” du Maire Lamontagne. Puis, à partir de 1976, celle du Mouvement Saint-Gabriel et enfin celle du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, depuis 1982. Holiday-Inn, Atlific, Urdev, Fortin, plusieurs syndics et compagnies à numéros se sont succédés comme propriétaires des terrains et des maisons de l’îlot avec l’intention de les démolir dans le but de spéculer et avec l’espoir de construire en hauteur. Face à une solidarité locale sans faille, ils ont chacun leur tour – et dans la plus grande discrétion – refilé leurs droits de propriété à un congénère qui se croyait plus fin. À chaque transaction, le prix montait et en 1990, l’Ilot Berthelot devenait le terrain le plus cher en ville.

À partir de 1991, la donne change. Le Comité populaire s’installe rue de la Chevrotière, au coeur même de l’îlot. Il réclame la rénovation des maisons existantes, leur prise en charge par une coopérative d’habitation et une densification résidentielle des terrains vacants. Rien ne bouge jusqu’en 1992 alors que s’ouvre un débat à propos d’une subvention de 150 millions pour la construction d’un nouveau Centre des congrès dans le voisinage. Le Comité pop considère qu’il s’agit là d’un cadeau à l’industrie touristique et il réclame à son tour 150 millions pour le développement du logement social au centre-ville et, en particulier, à l’îlot Berthelot. Puisque la construction du Centre des congrès avance et pour sauver la face, la Ville achète l’îlot en 1994 pour un million et rénove quatre des six maisons. Les deux maisons les plus au sud – les 916 et 921, De La Chevrotière – sont abadonnées et on propose éventuellement de les détruire parce qu’elles ne correspondent pas aux normes de la Commission de la Capitale Nationale qui entend voir une façade prestigieuse s’élever le long de la rive-nord du boulevard René-Lévesque.

Si on se reporte à la demande initiale de 1994, le compte est aujourd’hui de 150 à 1 en faveur de l’industrie touristique sur le logement social. Pas surprenant qu’il n’y ait pas de crise dans le domaine du logement pour touriste…

Pendant ce temps, beaucoup trop de résidentEs de Saint-Jean-Baptiste se retrouvent obliger de quitter leur quartier parce que les quelques loyers restants sont hors de prix, parce qu’on les a évincéEs pour ” loger quelqu’un de la famille ” (entendre ” pour transformer en logement de luxe plus rentable “), parce que leurs enfants jouent, rient et pleurent comme tous les enfants, parce que des proprios refusent les gens sur l’aide sociale, parce que leur peau n’est pas assez blanche, etc.

En ce moment même, qu’est-ce que la Ville de Québec, en complicité avec la Commission de la capitale nationale, veut faire des espaces restant de l’ilôt Berthelot ? Elle attend la ” meilleure ” offre d’un promoteur privé pour un projet (grassement subventionné, il va sans dire) qui, selon toutes les informations reçues jusqu’ici, devrait mettre sur le marché plusieurs unités de condos à 100 000 $ et plus… Donc, un autre projet de développement de condos favorisant grandement la gentrification du quartier qui sera peut-être saupoudré d’un peu de logement social, la façon habituelle de la Ville de Québec pour nous faire avaler ses méchantes pilules ! Se laissera-t-on avoir encore une fois ?

Contre la crise du logement et la gentrification : Reprenons nos quartiers !

Lettres au voisinage

Depuis quelques temps, la crise du logement fait la une de tout les médias. Subitement, on semble se rendre compte qu’il y a pénurie de logement. Dans les hautes sphères de notre société, on s’en dit bien désolé mais les solutions tardent. Quand on daigne examiner le problème du côté des pouvoirs politiques, les réponses évoquées ne sont toujours que du trop peu, trop tard. Pendant ce temps, des milliers de ménages se retrouvent dans des logements inadéquats, trop petits, trop chers, nécessitant souvent des travaux majeurs (c’est le cas de plus de 10% des logements du quartier Saint-Jean-Baptiste), ou même, encore pire, à la rue.

