Calais : une victoire politique

Vendredi, quand la juge de Boulogne-sur-Mer a annoncé, en répétant trois fois, que le procès de 8 amis était irrégulier, cris de joie et applaudissements ont retenti dans la salle d’audience. Dehors un cordon de la Police de l’Air et des Frontières (PAF) attendait pour embarquer cinq d’entre eux qui avaient reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), mais celles-ci s’étaient déjà enfui et elles n’étaient donc pas présentes pour apprécier l’annonce de leur victoire.

Les juges ont décidé qu’il y avait trop d’irrégularités et que les autorités n’avaient pas suivi les procédures pour l’arrestation et la détention de 8 personnes présentes sur le toit d’un immeuble abandonné du centre ville de Calais le dimanche 27 mars.

Cette nouvelle marque une victoire politique pour notre mouvement à un moment où les autorités se servent de l’état d’urgence pour se permettre avec arrogance de se servir de tous les moyens de violence et de coercition pour imposer leur politique raciste à Calais et à la Jungle.

En défiant la « tolérance zero pour les squats » dans cette ville, imposée par la maire Natasha Bouchard, le collectif « Salut o Toi » a ouvert un immeuble le weekend du 26-27 mars. Des banderoles accrochées sur la façades disaient « Un toit pour tous » et « Amitié entre les Peuples », alors que des soutiens à l’action restés dehors distribuaient des tracts aux passants pendant que d’autres filmaient la police.

Cette action visait à provoquer une réaction des « autorités », et selon Phillipe Mignonet « Natasha Bouchart a contacté Bernard Cazeneuve », le ministre de l’intérieur, après quoi l’ordre d’évacuer le squat a été donné, sans même contacter le propriétaire. Des CRS en nombre ont fait un cordon autour du bâtiment pendant que d’autres types de police s’acharnaient sur la porte armés d’un bélier. Après avoir echoué à bouger les barricades ils ont défoncé une fenêtre au niveau de la rue pour entrer dans le bâtiment et prendre accès au toit où 8 personnes étaient réunies, et se sont faites violemment interpellées.

Leur garde à vue a été prolongée à 48 heures suite à des pression émanant “d’en haut”, en effet le parquet n’avait initialement pas prévu la prolongation de la garde à vue ni la comparution immédiate. Cela questionne sérieusement sur l’indépendance de l’autorité judiciaire, en effet “en France, le parquet ne rempli pas l’exigence d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif” comme fréquemment répété par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Pendant les premières 24 heures de garde à vue les personnes n’ont pas été informées de leurs droits, elles n’ont pas pu voir d’interprète, ni d’avocat, ni de docteur ni n’ont pu contacter aucun proche, ils ne se sont pas vu explicitement demandés non plus de donner leur photo, empruntes et ADN.

Initialement les activistes ont été poursuivi pour violation de domicile, charge qui n’a pas été retenue puisqu’il a été rapidement constaté que le bâtiment était abandonné, et dégradation en réunion. Les poursuites finales seront : dégradation en réunion et refus de se soumettre au prélèvement ADN, d’empreintes digitales et de photos.

A la fin de la garde à vue les personnes ont été présentées devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) qui devait statuer sur une éventuelle détention jusqu’au procès, à partir de ce moment les ami-es, avisés par leur avocate, avaient donné leurs identités. Cinq étranger-ères et trois français-es ont comparu devant le JLD, mais seul-es les français-es ont été relaché-es, les cinq autres ont été amenés en détention dans l’attente du procès qui aurait lieu le jour suivant, Mercredi 30 Mars.

Mercredi la masquarade judiciaire est arrivée à son summum lorsque trois personnes qui étaient en prison pour garantir leur présence au procès n’ont pas pu être transportées de la prison au tribunal pour cause d’un manque de personnel et d’organisation. Après une longue attente, une audience en visio-conférence avec la prison a finalement été organisée dans une petite salle.

Dès le début nos avocat-e-s ont manifesté leur aberration devant la présence massive de policiers, dont certaines avec des armes automatiques et  l’incompétence et absurdité du système judiciaire. En effet les trois qui n’étaient pas présentes en personne ont déclaré vouloir être jugées en ce jour mais ont refusés, conformément à leurs droits d’être jugées par visio-conférence. Les avocats ont alors plaidé pour leur libération jusqu’au procès reporté au vendredi 1er avril. Les juges, affligés par le ridicule de la situation avaient demandé le maintien en détention avant d’ordonner leur remise en liberté après que les avocats aient lourdement insistés pour leur libération. Les cinq détenus ont été libérés dans la nuit.

Vendredi 1er avril, le tribunal a reconnu les nombreuses irrégularités dans la procédure de l’arrestation à la garde à vue.

Cette victoire se place dans le contexte de la destruction de toute la partie sud de la Jungle, des maisons de plus de deux mille personnes, enfants, femmes, hommes et familles qui ont été détruites et balancées en lambeaux par des travailleurs et des bulldozers. Ces derniers ont été protégés par des centaines de CRS pendant trois semaines, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un terrain vague. Cette expulsion dite “humanitaire” est un acte de terrorisme perpétré par un État qui prétend combattre le terrorisme.

Cette action, en cette fin de la trêve hivernale a été une manière de mettre en lumière la destruction systématique des abris et la ségrégation qui existe à Calais, et de dénoncer les injustices de ce système politique raciste et fasciste.

Le collectif ‘Salut O Toit’ a choisi un ancien refuge pour personnes sans abris qui  est vide depuis plusieurs années, en rendant à cet espace sa fonction originelle, nous pointons du doigt l’échec des gouvernement quant à l’hébergement de personnes sans abris à Calais, et tentons de montrer que lorsque les personnes sans abris et ceux qui les soutiennent travaillent ensemble, nous parvenons à créer des initiatives réellement inspirantes.

[Par Calais Migrants Solidarité, le 3 avril 2016.]