Dijon: Interview du squat Pamplemousse

Ci dessous, de larges extraits d’une interview du squat dijonnais PAMPLEMOUSSE (août 2001), parue dans un fanzine :

* Première question habituelle ; pouvez-vous présenter et donner un petit « historique » du squat ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à ouvrir le Pamplemousse ?

Grenade : La Pamplemousse (pamplemousse est indifféremment masculin ou féminin, le saviez-vous ?) est située au 18, rue du Midi, à Dijon. 03 80 48 01 14, c’est notre téléphone ; pamplemousse [at] squat [point] net, c’est notre e-mail. Nous avons ouvert le Pamplemousse au début du mois d’octobre 2000. En ouvrant à six garçons, nous voulions tout particulièrement travailler ensemble sur nos comportements liés à notre « masculinité », entretenir des rapports différents de ceux que vivent les garçons en groupe. Nous avions cette volonté en commun, mais pour le moment, on ne peut pas dire que l’expérience ait été extrêmement fructueuse à ce niveau-là… Ce qui ne signifie pas non plus qu’on n’en ait plus rien à faire, disons que la communication entre nous n’est pas toujours des plus aisées et que le travail collectif initialement prévu n’a finalement pas été formalisé.

Abricot : Ouvrir un squat est bien entendu une envie politique, qui consiste à utiliser un lieu laissé à l’abandon. On sait que plein de logements sont vides, et que travailler pour payer un loyer en fait profiter ses propriétaires, c’est très aliénant, n’est-ce pas ? La solution immédiate est de se servir en combattant la Loi, qui a fait voeu de protéger la propriété privée. Je pense que nous n’avons pas l’engouement que propose le modèle capitaliste pour « réussir dans la vie ». Je crois que nous voulons justement « réussir notre vie », c’est-à-dire agir consciemment et complètement sur notre vie, ce qui implique la destruction de toutes les entraves à cette entreprise.

Ananas : Tout d’abord, le Pamplemousse est le premier squat où j’habite. A force de me balader dans quelques squats et de rencontrer des gens vivant ainsi, je me suis dit « Hé, pourquoi pas ? » ; ce n’est pas vraiment évident au départ de te dire que tu vas sortir du « rang », et décider de squatter, de ne pas travailler, etc. (ce n’est pas l’envie qui manque !), mais c’est un choix politique que je ne regrette pas. Les raisons qui m’ont poussé à squatter sont d’ailleurs multiples : pas envie d’enrichir un-e patron-ne ni un-e propriétaire, prendre ce dont tu as besoin sans demander ou attendre qu’on te le donne, essayer de mettre des idées en pratique, vivre en collectivité,… Évidemment, il y a des choses qui ne me satisfont pas vraiment au Pamplemousse par rapport à certaines envies posées au départ (cf. ce que dit Grenade), mais je ne regrette vraiment pas d’avoir ouvert ce squat et j’espère qu’il sera le premier d’une longue lignée !

Pruneau : Peut-être est-ce bon de préciser que le Pamplemousse est installé dans une maison restée à l’abandon pendant 15 ans, sur 2 étages, un rez-de-chaussée et un jardin (qui ressemblait à une jungle et une décharge à notre arrivée). Le tout appartient à un propriétaire privé, qui dispose d’un confortable cheptel de maison (plusieurs propriétés réparties en France, dont un luxueux appartement à Paris, dans le 17° arrondissement). Après quelques semaines de travaux, peinture, nettoyage et aménagement, le Pamplemousse est né !

* Que représente pour vous le fait de vivre de cette façon ? Vivre dans un tel lieu n’est-il pas la meilleure façon de vivre selon ses convictions mais aussi la plus difficile à mettre en place ?

Grenade : Vivre en squat, c’est pour moi une des meilleures façons d’essayer de vivre ses idées ici et maintenant sans attendre le « Grand Soir ». Je suis convaincu que si une révolution doit avoir lieu, elle ne tombera pas du ciel ; un peu de dialectique mène nécessairement à vivre le positif et le négatif simultanément : lutter contre l’oppression permanente, affirmer nos désirs en essayant de la dépasser.

Abricot : Je ne pense pas que vivre en squat soit plus difficile à mettre en place que d’aller contre ses convictions, à savoir subir le « travail-famille-ennui ». Il suffit de trouver des gens intéressantes et motivées.