Personne ne pourrait nier le fait que tous et toutes avons besoin d’un toît sur la tête, d’un logement stable et sécuritaire. Le logement est un besoin essentiel. Et pourtant, la société capitaliste dans laquelle nous vivons le réduit à l’état de simple marchandise, laissée au jeu de l’offre et de la demande, manipulée par quelques grands propriétaires. Plus question alors de parler des besoins normaux, et même vitaux, de chacunE, tout ce qui importe c’est le profit d’une minorité.

CertainEs, de plus en plus, disent pourtant NON à cette situation. Depuis plusieurs mois, un peu partout au Québec, les groupes membres du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) mènent une campagne contre la crise du logement et la logique capitaliste qui la sous-tend. Dans la dernière semaine, cette campagne a mené plusieurs d’entre eux à poser des actions directes en vue d’obtenir que le gouvernement du Québec construisent 8 000 logements sociaux par année (loin d’être utopique, ce nombre correspond à peu près à celui de la fin des années 1980) afin de conserver un minimum d’équilibre au niveau de la location des logements et de pallier à la crise.

Près de chez-vous, le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, qui est membre du FRAPRU, milite sur la question du logement depuis plus de 25 ans. C’est notamment grâce aux luttes de ses membres qu’on a su freiner la transformation de la rue St-Gabriel en boulevard, qu’on a empêché les tours d’envahir jusqu’à l’Ilôt Berthelot, qu’on a pu limiter quelque peu la spéculation sur les terrains et ralentir la gentrification du dernier quartier “populaire” de la haute ville de Québec.

Devant l’insuffisance des solutions proposées par les différents paliers de gouvernement à la crise du logement qui sévit, les membres du Com. pop. ont cette fois décidé d’occuper un édifice abandonné du quartier. Pendant que des milliers de personnes se retrouvent dans des habitations inadéquates, nous trouvons innaceptable que des bâtiments soient laissés vides.

Nous occupons ce bâtiment afin d’obtenir 1- sa transformation en logements sociaux; 2- que le gouvernement québécois construisent 8 000 logements sociaux par année; 3- que la ville de Québec, à l’instar de ce qui se fait déjà à Montréal, établisse un moratoire sur la transformation de logement en condo tant que le taux d’inoccupation des logements demeurent inférieur à 3% (chiffre où l’on situe généralement “l’équilibre” du marché locatif) et 4- que les populations aient, à plus ou moins long terme, un plus grand contrôle sur leur logement, leur quartier, bref, leur environnement immédiat et leur vie.

Par cette action directe, nous souhaitons transformer un immeuble inhabité en lieu accueillant et inspirant. Nous entendons ainsi contribuer à l’amélioration de la qualité de vie de notre quartier et vous invitons à faire de même. Prenez le temps de venir nous voir, de discuter avec nous ou même de nous apporter une couverture ou un pot de beurre de peanut! Laissez libre cours à votre imagination…et habitons notre quartier.

Pour plus d’information, vous pouvez nous rejoindre, sur les lieux de l’occupation à deux pas de chez-vous ou encore aux coordonnées suivantes: Comité populaire Saint-Jean Baptiste, 490, rue Saint-Jean. Tél.: 522-0454. E-mail:compop [at] qc [point] aira [point] com

Encadré

Selon François Saillant, le coordonnateur du FRAPRU, la crise du logement “est hot pour le moment et intéresse encore les médias mais tout cela sera banal dans deux ans si on ne fait rien. […] À Toronto, un sans-abri meurt à chaque semaine, Si cela suscitait bien de l’émoi il y a quelques années, la plupart des gens considèrent aujourd’hui cette situation tout à fait normal. Déjà qu’une grande majorité considère comme “tout à fait normal” que les loyers dans Saint-Jean-Baptiste soient beaucoup plus élevés pour des logements de qualité similiaire […]. Il faudrait réagir avant qu’il ne devienne “tout à fait normal” que seuls les bourgeoisEs puissent habiter notre quartier. L’Infobourg, vol. 15, no 5, mai 2002, p. 3.

“Nicolas Phébus” <nicolasphebus [at] yahoo [point] com>