Laghouat (Algérie): Vivre parmi les scorpions dans le bidonville de Hassi R’mel…

Nouvel exemple de la guerre de classe en Algérie, avec cet article publié dans la presse mainstream algérienne:

Vivre parmi les scorpions dans le bidonville de Hassi R’mel
Mustapha Benfodil (El Watan) – 22 septembre 2012

A Hassi R’mel, «on devrait marcher sur du marbre», lance un jeune cadre en poste dans la région. Plus grand gisement gazier d’Afrique, Hassi R’mel, à 130 km au sud-est de Laghouat et 530 km au sud d’Alger, est, en effet, l’une des communes les plus riches du pays. Et pourtant, dès l’entrée, c’est un véritable choc esthétique qui frappe le visiteur.

L’une des choses qui retiennent l’attention d’emblée, c’est l’ampleur des bidonvilles qui s’étendent à la périphérie. Une véritable plaie purulente, avec des conditions de vie des plus cruelles qui jurent avec l’opulence supposée de cette circonscription aux généreuses recettes fiscales. Des baraques à perte de vue, érigées avec des matériaux de fortune et ouvertes aux quatre vents. Larbi Ben Salah, 33 ans, est l’un des pensionnaires de ces favelas. Il est installé avec sa mère dans l’une de ces bicoques infectes depuis 2001. «Mon père avait quatre femmes. Il a répudié ma mère et nous a chassés. Comme nous n’avions pas où aller, j’ai construit cette baraque», raconte-t-il. Alors que Larbi est agent de nettoyage dans une société de catering, ce qui lui sert de quartier est rongé par les immondices, transformant le bidonville en une poubelle géante.

«On exige une commission d’enquête !»

Larbi assure que son gourbi ne dispose même pas d’électricité et qu’à la nuit tombée, il est obligé de s’éclairer à la lueur d’une bougie. D’autres ont recours aux bons vieux quinquets. «Nous vivons dans le noir absolu. Nous n’avons pas d’eau potable, nous n’avons pas d’électricité. Nous n’avons pas le droit de regarder la télévision comme tout le monde. Nous souffrons le martyre été comme hiver. En été, le gourbi se transforme en four, en hiver, c’est une passoire. Nous sommes livrés aux scorpions, aux serpents, aux rats et aux bêtes sauvages», clame-t-il. Inventaire non exhaustif des innombrables plaies du ghetto. Larbi rejette catégoriquement l’idée que tous les habitants du bidonville seraient des étrangers qui se seraient «incrustés» pour bénéficier des présumés avantages de cette riche commune. «C’est complètement faux ! Moi, je suis né à Hassi R’mel. J’y ai passé toute ma vie», objecte-t-il. «Mon père travaillait ici. Il était employé à GTP jusqu’à sa retraite.» 1200 logements devraient être distribués incessamment au profit des locataires de bidonvilles. Une liste de bénéficiaires a été établie depuis plus d’une année.

Larbi est ulcéré de n’y avoir pas trouvé son nom : «Je ne comprends pas sur quelle base a été établie cette liste», fulmine-t-il. Il exhibe un récépissé de son dossier déposé le 24 décembre 2002 à l’APC. «Certains dossiers sont beaucoup plus récents et sont sur la liste et moi, je n’y suis pas. C’est injuste! Je demande une commission d’enquête sur les critères d’attribution des logements. Il faut que l’APC et la daïra rendent des comptes à propos de cette opération. A Hassi R’mel, le zaouali est méprisé, écrasé. Le zaouali n’a aucun droit ici!» Il convient de souligner que nombre de familles installées dans ce bidonville ont été contraintes à fuir le terrorisme. «Nous vivions dans la terreur tous les jours. Kan el khawf. C’est pour cela que je suis parti avec ma famille en 1996 et me suis établi ici», raconte un homme originaire de Djelfa. D’autres, en revanche, y vivent depuis bien plus longtemps et font figure de pionniers. C’est le cas de Tahar Mouffak, 62 ans, ancien manœuvre mué en berger. Comme Larbi et la majorité des personnes rencontrées, il est originaire de Djelfa, précisément de la localité de Faïdh El Botma. Il nous fait visiter le taudis qui lui sert de gîte.

