Amsterdam: Le Kraakspreekuur, un service autogéré d’assistance au squat

Entretien, traduit de l’anglais, avec Rogier du Kraakspreekuur de l’est et Maks du Kraakspreekuur étudiant, à Amsterdam (Wertheim Park, 28 juillet 2013). Par Y et Z, deux Français-es impliqué-e-s dans le mouvement squat parisien (les notes en italique entre crochets ont été ajoutées a posteriori par Y et Z).

Y & Z: Que signifie Kraakspreekuur (KSU) ? Savez-vous quand et comment les KSU sont nés, dans quel contexte ?

Maks: Ça veut dire Heure d’Assistance au Squat [en néerlandais le terme “squat” est traduit dès les années 1960 par “kraak” et au pluriel par “kraken” – litt.“casser”, “briser”, “cambrioler”].
Rogier: C’est un endroit où les gens peuvent venir et recevoir des informations sur le squat et de l’aide pratique sur comment squatter et faire ce genre de choses.
Maks: Et aussi une fois que tu as squatté, tu peux avoir des infos sur comment garder l’espace et comment prolonger l’occupation.
Rogier: Donc « l’heure du squat » ce n’est pas seulement un groupe de gens qui donnent des infos sur le squat mais il a aussi des liens avec différentes sortes de groupes qui aident au squat. Il y a la partie juridique, la partie politique, la partie pratique, et puis ouvrir la maison… Toutes ces choses sont présentes dans le KSU, où des personnes expérimentées peuvent t’aider et te conseiller pour ouvrir un lieu et aussi le garder, éviter de se faire expulser juste après.

Y: Et c’est basé sur les principes du « Do It Yourself » ?

Rogier: Bien sûr. Tu dois squatter par toi-même, mais tu peux recevoir de l’aide pour ça.

Z: Et à propos des origines historiques des KSU ?

Maks: Les KSU ont commencés dans les années 1960, 1970, quand le squat devenait vraiment un gros sujet en Hollande. De nombreuses personnes avaient du mal à trouver un logement, c’était une crise énorme, donc les gens se sont mis à occuper des maisons, et c’est un peu comme ça que ça a commencé, pour aider les autres à squatter. Je ne sais pas exactement quand le premier KSU a commencé…
Rogier: Je crois que c’était en 1967, 1968 ou quelque chose comme ça. Aussi le terme « squat » a évolué à ce moment là [en néerlandais, donc]. Certains pensaient que c’était bien d’informer les gens sur ce que c’était et comment on faisait. Quand il y a eu le premier procès d’une maison squattée, quand la « paix des maisons » des squatteurs a été établie et jusqu’à aujourd’hui, c’est resté un fait important. Cette « paix des maisons » signifie que personne ne peut entrer chez toi, pas même les autorités. Les squatters, en ouvrant et en restant dans les lieux occupés, bénéficiaient de cette « paix des maisons » même si le squat était illégal à cette époque. Cette « paix des maisons » est due au premier groupe qui a lancé les KSU. Tout cela s’est lentement développé, au début ça se développait vraiment très très lentement, et plus tard beaucoup de gens le faisaient, et à ce moment-là il y avait de nombreux KSU dans différentes parties d’Amsterdam.

Y: Donc ça a commencé à Amsterdam?

Rogier: Ca a commencé à Amsterdam, dans l’est d’Amsterdam.
Maks: Jusqu’à il y a quelques années il y avait plus de KSU qu’aujourd’hui. Maintenant nous en avons trois: celui de l’est, celui du sud, au Molli et celui des étudiant-e-s.
Rogier: Et avant il y en avait d’autres dans l’ouest, dans le centre et entre les deux aussi, plusieurs autres…

Y: Est-ce qu’il y a des divisions géographiques ou politiques ou autres?

Rogier: Avant il y avait des différences politiques, au point qu’un KSU ne parlait pas avec un autre… Aujourd’hui, nous sommes de nouveau au pied du mur, il y a une forte répression donc beaucoup moins de gens qui squattent. Cette division idéologique s’est évaporée, et je pense que c’est une bonne chose. A ce moment-là, il y avait les « radicaux » qui étaient tout le temps dans le centre, les plus « pragmatiques » ou les « hippies » dans l’est, et…
Maks: Et entre les deux, il y avait les « étudiant-e-s », qui ressentaient le besoin de casser ces frontières et de toucher plus de gens, parce que la scène squat était très fermée, c’était difficile de rentrer dedans… après, le KSU étudiant s’est focalisé sur les étudiant-e-s pour commencer à squatter dans les différentes parties de la ville.