Ananas : Pour moi, squatter doit être une manière de mettre en pratique certaines idées, de ne pas attendre que ça change et d’être dans une société libertaire pour vivre autrement : c’est maintenant que je veux vivre sans temps morts et jouir sans entraves (ce qui ne veut pas dire que je réussis à le faire…) ! En plus, je veux aussi que les choses changent dans mon quotidien, dans mes relations avec les autres, en essayant d’en finir avec les rapports de domination, etc. Par contre, je n’ai pas envie de m’enfermer dans un squat en me disant que c’est cool si j’arrive à vivre d’une manière alternative, etc. : je pense que ce n’est pas la multiplication de « petits îlots d’anarchie » ou de Zones d’Autonomie Temporaire qui changeront radicalement la société, mais une véritable révolution sociale !

Pruneau : Moi, je pense que résister, ce n’est pas seulement affronter ce qui nous déplaît, mais c’est aussi y créer des alternatives (dépasser la seule critique…). Même si l’on ne peut prétendre vivre des alternatives « totales » et pleinement épanouissantes dans le contexte d’une société aliénée, je pense qu’il est possible, à bien des niveaux, de prendre sa vie en main et de vivre des choses intéressantes. Squatter, c’est un de ces moyens. En tout cas, je ne vois pas ça comme une fin en soi (le squat n’aurait aucun sens dans une société dépourvue de propriété privée), mais comme une possibilité de s’épanouir… et d’expérimenter ce qu’on voudrait voir développé à plus grande échelle. Je ne crois pas non plus à une révolution qui ferait table rase du passé, qui changerait tout en trois coups de cuiller à pot. Il s’agit donc dès maintenant de penser ET pratiquer les bases de nos projets de société… en ayant conscience des limites que nous imposent ces expériences « limitées ». Autant ne pas non plus oublier que si changement il y a, les autorités ne seront certainement pas prêtes à l’accepter, et que confrontation et création doivent être articulées, pas opposées.

* Aux yeux du « grand public », le terme squat est très péjoratif ; y a-t-il eu des réactions positives ou négatives de la part des voisinEs ?

Grenade : C’est justement parce que le terme est en général discrédité (un peu comme celui d’anarchie) que nous devons nous l’approprier et montrer qu’un squat peut être un lieu d’émancipation personnelle et collective. Dans l’ensemble, nos voisinEs nous ont plutôt bien acceptés dans le quartier. Nous avons des contacts plus ou moins fréquents avec certainEs d’entre elles-eux, plusieurs nous ont soutenu par écrit lors de notre procès, nous ont aidé matériellement (dons de meubles, par exemple) et/ou sont devenuEs nos amiEs..

Ananas : En parlant des voisin-e-s, on a reçu le petit mot suivant après la distribution dans les boîtes aux lettres du quartier de notre flyer/invitation à la « Garden Party » qu’on organisait le 03/06 : « Cher Pamplemousse, merci beaucoup pour votre invitation de dimanche, à laquelle nous ne viendrons pas : nous sommes propriétaires, nous avons des amis juge ou huissier, et nous sommes pour le droit à la propriété privée et contre le squatt ! D’ailleurs, nous pensons que dans une dizaine d’années, vous penserez comme nous… Soignez bien le jardin, amusez vous et … mûrissez, des voisins. » Je tiens quand même à dire que cette lettre n’est pas représentative de l’attitude du voisinage à notre encontre : dans l’ensemble les gens s’en foutent tant qu’on ne les dérange pas (n’est-ce pas d’ailleurs un problème ?), il y en a quelques un-e-s qui ne nous aiment pas trop (et c’est réciproque en ce qui me concerne), mais plus (autant qu’on le sache) qui sont assez sympas et avec qui ça se passe bien. En général quand des voisin-e-s passent chez nous, je pense qu’elles/ils sont agréablement surpri-se-s et que ça casse certains de leurs préjugés quant au squat… (même si nous ne sommes qu’un type de squat parmi d’autres).

Pruneau : Une voisine nous a traité de « nantis », parce qu’on a des téléphones portables, l’eau et l’électricité. Les « vrais squatteurs » doivent-ils vivre dans la merde ? Cela dit, je préfère m’attarder sur tel voisin sympathique qui vient apporter un gâteau et une brique de jus d’orange à notre goûter avec ses quatre enfants dans les bras pour discuter, ou encore sur tel autre voisin qui nous indique une maison vide dans la rue adjacente, que de m’éterniser sur des anecdotes qui témoignent de l’incompréhension de certaines personnes à notre égard. De toutes façons, la plupart des gens n’ont pas les clefs en main pour comprendre notre démarche, pétris qu’ils sont de clichés et de craintes. Je ne leur en veux pas, j’aimerais juste leur permettre de changer, et ça peut prendre du temps, je crois. Nos tracts et affiches sont là pour ça, pour que la mémé d’à côté ou le petit garçon d’en face viennent nous rencontrer, plutôt que se s’enfermer dans les peurs et préjugés.