A l’entrée, un enclos où bêlent quelques moutons. La toiture en tôle et planches en bois est trouée de partout. «Nous sommes 12 personnes à loger ici. J’ai quatre filles et cinq garçons, tous au chômage. Nous vivons telles des bêtes dans une étable.» Tahar Mouffak non plus n’est pas sur la liste des bénéficiaires. «J’ai déposé un dossier de logement depuis des années et je n’ai rien reçu. La commission hagratna. Il y a des considérations tribales dans l’établissement de cette liste. Ya djemaâ khafou rabbi ! Je vis ici depuis 1979. Tous mes enfants sont nés à Hassi R’mel. Ici, tout fonctionne à la ‘maârifa’ et à la corruption. Lazem tad’hane. Tu glisses un billet, tu règles tes problèmes.»

Un serpent dans la favela

Belkheïr, 21 ans, est né dans le ghetto. Toute sa vie, son horizon se limitait à ces gourbis pulvérulents et leur lot de sinistrose. «Depuis que j’ai ouvert les yeux, je n’ai vu que ce cloaque. J’ai dû abandonner mes études. Comment étudier dans de telles conditions? Mon père est vieux et je me devais de l’aider. Mais pour trouver du travail, quelle galère! J’ai fait des stages, déposé des demandes. En vain. Nos pères ont trimé toute leur vie pour trouver du travail et ça continue avec notre génération. Je dors parmi les scorpions et les serpents. J’ai été mordu maintes fois dans mon enfance et je continue encore à mon âge à être persécuté par ces sales bestioles.» Voilà d’ailleurs un serpent qui fuse d’un tas de détritus et se faufile vers une baraque, avant d’être stoppé dans sa course par des jets de pierres. Abdelkader Djaballah, un quinquagénaire en turban et à la moustache drue, tient des propos tout aussi amers. Il végète dans le bidonville depuis 1978 en vivotant dans des chantiers de construction comme «zoufri». Son histoire est tragique.

Là où d’autres font valoir le droit du sol par l’extrait de naissance, lui prend à témoin le cimetière : «J’ai enterré ici 11 membres de ma famille !», rage-t-il. «Regardez dans quelle misère on vit ! Nous n’avons pas goûté à l’indépendance. Nous sommes des morts-vivants. Vous imaginez, j’ai 11 enfants morts ici. Et j’ai 8 gosses à nourrir. Rani mal’hagtache. Mon dossier traîne depuis 26 ans. Nous avons passé le pire Ramadhan de notre existence. Tu n’as pas d’électricité, tu ne peux pas utiliser un réfrigérateur. Nous n’avons pas droit à l’eau fraîche, w’eness chaytine. Nos groupes électrogènes sont constamment grillés.» Dans la foulée, il charge élus et apparatchiks de l’administration : «Nous sommes un cheptel sans berger. Nous n’avons jamais vu la tronche d’un quelconque responsable ici.»

Et de poursuivre : «Personnellement, je ne voterai pas (aux prochaines élections municipales). S’il nous reste un peu d’honneur, abstenons-nous de voter. Nous ne sommes pas des Algériens, car si nous étions des Algériens, nous aurions eu notre part de dignité !» Un camion bringuebalant avance et les habitants du bidonville se ruent à sa rencontre. Dans sa benne, une grosse citerne rouillée. Les habitants sont obligés d’acheter l’eau. «Sans ces citernes, nous crèverions de soif. Et quelle eau ! Elle est tout sauf potable, mais nous sommes obligés de la boire», lâche un autre paria. Abdelkader reprend : «Hassi R’mel est à la fois la commune la plus riche et la commune la plus pauvre d’Algérie», avant de marteler dans une effusion de colère : «Si nous avons des droits dans ce pays, qu’on nous les donne. Si nous n’avons aucun droit, qu’ils aspergent ces baraques d’essence et qu’ils les brûlent et nous avec !»