Z: Quel genre de personnes viennent aux différents KSU?

Maks: Toutes sortes de personnes.
Rogier: Le KSU étudiant attire bien sûr beaucoup plus d’étudiant-e-s parce qu’il leur semble plus facile d’y aller. Dans l’est, c’est plutôt basé sur des relations de voisinage, on a beaucoup de contacts avec les organisations de locataires, d’autres locataires, les politiciens locaux et blablabla… donc c’est plus facile pour ce KSU de savoir où sont les espaces vides parce qu’on a des tuyaux des organisations de locataires, ou de personnes du quartier qui nous disent « hey, c’est vide ici, ça devrait être squatté », donc c’est plus facile d’impliquer du monde dans ce type d’actions. Et dans le centre c’était pas basé sur le voisinage parce que c’est que des commerces, il y a beaucoup de spéculation, donc il faut une approche plus « radicale », tu vois, il faut être en quelque sorte plus dur pour gérer ce genre de propriétaires. Donc les squatteurs du centre étaient plus durs et radicaux, mais aussi plus fermés… Bref tout cela attire différentes personnes je pense.

Y: Est-ce que vous pouvez présenter le KSU dans lequel vous êtes impliqués?

Maks: Je pense que le KSU des étudiant-e-s (Studenten Kraakspeekuur – SKSU) a été créé dans les années 1990. Le premier squat qu’ils ont ouvert était à côté du stade olympique d’Amsterdam. Et là ils ont ouvert le premier KSU pour attirer plus d’étudiant-e-s et leur rendre la pratique du squat plus facile. Le mouvement squat a commencé à décliné au début des années 1980 et puis dans les années 1990, donc ça manquait de nouvelles personnes, alors ils ont commencé le KSU pour attirer plus de monde vers le squat.
Rogier: Et maintenant on a le même problème…

Z: Et le KSU de l’est?

Rogier: Je crois que c’était au milieu des années 1990 ou quelque chose comme ça. Le plus vieux c’est le Molli qui a commencé dans les années 1980 ou avant [le Molli a été ouvert en 1979].

Y: Pourquoi est-ce qu’il n’y a plus que trois KSU aujourd’hui?

Rogier: Bah, il y avait ceux de l’ouest, du sud, du centre, de l’est et l’étudiant. Ça a juste décliné grave…
Maks: Depuis la nouvelle loi, beaucoup de gens ont peur de squatter ou en tout cas avaient peur à ce moment-là. Donc il n’y avait plus beaucoup de gens qui venaient aux différents KSU, alors les gens ont décidé d’en fusionner certains comme celui du centre et de l’ouest, qui se sont regroupés avec celui du sud.

Z: Donc vous pensez que c’est principalement à cause de la criminalisation quelques années auparavant?

Rogier: C’est l’une des raisons, je suppose que c’est une part importante, mais ce n’est pas la seule. Il y avait aussi alors d’énormes conflits internes au mouvement, à la scène elle-même, et je pense que c’était encore plus destructeur que la criminalisation. Aussi, quelques années avant la loi, il y a eu une énorme campagne en continu dans les médias contre le squats, une campagne qui mettait en avant uniquement les mauvaises choses, ce qui a conduit à l’abolition des droits des squatters. Donc tous ces facteurs combinés font que peu de gens le font encore… Beaucoup disent aussi que c’est une bonne chose, d’une certaine façon, parce qu’il y avait beaucoup d’idiots dans le mouvement, beaucoup d’opportunistes qui foutaient vraiment la merde. Je pense que beaucoup de gens oublient qu’au début le squat s’adressait aux personnes qui en avaient besoin, et pas quelques privilégié-e-s, et squatter était vraiment quelque chose de répandu, c’était largement accepté parce que tout le monde pouvait comprendre le problème et la nécessité de prendre les choses en mains. Plus ça a duré, plus c’est devenu radical aussi et bientôt ce n’était plus que pour les squatters: des squats-bars, des squats-clubs, des choses comme ça, des restaurants pour les squatters… Et quand la loi est passée, c’est redevenu différent, la campagne dans les médias s’est arrêtée et les gens se sont demandé « pourquoi est-ce que je fais ça? ce n’est pas que pour moi ». Mais parce qu’il y a des listes d’attentes pour les logements sociaux de quinze ans ou plus, que les prix et les loyers deviennent de plus en plus élevés, beaucoup de gens ne peuvent plus suivre, il y a une crise, et ça aide à reconstruire l’image du squat, ça change les choses dans un sens positif et amène plus de monde à penser comme ça plutôt que juste « nique le système! ».
Maks: Tu peux voir aussi ces dernières années que la plupart des squats existant étaient politiques, ils avaient toujours des manifestes ou quelque chose sur pourquoi on occupe des espaces…
Rogier: Ceux-là sont ceux qui existent toujours, les autres ont juste disparu.

