Pendant 6 jours cet été, des centaines de personnes -militantEs et sans abris, jeunes et moins jeunes confondus- ont vécu à Montréal une aventure formidable, une expérience hors du commun : l’alternative en actes, l’autogestion au quotidien, enfin, bref, ils et elles ont ouvert un squat politique. Le premier à tenir le coup si longtemps de mémoire de militant québécois. Et l’expérience risque de se poursuivre, en effet, les squatters ont gagnés la gestion d’un ancien centre communautaire dans le quartier Rosemont.
Squat : Action de squatter un logement; logement ainsi occupé.
Squatter : Personne sans abris qui occupe illégalement un logement vacant ou destiné à la destruction.
« Un squat c’est la reprise d’un immeuble vacant par des mal-logés qui s’y introduisent, généralement par infraction, pour l’investir, le réaménager à leur goût, y habiter » explique Mathieu Thériault du Comité des sans-emploi qui souligne que l’expérience est plus fréquente en Europe, « les squatters sont des gens qui vivent comme tous les autres, à la différence près qu’ils ne paient pas de loyer » rajoute-t-il. Bref, une façon radicale, puisqu’elle tend à nier la propriété privé, de régler un problème de logement.
Le 27 juillet dernier, une centaine de personnes, appuyés par environs 300 manifestantEs, sont devenus des squatters en occupant illégalement une bâtisse abandonnée depuis plus de 12 ans, la « Maison Louis-H Lafontaine » (du nom d’un « célèbre politicien canadien-français », père de la confédération, qui y a déjà habité), rebaptisé « squat d’Overdale » par les uns et « 13 rue de l’espoir » par les autres.
Pendant 6 jours, de 50 à 200 personnes ont été sur place en permanence. Il y avait des anars, des militantEs de tout horizons, des jeunes marginaux et des itinérants, des pauvres ordinaires et des résidantEs des environs. « Tout le monde mettait la main à la pâte » indique M. Thériault, rajoutant « en une fin de semaine une petite communauté s’est créée, ça ne dépend plus juste de nous [les organisateurs], les gens se sont organisés pour la sécurité, pour les rénovations, pour le ménage, la bouffe, etc. ». « Le squat fonctionne en autogestion » d’après le militant, qui précise « c’est une application en microcosme des principes anarchistes : on fonctionne en assemblées générales fermées aux journalistes; avec la démocratie directe tous le monde s’exprime, c’est pas toujours évident de garder la cohérence, mais on fait notre possible ».
« On se laissera pas expulser
On se laissera pas gentrifier »
Le squat de la rue Overdale fut ouvert à l’initiative du Comité des sans-emploi Montréal Centre, un groupe radical du quartier centre-sud de la métropole. Mathieu Thériault explique que « c’est un comité de lutte qui a été fondé vers 1993 sur des bases anticapitalistes et anticoncertation1 », « Le comité est autonome, refuse les subventions et n’a pas de permanent, il ne tient que par la volonté d’une poignée de militantEs » précise-t-il.
À la base, le Comité n’est pas un groupe logement, alors pourquoi s’intéresser soudainement aux questions logements? « Pendant un bout, on s’est surtout intéressé à la faim » raconte le militant, « on s’est fait connaître avec les commandos bouffes en 1997 et on a fait plusieurs assemblées publiques là dessus ». « Ceci dit, il y a un réel problème de logement » explique-t-il, « cette année c’est devenu assez extrême, avec plus de 400 familles à la rue le 1er juillet, des gens forcé d’aller vivre dans des campings et chez des amis ». « De plus, dans centre-sud, la gentrification est très présente, dans tout l’ouest du quartier il y a plein de nouveaux condos » précise-t-il, « notre quartier est en train de devenir un nouveau Plateau Mont-Royal ».
Le Comité voyait venir la crise depuis plusieurs années. En mai 2000, lors d’un camp de réflexion, l’idée d’un squat et d’une campagne logement a été sérieusement discutée. « On fait ce que des groupes logements auraient du faire depuis des années, à commencer par le FRAPRU qui aurait du squatter Overdale depuis longtemps » estime Mathieu Thériault.