* Vous avez par ailleurs organisé des rencontres avec ces mêmes voisinEs ; qu’en est-il ressorti ? Pensez-vous qu’un squat ait un rôle à jouer dans l’idée « Think globally, act localy » en étant plus qu’un simple lieu d’habitation ?

Grenade : Le 7 janvier 2001, nous avons organisé un goûter « de quartier » chez nous, c’était un dimanche après-midi et pas mal de voisinEs sont passéEs, les petitEs comme les grandEs. Nous avions prévu plein de gâteaux et de jus de fruits, nous ne l’avons pas regretté, c’était vraiment chouette. Malgré l’enthousiasme qu’a suscité ce sympathique et convivial goûter, nous n’avons pas souvent réédité ce type d’expérience (à part la Garden Party de début juin, je crois que c’est tout d’un point de vue formel…). Il faut dire que nous sommes des garçons très occupés, un peu comme des hommes d’affaire, quoi. Le mois de janvier s’est notamment terminé par l’engagement du Pamplemousse dans la lutte contre le Forum économique mondial qui se tient tous les ans à Davos, en Suisse. C’est quoi des hommes d’affaire anticapitalistes ? Des activistes ? Houlala, non, pas ça… Enfin bon, penser global et agir local, oui, tu peux aussi remuer le tout, penser local aussi, agir global, tout est possible.

Ananas : Les rencontres avec les voisin-e-s ont été plutôt positives, et je pense que c’est une chose importante que doivent faire les squats que de communiquer et de « s’ouvrir » au voisinage. D’ailleurs, le squat a effectivement, à mon sens, un rôle à jouer dans l’idée « Penser global, agir local », et ne doit pas être refermé sur lui-même (au risque, entre autres, d’être trop coupé de la réalité). Mais bon, le Pamplemousse n’est pas à proprement parler un squat d’activités, même si nous avons organisé quelques trucs, à destination du quartier ou plus largement (Semaine Libertaire, etc.). En ce qui me concerne, je crois que j’ai plus envie de vivre dans un squat « d’habitation » que dans un squat où il y aurait plein d’activités (hormis quelques « événements » à destination du quartier). Ce qui ne m’empêche pas de m’investir dans des lieux d’activités (Tanneries, Local Libertaire), où d’avoir d’autres activités politiques.

Pruneau : Il me semble aussi très important d’être ouvert sur le quartier, et sur les gens en général. Vivre en squat peut être une expérience riche et épanouissante, mais le fait de construire des alternatives aux rapports normés n’est pas sans problèmes. En se « libérant », on creuse le fossé entre ceuzécelles qui tentent de mettre en place une autre société, et cellezéceux qui essaient de s’y insérer, et qui souvent n’ont pas même idée des critiques que nous pouvons lui adresser (bien que ces personnes souffrent de la société, mais c’est ce qu’on appelle l’aliénation). S’ouvrir, c’est donc permettre à des gens de découvrir « notre univers » : nos envies, revendications, tentatives de faire, etc., mais aussi l’occasion pour nous de ne pas perdre pied, de ne pas nous enfermer dans un « ghetto alternatif » qui nous éloignerait des réalités quotidiennes de quantité de gens.

* Quelles sont pour le moment les autres manifestations qui ont eu lieu au Pamplemousse ? Est-ce facile d’organiser des trucs et de faire circuler des infos sur Dijon concernant vos activités ?