Z: Quand tu dis que c’était plus centré sur les squatters eux-mêmes, tu dis que c’était plus « radical », plus « fermé », et comme je le comprends, le problème n’était pas que les squatters étaient « radicaux » mais « identitaires », tu vois ce que je veux dire ?

Rogier: Oui. Je pense que tu as raison, c’est plus la question d’une « identité » que celle d’être ou non « radical » parce que des gens qui ont été désignés comme « non radicaux » ont prouvé leur capacité à faire des actions très radicales à la fin, par exemple s’enchaîner à l’intérieur de la maison pour empêcher l’expulsion ou des choses comme ça, tu sais, donc oui je pense que tu as raison c’est plus un truc « identitaire »…

Z: Donc maintenant, tu penses que ce truc « identitaire » a un peu disparu ?

Rogier: C’est mon analyse personnelle, mais j’ai dans l’idée que ce truc « identitaire » disparaît de plus en plus. Je parlais de conflits internes tout à l’heure, et si je reste simple, il y avait une séparation entre les « radicaux » et les « non radicaux », et concrètement ça devient de plus en plus un truc de « non radicaux », l’aspect dogmatique des choses est en train de disparaître. Ça devient plus pragmatique, donc on s’entraide beaucoup plus et ça ne dépend plus de l’identité du KSU auquel tu appartiens ou du centre dans lequel tu es, on est tous ensemble… et tout le monde est un peu différent mais la base c’est ce qu’on agit, et ça on le partage tou-te-s, et je pense que c’est un développement très positif, et en fait, ça tu l’obtiens que quand tu te retrouves au pied du mur… et tu sais, à ce moment là tu te redéfinis et tu repenses ta façon de voir les choses, et à partir de là, ça serait super si maintenant ça recommençait à se développer, que plein de nouvelles personnes s’impliquaient…
Maks: Je suis plutôt d’accord avec ce que tu dis mais, bien que la frange « radicale » soit en déclin, tu vois toujours des choses comme ça par exemple lors des grandes vagues d’expulsion. Parce que, si on n’a pas eu un collectif « radical » cette année, avant, les gens s’opposaient vraiment, et même s’il y avait des différences entre les gens, tout le monde se réunissait lorsqu’il s’agissait de défendre un squat, surtout dans l’est.
Rogier: C’est vrai. Ce qui s’est passé à ce moment-là: il y avait cinq maisons importantes qui ont été expulsées le même jour, et toutes les maisons ont été scellées et barricadées correctement, solidement. Chaque maison avait un cadenas avec deux personnes dessus sauf une maison qui n’en avait pas mais a résisté en balançant des fumigènes et des ampoules de peinture. Ça a été une très très longue journée pour la police qui a galéré à mettre tout le monde dehors.
Maks: Normalement une expulsion commence vers 9h, parfois plus tôt, ça dépend si c’est l’hiver ou l’été, et finit vers 16h. Mais là, les flics ont été occupés jusque vers 22h.
Rogier: Ouais, on a presque réussi à les faire revenir le lendemain.

Z: C’était quand ?

Rogier: À la fin de 2011, juste après la criminalisation.

Y: Est-ce qu’il y a des différences entre les KSU d’Amsterdam et ceux des autres villes des Pays-Bas ?

