Depuis cet été, plusieurs squats parisiens ont été expulsés, d’autres ont obtenu un sursis pour cet hiver. Mais la lutte continue et déjà plusieurs ont réouvert. Petit bilan de ces migrations sous pression policière et quelques détails à propos du squat des Orteaux qui ouvrit suite à l’expulsion de Jaurès .
L`EXPERIENCE DES ORTEAUX
Ouvert le 26 octobre 1998, le 11 rue des Orteaux (20e arr.) était à l ‘origine composé de la dizaine d’habitantes du 157 avenue Jean Jaurès (19e) plus ceux et celles qui s’étaient greffés entre-temps, soit dans les dernières semaines de Jaurès, soit durant l’hébergement de trois semaines au squat du 37 rue des Maraîchers (20e). Au total, ce sont près de seize personnes qui ont ouvert. Si chacun(e) a pu avoir une chambre, l’espace commun s’est rapidement révélé étroit avec une seule cuisine et une douche et à peine deux salles communes. Rapidement, le fonctionnement en assemblées générales a vu une partie des habitantes ne plus y participer, faute d’envie de ces discussions qui durent 3-4 heures et aussi rebutée par l’ambiance qui y régnait souvent (couper la parole ou la garder longtemps, débats acharnés sur des détails, quasi-monopole des grandes gueules).
Peu à peu, le vague projet initial d’en faire un lieu de vie et d’activités n’a plus eu de sens, chacun, se contentant de regroupements informels. Eurent lien tout de même des cours d’alphabétisation tout au long de l’année avec des immigrés venus par le bouche à oreille (une dizaine), un début d’infoshop, quelques réunions politiques de groupes organisés ou non (comme un collectif informel contre la guerre au Kosovo) et la participation active à l’intersquat parisienne autour du 15 mars. Une quinzaine de personnes, principalement d’Allemagne et de Hollande, furent hébergées à cette occasion. Du squat partirent également des initiatives comme des bombages et collages dans le quartier, la participation ou l’organisation d’actions.
Au fur et à mesure, cette dislocation du collectif a abouti à l’installation de nouvelles personnes sans que des règles ne soient établies : l’assemblée générale approuvait au début leur présence puis elles se contentaient d’habiter là. Puis ce minimum ne fut même plus respecté et qui voulait pouvait partager des chambres tandis que l’idée avançait que des habitant(e)s pouvaient refiler leur chambre à d’autres en quittant les Orteaux, sans demander l’avis à quiconque.
Bien sûr, le fait que le collectif n’avait pu démarrer sur des bases claires et que l’accueil initial de personnes n’impliquait pas de projet commun, a fortement contribué à cela. Les habitant(e)s n’ont jamais pu se mettre d’accord sur le partage des tâches collectives (vaisselle, ménage, récup’ sur les marchés, … ), certain(e)s préférant l’informel, d’autres devant l’impossibilité de se coordonner à 16 puis 25 réclamant une organisation collective et donc forcément un peu plus de contraintes (genre des tours pré-établis par tâche et tournants).
Le nombre de personnes, les divergences quant au projet du lieu ou l’absence même de projet, la dégradation des rapports humains, la dégradation du lieu liée aux tâches (vaisselle, ménage) non effectuées ont fait que tous et toutes ont après l’intersquat peu ou prou démissionné. Le procès fin mai a vu peu de personnes se sentir concernées et finalement c’est le 11 août (soit deux mois de délais) que le juge a laissé aux occupant(e)s pour déguerpir.
Plusieurs tentatives d’ouverture, par petits groupes, ont alors eu lieu pour se regrouper avant cette échéance, associant parfois d’autres squatter/euses. Le 11 mai 99, après trois jours le 4 rue Gobert (11e) est expulsé par une police qui boucle le quartier, après que les vigiles de la mairie de Paris eurent d’abord été repoussés par la présence de camarades venus en soutien. Le 4 juin 99, c’est le 77 rue Orfila (20e) qui se trouve expulsé par la police après plusieurs jours d’occupation. Enfin, le 17 août 99, c’est le 58 boulevard Arago (13e) que les keufs expulsent après trois semaines de vie commune. Dans ce cas par contre, le propriétaire (l’Université de Paris-1, Panthéon Sorbonne) a obtenu l’expulsion immédiate du tribunal après avoir tout de même d’abord envoyé ses vigiles et un serrurier, repoussés à coup de gaz lacrymogène. Finalement, le squat des Orteaux s’est trouvé vide fin août, la plupart des habitant(e)s ayant pris l’habitude comme n’importe quel esclave salarié de migrer en été. Fin septembre, le propriétaire n’a eu qu’à changer la porte, plus personne ne s’intéressait aux Orteaux…
ET LES AUTRES SQUATS ?
Le squat du 37 rue des Maraîchers (20e) a ouvert en juin 1997. Composé d’une quinzaine d’habitant(e)s, il héberge notamment le Collectif Anti-Expulsions (CAE). Le 23 juin 99, il a obtenu un délais de 6 mois, ce qui renvoie son expulsabilité après la trêve d’hiver, vers avril 2000. A noter cependant que l’expulsion manu militari d’une famille africaine dûe à des mésententes qui ont dégénérées a provoqué une large embrouille et que le 26 juillet 99, une petite centaine de keufs ont investi le squat en force, détruit le mobilier et mis deux habitant(e)s en garde-à-vue durant 14 heures. Ils n’avaient pas supporté d’être mis en minorité la veille par les participant(e)s à l’auberge espagnole du squat lors d’une brouille avec un commerçant du quartier.
Le squat dit La Sérigraphie, situé au 4 rue Renouvier et ouvert en décembre 98, n’a pas participé à la mascarade dite « procès » le 2-5 mai 99 et obtenu tout de même un mois de délai. Il n’est pas expulsé à ce jour.
Le squat situé rue Pierre Bayle (20e) a été expulsé le 10 juillet 99, après deux ans d’existence. La police a vidé les portables de leur contenu et gardé une partie de leurs affaires personnelles (agendas…).
Le squat de la clinique à St Denis (93), qui participait comme La Sérigraphie à l’intersquat du 15 mars, a été expulsé courant avril, les habitant(e)s préférant partir avant la fin, après deux mois de présence. Enfin, le squat situé au 31 rue Farcot à St Ouen (93), dit le POUM (Pour Une Maison Ouverte), a été définitivement expulsé le 26 août 99. Ouvert depuis trois ans, c’était au départ un lieu d’échanges (débats et projections) et de partage de savoirs (nombreux ateliers) puis d’accueil de familles tziganes.
DES OUVERTURES
Plusieurs projets sont en cours, d’autres existent déjà dans le 13e et le 20e. Nous ne pouvons donner ici leurs adresses. Mais l’une des leçons à retenir des Orteaux (et de l’embrouille sur la famille à Maraîchers), concerne à mon avis la question du projet d’ouverture. Qui plus est à un nombre supérieur à la dizaine, il est important que les habitant(e)s se mettent d’accord à la fois sur l’utilisation du lieu (simple habitation, projet de quartier, projet plus large) et surtout sur les règles communes, tant à propos de la gestion quotidienne que du fonctionnement collectif. Car si le squat n’est pas une fin en soi car il se « contente » d’une réappropriation partielle, c’est bien plutôt par son fonctionnement (notamment les rapports entre les gens) et son rapport à l’extérieur qu’il peut alors porter un projet émancipateur.
Un ex-habitant des Orteaux