Grenade : Zut ! Nous n’avons pas précisément noté ce que nous avons organisé à la maison. Nous avons fait une « pendaison de crémaillère » entre amiEs, un goûter de quartier, une bouffe intersquat, une Garden Party, une journée thématique sur les squats dans le cadre de la semaine libertaire à Dijon début mars 2001 (avec expo, vidéo, débat, bouffe végétalienne, …), un rassemblement devant la pref’, plusieurs réunions « politiques » (notamment pour l’intersquat dijonnaise), etc. Sur Dijon, ça n’est pas très compliqué de faire passer des infos ; ce qui est un petit plus compliqué, c’est de trouver le temps d’organiser des activités chez nous, parce que le milieu « anarchiste-squat-tout-ça » est tout le temps pris par plein d’activités en même temps…

Ananas : C’est vrai que faire passer des infos n’est pas très compliqué, le problème est juste que les gens s’intéressent à ces infos, et fassent la démarche d’aller vers nous (et arrêtent de se comporter en spectatrices/eurs) ! Ce qui d’ailleurs n’est pas un problème spécifique aux squats…

Pruneau : A Dijon, la diffusion d’infos n’est pas très difficile ; le milieu alternatif y est relativement développé. Sans pour autant être légion, les anarchistes & autres contestataires radicaux/radicales tendent à être un peu organisé-e-s, et disposent de quelques structures. Qu’il s’agisse des squats d’habitation, d’activités, des deux mélangés ou du local libertaire, il y a des lieux pour s’exprimer, organiser diverses manifestations, toucher des gens pas spécialement politisés. Actuellement, des discussions se mettent en place entre les actrices et acteurs d’initiatives alternatives au sein d’une sorte d' »inter-libertaire » dijonnaise, pour connecter le travail « individuel » des différents groupes militants, et faciliter la cohésion de projets d’envergure (comme le fut la semaine libertaire, organisée par divers squats, collectifs et individus, pour proposer une réponse radicale au carnaval puant des élections locales). En parallèle, divers squats essaient de se rassembler régulièrement pour concrétiser des solidarités souvent informelles : échanger, discuter de nos positions politiques et du sens de nos occupations… voire préparer des actions communes, bref… plein de possibilités ! Quant à parvenir à toucher « les gens » sur les sujets qui nous préoccupent et qui les impliquent également… pas toujours facile, mais nous avançons petitement.

* Dans une colonne parue dans Desiderata #1 (…), l’un d’entre vous parlait de l’aspect d’autogestion d’un squat et de la vie en communauté, etc. Comment sont prises les décisions et les choix concernant le quotidien, la vie du squat, etc. ?

Abricot : Les prises de décisions concernant le squat se font bien entendu collectivement. A propos d’autogestion, on a retrouvé des phénomènes amoindris de chefferie chez nous, qui ne correspondent pas forcément au schéma-chefs-qui-décident/sous-fifres-qui-exécutent, mais qui relèvent de l’inégalité d’expression des désirs individuels. Le principe d’autogestion permet de dépasser cette inégalité.

Grenade : Oui, en théorie ça marche toujours bien mieux qu’en pratique. Ça paraît simple. Mais nous ne sommes pas éduqués, formés, formatés, conditionnés en ce sens. Alors nous devons (re)mettre en question ce que nous avons appris, ce que nous av(i)ons l’habitude de faire, travailler sur nous-mêmes individuellement et collectivement… Mais comme le dit la chanson de Johnny Halliday : « ça ne change pas, un homme ; un homme ça vieilliiiiit… ». Je blague bien sûr. Rien n’est immuable.

(…)

Pruneau : Je suis également partisan d’une organisation un peu « formelle ». Ça peut rebuter, et même sembler contradictoire avec nos belles idées de liberté, mais je crois au contraire qu’être organisé-e-s, c’est se libérer de la tyrannie du tout-spontané, qui a le mérite de ne (presque) jamais marcher, et de faire tout planter (combien de squats minés par les querelles de vaisselle ?). Je ne suis pas contre toute spontanéité, mais j’aspire à une spontanéité récréée, dégagée de nos conditionnements présents. Et je ne pense pas qu’être « free » en toutes circonstances nous aide beaucoup à dépasser nos mécanismes merdiques (fainéantise, égoïsme, dominations diverses et variées, ainsi que tout le tralala de la vie en collectivité). Tout ça pour dire que les plannings, les réunions et les discussions, ça me semble indispensable. Et puis sur ce sujet comme sur tant d’autres, le Pamplemousse m’apporte plus de questions que de réponses définitives : comment concilier les envies antagonistes, que faire face aux carences de motivation, comment éviter la spécialisation, quelle place pour les initiatives individuelles ? Etc.

* Vos avis en ce qui concerne la « législation » française vis-à-vis des squats ? Elle est plus souple dans d’autres pays comme l’Angleterre, non ?

Grenade : La justice bourgeoise protège la propriété privée avant tout. Nous luttons contre la propriété privée. Et contre la justice bourgeoise, cela va de soi. Pour celles et ceux qui sont sceptiques par rapport à ça, je conseille d’assister à une petite semaine de procès au tribunal le plus proche de chez vous. Vous verrez comme c’est déprimant et révoltant.