Rogier: Bien sûr, les gens d’Amsterdam, généralement, surtout ceux de la scène squat, sont perçus comme des gens un peu arrogants, qui ne s’intéressent qu’à ce qui se passe à Amsterdam… Et dans une certaine mesure, c’est vrai. Mais après la criminalisation, il y a eu plus de solidarité entre les villes, on se soutient les un-e-s les autres.
Maks: Quand il y a des actions d’ouverture de squats à Amsterdam, je vois souvent des gens venir d’ailleurs, d’autres villes, et c’est vraiment chouette. Et je sais que beaucoup de gens d’Amsterdam vont dans d’autres villes aussi.

Z: Où peut-on trouver des KSU dans les autres villes des Pays-Bas ?

Rogier: À Utrecht, Groningen
Y: Nijmegen…
Rogier: Nijmegen bien sûr !
Maks: Leiden… À La Haye (Den Haag) je crois qu’ils en avaient un mais je ne suis pas sûr qu’il existe encore. Zaandam aussi, mais à Zaandam c’est un peu différent.
Rogier: Haarlem.

Z: Et à Rotterdam ?

Maks: Je crois qu’ils ont arrêté.
Rogier: Rotterdam, je ne sais pas non plus, mais c’est une organisation complètement différente. Ils ne font pas de KSU, mais pratiquent ce qu’ils appellent le « squat sauvage », ce qui veut dire qu’ils ne le font pas de façon organisée, tu entres juste et tu squattes avec un groupe de potes, et c’est toujours comme ça. [En fait il y avait un KSU à Rotterdam… Voir rotterdam.squat.net – Voir aussi squatting-manual.squat.net pour les KSU dans d’autres villes des Pays-Bas.] Tu sais, à propos de ces KSU, certains pensent que c’est bien d’avoir une sorte d’institution, mais il y a aussi beaucoup de critiques, de la part d’autres squatters. Certains pensent que c’est un peu bureaucratique et élitiste. Mais il y a des raisons de continuer à en tenir, de continuer à le faire depuis aussi longtemps, pour réduire les risques liés à des actions de squat, parce que quand tu te fais arrêter tout le temps tu n’es plus capable de le faire sur le long terme, donc on veut le faire bien, on veut tout savoir à propos de la maison, et au-delà on préfère prendre plus de temps pour les recherches plutôt que de foncer tête baissée et…
Maks: … et voir au fur et à mesure. Et quand tout est clair, que tu es préparé-e à ce qui peut arriver, tu développes des outils pour gérer ce qui arrive quand tu squattes une maison.
Rogier: Parce que de nos jours, presque toutes les actions de squats sont médiatisées et donc tu dois être prêt-e, par exemple les politiciens, même ceux de droite, vont dire quelque chose dessus, et donc c’est bien de savoir dans quoi tu mets les pieds.

Z: Pendant le KSU, est-ce que vous utilisez ou donnez des manuels de squat ou quelque chose comme ça ?

Rogier: Oui, ils sont sur internet, pour que tout le monde puisse les télécharger.

Z: Est-ce que vous connaissez l’histoire de ces manuels ? En France on en a un, on le met à jour quand de nouvelles choses émergent, et je pense que c’est vraiment très utile, c’est aussi sur internet et sur papier. On en a un depuis la fin des années 1990 [« Le squat de A à Z », voir fr.squat.net/brochures/] et il y en avait une autre version avant. Est-ce que vous connaissez l’histoire des manuels du squat ici à Amsterdam ?

Rogier: À la fin des années 1960, quand les premières personnes ont squatté des maisons, et trouvé un moyen de répondre à toute cette crise du logement, ils ont commencé à éditer un manuel, c’est aussi à ce moment-là que les premiers KSU ont commencé. C’est devenu plus « professionnel » à la fin des années 1970 et au début des années 1980, qui était vraiment la grande époque du squat, mais aussi la plus violente, à Amsterdam et aux Pays-Bas, avec des confrontations importantes avec la police. A ce moment-là il y avait des manuels et des choses comme ça, une revue sur le squat qui sortait toutes les semaines et beaucoup de choses comme ça. Mais le manuel que nous avons aujourd’hui, je crois qu’il vient de…
Maks: Ça date d’avant la criminalisation. Le manuel que nous avons maintenant a été fait avant la criminalisation.
Rogier: Oui.

Z: Ça n’a donc pas été actualisé ?