La campagne logement, dont l’Infobourg s’est déjà fait l’écho, dure depuis un an et demi. « C’est une campagne en crescendo » indique M. Thériaut, « en décembre on a brièvement occupé l’ex cinéma Berri, puis il y a eu une action femme en mars, on a aussi fait une fête de quartier avec épluchette de blé d’inde et projection de films sur les squats, il y a eu 3 assemblées publiques et plusieurs soupers spaghettis avec projection vidéo, ça ne sort pas de nul part » rappelle le militant.
Il aura fallu 3 mois de préparation intensive au Comité des sans-emploi pour préparer le squat. « Des militantEs nous ont reproché notre lenteur, mais je pense que le fruit était mûr avec la campagne électorale municipale, l’été et la crise du logement » pense M. Thériault, « aujourd’hui, quand on parle de squat, les gens ne nous regardent pas comme des extraterrestres ». L’action à une double fonction pour le Comité : « Nous sommes un comité de lutte et nous faisons souvent des actions spectaculaires pour tirer la sonnette d’alarme, pointer un problème, donc le squat c’est un peu ça, réussir à faire du logement un enjeu politique et médiatique ». D’autre part, Mathieu Thériault souligne que « il y a du monde, des jeunes de la rue surtout, qui en ont carrément besoin », il rappelle que « ce monde là ce fait expulser de partout, il s’agit un peu de prendre notre place, puisque personne ne va nous la donner ». Le comité aimerait bien faire du squat un espèce de centre social autonome (il y a déjà des concerts et une AG de la CLAC).
Des appuis nombreux aux squatters
Si l’idée de squat et la vue de cette foule bigarrée a pu en laisser plus d’un interloqué, l’appui aux squatters est très fort d’après Mathieu Thériault. « C’est vraiment extraordinaire, dans un quartier rasé où il n’y a plus grand monde en dehors des tours à bureaux, les voisins d’en face sont très réceptif » dit-il, « il y en a une couple vraiment l’fun, ils viennent bouffer avec nous, les gens viennent porter des affaires (de la bouffe des outils, des meubles, etc.), il y a même un gars qui est sorti de nul part et qui nous a donner 1500$ en liquide! ». Du côté des groupes aussi l’appui se développe. « On a eu l’appui de groupes radicaux comme l’Ontario Coalition Against Poverty, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) et de groupes réformistes comme le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, le FRAPRU (qui était sur les lieux quotidiennement), le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) et le Conseil Central de Montréal de la CSN » rappelle M. Thériault « les appuis se font sur nos propres bases, certainEs auraient peut-être voulu qu’on se la joue radical mais ça nous aide que des groupes comme le FRAPRU nous appui, ça fait du squat une patate chaude ». Même certains politiciens municipaux, comme Michel Prescott l’actuel chef de l’opposition à la Ville de Montréal, sont venus faire un tour au squat. « C’est évident que le logement est un enjeu électoral, c’est une grosse récupération sale, une manoeuvre assez grossière… mais ça fait chier Bourque [le maire de Montréal] et donc ça nous aide » explique le militant.
Les avis étaient partagés quant aux chances de survie du squat. La plupart des gens pensaient que les squatters ne tiendraient même pas leur première nuit, mais après cinq jours d’occupation, certainEs entretenaient un mince espoir. « Vendredi [le 27 juillet], la menace des flics était assez sérieuse, il y a une douzaines de flics anti-émeutes qui ont voulu nous empêcher de rentrer » raconte le militant, « depuis, la situation est stable, il y a deux vans de police en permanence, et les flics doivent se mordre les doigts de ne pas être intervenus vendredi ». La « situation stable » n’empêche pas certains incidents, ainsi lundi le 30 juillet, la police est intervenue assez violemment contre une des jeunes punks chargée de la sécurité. « Ils l’ont jetée à terre pour lui prendre son C.B. mais elle l’avait déjà lancée au bout de ses bras » raconte Mathieu Thériault, « ça ressemble pas mal à de la brutalité policière! ».
