Mercredi 12 décembre, nous sommes arrivés, comme beaucoup de manifestants venus d’un peu partout, à la Gare Leopold occupée. Nous trouvons là des tables de presse, des infos et un repas qui réchauffe. Très bon accueil du collectif qui tient la gare. Dans la soirée, une AG a lieu, réunissant une soixantaine de personnes environ : il s’agit de savoir si nous allons investir le squatt ouvert à notre intention le soir même ou le lendemain.
Les besoins d’hébergement sont urgents, la plupart d’entre nous n’ayant pas d’autre point de chute, le choix est donc fait de partir par petits groupes de 10 vers minuit.
Une fois sur place, nous découvrons un bâtiment de 5 étages (proprio : la Ligue des Familles, assoc’ catho.) chauffé, eau courante, toilettes. l’idéal pour loger au moins 200 personnes durant les manifestations. Nous nous retrouvons pour une AG : organiser des tours de garde, repérer les possibilités de fuite, etc. Vers 3 ou 4 heures du mat’, les gens sont allés dormir. A 7 heures, une voix nous réveille : « Police, Police ! »
Hésitations : au ton de la voix, certains se demandent si c’est une blague. Je descends en vitesse dans la cour arrière. J’attends les copains. Je vois une dizaine de personnes passer le mur. D’autres descendent des étages, on se demande si on part, si on attend les autres, si on essaie de tenir. Gros flottement qui se retourne contre nous. J’ai le temps de téléphoner à la Legal team. Je vois encore deux personnes grimper à l’échelle et s’enfuir par les toits. Et l’apparition sur le haut du mur latéral d’un flic, pistolet au poing, qui nous met tous en joue et nous fait asseoir. Il est tout seul mais son arme pointée ne nous fait pas tergiverser : on ne bouge plus. D’autres personnes descendent encore des étages. 4 flics arrivent dans la cour et surveillent. Quelqu’un se met à chanter, les flics le chopent, un copain s’élance pour le défendre, ils lui balancent la tête dans le mur. Les gens qui se sont rendormis sont délogés vite fait. L’attente commence. Les flics mettent du temps à casser la chaîne pour ouvrir le rideau de fer du hall d’entrée. Puis un par un, nous sommes fouillés avant de monter, tout seul ou porté par les flics dans des fourgons aux vitres opaques. Avant de monter, je vois des gens de la Gare venus assister à l’expulsion, c’est rassurant, je me dis qu’ils vont faire quelque chose.
Arrivée à la caserne de Etterbek (nous sommes sous le coup d’une arrestation administrative (12 heures de GAV maximum) pour « occupation illégale d’une habitation » : fouille, puis on nous retire tout ce qui peut être dangereux : lacets, soutien-gorge pour les filles (très dangereux ça), collants, on me prend mon blouson à cause du cordon (alors qu’il gèle). Puis direction la photographie. Je leur dis qu’ils n’ont pas le droit, pour la forme. Chacun fait ce qu’il peut : grimaces, tête tournée, cheveux dans la figure, devant moi un copain se débat fortement et plusieurs flics le maintiennent sans ménagement. Petite consolation : sa photo sera vraiment ratée.
Nous passons 10 heures dans deux salles glaciales : une pour les 38 (je crois) garçons, une pour les 4 filles. Il y a deux Australiens, un Grec, entre autres venus de loin. Les heures sont interminables. On nous donne de quoi manger (deux gaufres, une pomme) et boire. A 15 heures (on est là depuis 9 heures du mat’) on nous distribue des couvertures. A 17 h 30, on nous sort, on nous donne le formulaire « Ordre de quitter le territoire, avec décision de remise immédiate à la frontière, pour ne pas troubler de nouveau l’ordre public » signé de P. Schockaert, ministre de l’intérieur belge.
Puis, c’est la « déportation » : retour aux fourgons pour le départ vers la frontière. On chante « mort aux condés », on essaie de plaisanter, ça redonne le moral à ceux qui n’en peuvent plus. Deux heures plus tard, à 21 heures, on nous remet entre les mains de la police française qui vérifie juste nos identités, à Halluin, endroit perdu, sur le bord d’une nationale, où heureusement une friterie est ouverte. Le gérant nous accueille très gentiment, avec nos dégaines de squatteurs épuisés. On peut se réchauffer, enfin. On mange, on discute, on téléphone à droite à gauche. La majorité veut remonter tout de suite sur Bxl. La friterie ferme, nous marchons 2 km par – 10° pour nous installer dans le hall d’un Formule 1. Quelques uns sont partis de leur côté. La plupart d’entre nous repartira grâce au « système D » sur Bxl. Je remercie pour leur aide, au passage, ceux qui ont fait l’aller-retour Bxl-frontière-Bxl-frontière-Bxl pour faire remonter tout le monde durant toute la nuit ainsi que N. de Radio Bruxelles et S. pour l’hébergement.
Tout a été fait pour empêcher le plus de monde possible de manifester. La simple occupation d’un squatt ne justifiait pas l’expulsion, ni le fichage et les photos. Les flics se sont vantés de leur « coup de filet », certains regrettant même « de n’être plus au temps de l’occupation nazie ».
L’association Ligue des familles a dit (le lendemain) que si on lui avait demandé, elle nous aurait laissé tranquilles dans le squatt. Eh oui. Mais ça ne l’a pas gênée d’appeler les flics pour nous déloger.
Nous avons pu participer aux manifs, notre objectif de départ a été tenu, c’est le principal.
sAm