Rogier: Il y avait des projets mais…
Maks: Je crois qu’il y a toujours le projet de l’actualiser. J’ai vu une version révisée mais ce n’est pas encore édité, parce que les gens ont encore envie de rajouter des choses et c’est trop long, etc.
Rogier: Mais cette version, je crois, date de 2003 ou 2004 [En fait 2005 – voir ksuoost.squat.net/squatting-manual et http://squatting-manual.squat.net/manuals-sorted-per-country/nl/short-guidebook-for-squatters-2005/ – un autre a été publié à Rotterdam en 2009 – voir rotterdam.squat.net].

Y: Est-ce que vous avez une liste des immeubles vides pour aider les gens qui cherchent quelque chose ou est-ce qu’ils doivent déjà avoir une idée de ce qu’ils veulent quand ils viennent au KSU ?

Maks: On n’a pas de liste. On sait plus ou moins, parfois, quelles maisons sont vides parce qu’on se balade dans la ville à vélo, mais normalement quand les gens viennent et se rencontrent pour squatter une maison vide, on veut vraiment voir qu’ils font des efforts. Ce n’est pas genre tu viens au KSU et « hey, voilà l’adresse, voilà l’histoire, maintenant amusez-vous bien ! », non, on veut vraiment que les gens apprennent par eux-mêmes. Si tu les tiens par la main et que tu squattes à leur place, ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font, surtout parce qu’ils enfreignent la loi, on veut que les gens s’y investissent, et après bien sûr on les aide pour tout. Et s’ils ne peuvent vraiment pas trouver de maison, parfois on leur indique une direction, un quartier où l’on sait qu’il y a de nombreuses maisons vides.

Y: Et là vous expliquez comment ouvrir, comment faire quand la police se ramène…

Maks: Et comment savoir pourquoi c’est vide, depuis combien de temps, quels sont les projets, s’il y a un permis de construction, qui est le propriétaire, à chaque étape nous les aidons. Et même après que ça ait été squatté, on les aide encore pour le procès, ou…

Y: Vous avez des avocat-e-s ?

Maks: Oui.
Rogier: Nous avons toujours des avocat-e-s, de bon-ne-s avocat-e-s.

Y: Donc si quelqu’un vient au KSU et a un procès pour le squat, c’est possible de demander un-e avocat-e ?

Maks: Oui. On a un groupe d’avocat-e-s qui nous aident lors des ouvertures de squats. Ils nous aident toujours.
Rogier: Et le truc bien c’est que le système juridique hollandais est accessible à tout le monde, parce que tu peux avoir une aide juridictionnelle.

Z: En France, le mouvement squat semble beaucoup moins organisé et publicisé qu’aux Pays-Bas. C’est beaucoup plus « informel »…

Rogier: Oui à Amsterdam les actions de squat sont souvent publiques. Dans la plupart des villes du monde, surtout en Europe, les gens entrent à l’intérieur pendant la nuit. Ici, on y va de jour, à cinquante ou plus, et on ouvre publiquement, on appelle nous-mêmes la police parfois, pour officialiser l’occupation, et aussi expliquer pourquoi c’est squatté et rendre ces raisons publiques. Mais avec l’interdiction, il y a eu des discussions pour changer de tactique et du coup le faire de nuit, etc., mais…
Maks: Ça n’a pas marché.
Rogier: Ça te rend beaucoup plus vulnérable, et c’était aussi une question idéologique, si tu veux vraiment le faire… parce que tu parles d’un problème général, la crise du logement dans la ville, donc c’est pour ça que c’est bien que les gens voient que ça arrive encore et comment ça se passe.
Maks: Si tout le monde sait qu’il y a une ouverture de squat et qu’on voit la maison et qu’on squatte ensemble, alors tout le monde viendra quand la maison sera menacée. Et si tu le fais clandestinement et que personne ne le sait, les gens vont réagir genre « ho, il y a un squat ici ? je ne savais pas. Quand est-ce qu’ils se sont fait expulser ? ». Donc c’est aussi une question de solidarité dans la scène squat, d’une certaine façon.

Z: Donc la criminalisation n’a pas vraiment changé vos tactiques et vos stratégies ?