Pendant cinq jours, les squatters ne savaient pas trop s’ils tiendraient le coup ou s’ils seraient expulsé. « L’attitude de la police est tellement imprévisible! Ça dépend beaucoup du politique » pense M. Thériaut. Et justement, le squat est rapidement devenu un enjeu hautement politique. En effet, plutôt que d’employer immédiatement la manière forte, les autorités municipales ont laisser les choses aller pendant cinq jours. Puis il y a eu une rencontre entre une délégation de squatters et le maire. « Nous, on avait demandé que le maire vienne sur place nous rencontrer, mais, surprise!, il a refusé » dit M. Thériault « La réunion a eu lieu en terrain neutre, au YWCA ». Le comité n’allait pas là pour négocier mais pour écouter. « Nos revendications étaient claires : on voulait qu’ils exproprient la place. On ne veut pas devenir proprio, on veut être toléré, c’est tout ». Du côté de la Ville, un communiqué a été émis disant que l’occupation devait cesser et promettant que tous les squatters seraient relogés. Devant le refus des squatters, les négociateurs de la Ville ont cependant dû refaire leurs devoirs. Du côté du proprio, « c’est clair qu’il veut qu’on criss le camp mais il attendait après la Ville ». Finalement, après quelques autres cessions de négociations, la Ville a fait connaître son offre finale : une bâtisse dans le quartier Rosemont (le Centre Préfontaine, un ancien centre de réadaptation appartenant à la Ville de Montréal beaucoup plus à l’Est) pour permettre aux squatters d’éventuellement faire une coopérative d’habitation, le tout assortit d’un ultimatum.
Après une longue discussion en assemblée générale, les squatter ont accepté l’offre de la Ville par un vote à forte majorité (une poignée de squatters s’étaient toutefois barricadés dans les lieux, mais ils sont finalement sorti quelques heures plus tard, sans trop de casse, excepté l’arrestation de quelques sympathisantEs). « On a posé nos conditions, affirme Marie-Claude Goulet, membre du Comité des sans-emploi. On a demandé l’autogestion, la gratuité, pas de comptes ni de loyers, l’amnistie de tous les squatters, et on a gagné ». « C’est clair que c’est une victoire » estime Mathieu Thériault, « la Ville a céder sur toute la ligne » rajoute-t-il. C’est même la municipalité qui assumera tous les frais liés à l’édifice (téléphone, électricité, etc.). Les squatters étant déjà sur les lieux, il y a peu de chance que la Ville puisse revenir en arrière… Mathieu Thériault explique que « c’est une immense bâtisse avec un grand terrain, beaucoup plus grande que celle que nous squattions ». Il y a des douches, des chambres, « ce sera beaucoup plus facile d’y vivre pour des familles » estime le militant.
Marie-Claude Goulet averti toutefois que « ce n’est pas une victoire totale, la lutte continue. La guerre n’est pas gagnée, on a juste gagné une bataille ». La militante appelle « la population, les syndicats et les groupes communautaires à lutter, parce qu’on voit qu’il peut y avoir des gains, et il faut continuer à lutter de façon radicale et ne pas accepter les injustices, les inégalités et l’oppression dans notre société. » Un appel qui risque d’être entendu si on se fit aux déclarations de François Saillant, du FRAPRU, juste après l’annonce de l’entente : « On vient de voir que ce type de moyen peut être extrêmement rentable du point de vue politique et, dans ce sens-là, c’est extrêmement inspirant ». D’ailleurs, l’organisme s’est déjà voté des occupations de terrains et de bâtisses au printemps lors de son congrès de juin.
Notes :
1 – Gangrène du mouvement social québécois, la concertation consiste à s’asseoir avec des politiciens et des patrons, sans rapport de force, plus souvent qu’autrement, pour se « concerter »
2 – Overdale, le site du squat, est une des luttes marquantes du FRAPRU qui avait tenté d’empêcher à la fin des années 1980 l’expulsion de quelques dizaines de locataires et la destruction de leur logements. Le squat est la seule bâtisse encore debout de cet îlot.
Nicolas Phébus