Rogier: Si, un peu, mais pas de façon profonde. D’abord, c’était genre tu squattes la maison et puis tu laisses la police venir constater que c’est vide, c’est le premier « témoin de la vacance ». Et après ça, c’était un peu acté qu’on ne faisait plus ça quand la police venait. Normalement il y a beaucoup de monde, on accroche des banderoles pour qu’il soit clair qu’on est bien à l’intérieur, parce sinon qu’on peut avoir des problèmes avec ça. Et après, c’est squatté et là c’est la partie juridique, ça part en procès et tout. Donc ce n’est plus dans les mains de la police. C’est en fait notre but premier. Dès que tu ouvres une maison, tu poses clairement le fait que ce n’est pas aux flics de décider ce qu’il va en être.

Y: Et à propos du fonctionnement interne des KSU ?

Rogier: C’est très horizontal évidemment. Normalement pendant les deux premières heures les gens peuvent venir et demander des conseils, et si ça devient plus complexe et que ça part dans de vraies actions, alors on implique tout le monde et à la fin on discute des différents cas et on décide ensemble de ce qui doit être fait.

Y: Donc vous recevez les gens individuellement et puis vous retournez vers le collectif…

Maks & Rogier : Oui.

Y: Puis vers les gens…

Rogier: Oui on en discute tous ensemble.

Y: Et quel est le rôle du KSU en terme de mobilisation, de diffusion de l’information, etc. ?

Rogier : C’est un truc « Do It Yourself » donc quand il y a une expulsion qui s’annonce, la maison elle-même doit s’organiser pour faire quelque chose. Les KSU ne vont pas le faire à leur place. Les squatters eux-mêmes peuvent venir et demander de l’aide, en disant « on veut faire ci et ça », « comment on peut faire ça ? », « à qui est-ce qu’il faut qu’on s’adresse ? », « qui est bon là-dedans ? », et là on peut aider, mais le KSU n’organise pas la résistance à l’expulsion, et c’est la même pour les ouvertures de squats. On peut mobiliser plusieurs squats, on a une liste et on peut aller les voir et leur dire de venir. On a aussi un numéro d’urgence : « l’alarme », qui est gérée par le KSU. Tous les KSU ont leur propre liste-alarme et leur numéro d’urgence, et tous les squats le connaissent et l’utilisent. Quand il y a quelque chose qui ne va pas, tu peux appeler cette alarme.

Z: Si le squat est attaqué ou quelque chose comme ça…

Rogier : Si le propriétaire vient ou autre. Alors tu appelles le numéro d’urgence. Classiquement, tu es censé maintenir la porte fermée pour au moins une demi-heure. Donc ta porte doit être barricadée, tu dois être capable de mettre quelque chose derrière, ce qui laisse assez de temps aux autres pour arriver et là avec une peu de chance tu as assez de gens pour changer la donne, changer le rapport de force.

Y: Et pour les manifestations ?

Rogier: C’est également rarement organisé par les KSU. C’est les squats eux-mêmes qui organisent ce genre de choses.

Y: Même pour la criminalisation par exemple ?

Rogier: Les manifestations contre la criminalisation n’étaient pas organisées par les KSU… Ce n’est pas une bonne idée d’être trop publiquement investis dans ce genre d’évènements, surtout depuis la criminalisation. C’est bien d’être là comme une « institution » où les gens peuvent se réfugier, mais ce n’est pas bon, en tant que KSU, de tenir la banderole et de marcher devant.
Maks: Maintenant au SKSU, on a un problème avec le parti de droite à Amsterdam parce qu’on utilise un espace loué [le VondelBunker] et ils veulent arrêter notre contrat parce qu’on est là et qu’ils disent qu’on occupe des maisons… mais ce n’est pas vrai, pas en tant que KSU du moins. Donc le KSU doit vraiment se limiter à un groupe qui donne des conseils mais ne pas être un groupe destiné à ouvrir.
Rogier: C’est censé être la colonne vertébrale de tout le reste.

Z: Pour résumer, on a le SKSU dans un espace loué au Vondelpark, on a le KSU de l’est au squat le Joe’s Garage et le troisième est au Molli ?

Rogier: Oui, un squat légalisé, au sud.

Y: Vous nous avez un peu parlé des conséquences pratiques de la criminalisation pour le mouvement et les KSU. Qu’est-ce que vous pourriez ajouter ?

Maks: Hé bien, suivant la loi, quand tu occupes une maison, tu encours un an de prison, mais si tu es en groupe, c’est trois ans… Ça n’a pas été… pour l’instant, des gens ont été arrêtés mais pas pour squat, je crois…
Rogier: Heuuuu… oui, les gens ont été poursuivis pour d’autres raisons.
Maks: Basiquement, c’est toujours le même principe: tu ouvres, tu te fais expulser et tu ouvres de nouveau…
Rogier: En pratique ça n’a pas changé grand chose… Mais pour la scène squat elle-même, il y a de moins en moins de lieux, depuis la criminalisation il y a eu beaucoup de répression et apparemment on n’était pas assez fort pour l’empêcher donc beaucoup de squats ont disparu. Et c’est un choc psychologique, pas l’année même de la loi mais celle d’après, la confiance dans le squat et dans notre capacité à résister au pouvoir de l’État s’est pris un coup, donc c’est pour ça qu’on est dans cette situation aujourd’hui, avec beaucoup moins de squatters, beaucoup de ceux qui étaient plus âgés se sont retirés et on manque de jeunes pour prendre la relève. Le truc le plus critique maintenant est de mobiliser de nouvelles personnes, des générations plus jeunes, qui voudraient venir et gérer ça et essayer d’en faire quelque chose. Il est toujours temps de le faire et on a encore de super lieux qui font des choses chouettes, on peut montrer aux gens les trucs fantastiques qu’on peut faire quand on prend nos droits dans nos propres mains et qu’on voit ce qu’il est possible de faire. Et à la fin ça a un effet positif : il y a moins de monde mais plus de solidarité. De nombreuses personnes qui étaient là simplement pour bouffer l’énergie des autres sont parties. Donc je pense qu’on devrait voir ça comme une chance de rafraîchir et reconstruire un mouvement plus fort.

Y & Z: Ok, merci beaucoup !


De Provo au squat comme mode d’action

(par Y., mai 2014)

Entre 1965 et 1967, les Pays-Bas sont secoués par un mouvement d’inspiration anarchiste et situationniste, Provo, qui entend « éclater la façade lisse d’une société qui avilit les hommes en les transformant en machines de la consommation ostentatoire »1. Leur nom, ils le doivent à leur mode d’action privilégié, la provocation. Grâce à elle, « les autorités devront ainsi se MANIFESTER EN TANT QU’AUTORITÉS RÉELLES (…). Elles se rendront de plus en plus impopulaires, ainsi la conscience des gens mûrira pour l’anarchie. ET VIENDRA LA CRISE ! C’est notre dernière chance : LA CRISE DES AUTORITÉS PROVOQUÉES »2. Au printemps 1966, face à une répression de plus en plus intense et à une popularité non moins importante, une partie du mouvement décide de faire campagne pour les municipales du mois de juin suivant. Provo gagne un siège dans la ville d’Amsterdam qu’il partagera entre les quatre premiers candidats de sa liste. Les dissensions commencent à apparaître. Entre le 13 et le 15 mai 1967, le mouvement s’auto-dissoud lors d’un happening géant. De là naissent une multitude de petits groupes attachés à des luttes particulières.

Le squat comme mode d’action politique a été popularisé par l’alliance entre Provo et les étudiant-e-s du journal Propria Cures (« Mêle-toi de tes affaires » en latin approximatif) qui, dès 1966, publiaient articles, tracts et affiches renseignant la population sur les luttes locales contre la restructuration urbaine, l’incitant à occuper les maisons vides repérées par de la peinture blanche (cf. tract « Witte Huizen Plan », 12 mai 1966).

Le Manuel pour les squatteurs

(par Y., mai 2014)

En 1969, Rob Stolk, imprimeur et défenseur de la ligne d’action directe de Provo, créé le Woningburo de Kraker (Bureau du logement du squat) qui s’annonce comme « mouvement d’expropriation radicale des terres et des propriétés privées ! »3. Les actions se multiplient et bientôt les demandes de logements affluent. Ce à quoi le groupe répond : « Faites-le vous-mêmes ! ». Pour permettre aux individus de procéder efficacement à leurs propres réquisitions, il publie le premier « Handleiding Krakers » (Manuel pour les squatters). S’y trouvent mêlés des commentaires sur les initiatives d’autres groupes, des techniques pour ouvrir (et fermer) un bâtiment, des pamphlets légitimant l’action du Woningburo et des squatters en général, des articles sur la situation des personnes les plus précaires, des renseignements juridiques, etc.

Une version moderne (qui nécessiterait une mise à jour, la situation juridique ayant changé depuis 2010) est disponible ici.

Les Kraakspreekuren

(par Y., mai 2014)

En 1970, Roel Van Duijn, chef de file du Provo réformiste, créé le parti des Kabouters (Parti des gnomes) dont l’un des conseils s’attache plus particulièrement à la question de la restructuration urbaine. Élus à leur tour au conseil municipal d’Amsterdam, ils s’auto-dissolvent une fois de plus à cause des désaccords quant aux buts du mouvement. Quoiqu’il en soit, en 1974, l’Amsterdam Aktie Partij (Parti d’Action Amsterdam ou AAP, « singe » en néerlandais), s’organise pour poursuivre l’initiative Kabouter et se répartit en groupes de quartier. Très actif pendant la lutte contre la restructuration des quartiers populaires du centre-ville, il participe à l’élaboration des structures qui font la spécificité du mouvement néerlandais. C’est en effet en 1975 que les squatters d’Amsterdam, auparavant dispersés, convergent pour protéger le Nieuwmarktbuurt. L’occupation durera plusieurs mois et sera soutenue par la création d’un journal, le « Nieuwmarktkrant », de deux radios, « Mokum » et « Sirène », d’une ligne de téléphone et d’une alarme anti-expulsions.

Dès l’été 1974, l’AAP commence à collecter les plaintes des Amstellodamois-es concernant le problème du logement. Les données recueillies sont imprimées sur des formulaires au nom du « Kraakspreekuur » (Service du squat). En décembre, le groupe s’installe dans un local squatté sur l’Hogendorpstraat et ouvre un service proposant aux habitant-e-s de la ville des conseils pour squatter. A partir de septembre 1975, plusieurs groupes reprennent l’idée et les Kraakspreekuren (« Services d’assistance au squat ») s’instituent. L’AAP assure celui du lundi et du jeudi et, à Nieuwmarkt, un autre groupe en organise un le vendredi, dans le Rood Café (Café Rouge). Les Kraakspreekuren (KSU) se développent à travers tout le pays et existent aujourd’hui encore…

1Kempton (Richard), Provo : Amsterdam’s anarchist revolt, Autonomedia, Brooklyn, 2007, pp. 41.

2Tract Provo, printemps 1965.

3Tract Woningburo de Kraker, 1969.


Remarques supplémentaires

(par D., squatter à Amsterdam, août 2013)

Il n’y a jamais eu aussi peu de KSU sur Amsterdam, ils ont disparu de certaines villes à tel point que la dernière réunion des KSU au niveau national remonte à bien longtemps.

En 1981-1983, il y avait 22 KSU actifs sur Amsterdam, chaque quartier avait son propre KSU.

Sur Amsterdam il existe aussi le SPOK [https://speculanten.nl/] depuis 1977. Le SPOK est le Collectif de Recherche sur la Spéculation. La permanence se tient chaque mercredi, de 20h à 21h, au Spuistraat 5. Les KSU conseillent généralement aux gens qui veulent squatter un bâtiment appartenant à un propriétaire privé de passer au SPOK pour en savoir un peu plus sur les proprios, leurs affaires en immobilier, leurs histoires avec la justice, la ville et les squatters. Depuis son lancement en 1977, le SPOK archive dans une base de données tout ce qu’ils peuvent sur une adresse, un nom de personne/compagnie, les articles de presse sur tout ce qui concerne l’immobilier et la spéculation. Maintenant, l’archive est numérisée. Nombreuses sont les publications du SPOK, au début sur papier, maintenant sur internet. Le manuel du SPOK intitulé « De qui j’achète, loue ou squatte ? » date de 2009 et est toujours d’actualité [http://speculanten.nl/uploads/files/VAN_WIE_HUUR_KOOP_OF_KRAAK_IK.pdf].

Sur cette page se trouve un documentaire en néerlandais, « Eerste Kraak » (Le Premier Squat), qui date le premier squat « kraker » à février 1969.


Sur radar.squat.net se trouve une liste actualisée de KSU néerlandais, oficinas de okupación ibériques, permanences logement françaises et autres.