Abricot : De toute façon, nous n’avons pas à attendre que la justice nous accorde une quelconque légalisation, comme l’espèrent certains squats, car ce serait le début de la fin. La récupération se cache dans tout rapport entre l’Etat et ses ennemies, sachons récupérer le pouvoir.

Ananas : En France, la législation est un peu floue quant aux squats… Elle est peut-être plus souple dans certains pays (comme la Suisse, les Pays-Bas, etc.), mais souvent au prix d’une « légalisation » qui ne m’intéresse pas vraiment et qui a mon avis tend plutôt à endormir les gens (même si évidemment ça doit être agréable…). Il y a d’autres pays où la législation est sûrement plus dure, et où il faut vraiment instaurer un rapport de force pour tenir un lieu (résistance violente aux expulsions, expulsion=émeute, etc.) comme l’Italie ou l’Espagne, mais ce sont des pays où le mouvement squat est assez développé et où le côté « anarchiste-insurrectionnaliste-autonome » est assez fort, contrairement à chez nous (malheureusement !).

Pruneau : Je pense que le flou légal qui entoure les squats est une « bonne » chose, car c’est souvent ce qui leur permet de tenir quelques temps. On peut ainsi jouer sur la notion de domicile (le squat est la résidence principale de l’occupant-e), qui rend inexpulsable tout lieu dont l’éviction n’a pas été décidée par un tribunal. En bref, le propriétaire doit lancer une procédure légale, parfois un peu longue et compliquée, ce qui est tout à l’avantage des squatteureuses. Pour autant, rien n’est gagné, car non-seulement la loi protège la propriété privée (on est certain-e d’être expulsé-e un jour ou l’autre), mais les flics aiment également bien jouer les cow-boys (les expulsions illégales sont monnaies courantes) et les propriétaires préfèrent parfois faire appel à des gros-bras, sans s’encombrer de procédures ennuyeuses. Cependant, il me semble important de préciser qu’exploiter la loi pour grappiller quelques délais ne doit pas déboucher sur une quête de la légalité. Le caractère subversif des squats réside notamment dans le fait qu’ils pratiquent la rupture. Avec la loi, la propriété privée, et plus généralement avec le contrôle social généralisé, qui nous enferme dans des rôles déterminés et limités. Pour peu qu’il ait une volonté politique de transgression, le squat peut être un espace « libéré » –au moins partiellement–, et catalyser les résistances à diverses oppressions et au pouvoir. C’est par le rapport de force ainsi créé qu’il est possible d’affirmer de réelles alternatives à la vie standardisée, la d’affirmer la légitimité contre la légalité, la conquête de soi et l’activité indépendante contre la résignation et la passivité. En ce sens, je pense comme Abricot que légiférer le squat serait le début de la fin, car l’État et les pouvoirs publics savent en jouer. C’est ce qui s’est passé dans plusieurs pays comme l’Allemagne, la Hollande ou encore la Suisse, qui doivent impérativement nous servir d’exemples. La légalisation des squats, outre qu’elle constitue une impasse politique, s’avère souvent une tactique désastreuse : les squats légalisés deviennent « bons squats », témoignent de la politique de « tolérance » de la municipalité, et lui servent de caution pour criminaliser et expulser les autres squats jugés « dangereux » ou « inacceptables » (ex: squat politiques radicaux, squats de sans-papiers, etc.). Cela dit, je ne suis pas systématiquement hostile à toute possibilité de régularisation. Même si le principe m’arrache la gueule, je pense qu’il faut savoir jouer stratégique, et que la possibilité d’inscrire un lieu dans la durée est parfois plus intéressante qu’une résistance sans compromis mais condamnée à l’échec. En l’absence de mouvement social d’envergure qui permettrait de faire tenir des lieux par la pression (cf ce que dit Ananas), je ne vois pas d’autre moyen, pour faire un travail de fond sur le long terme, que d’accepter un certain dialogue (avec le pouvoir). C’est notamment ce qui se passe aux Tanneries, à Dijon, ou plus de 2 ans de lutte acharnée ont conduit la municipalité à abandonner les projets d’expulsion. Et si, moyennant un accord (acquis par la lutte, il faut le rappeler), les Tanneries restent en place pendant 10 ans, il suffit d’imaginer comment elles pourront servir de base à d’autres ouvertures et initiatives, permettre à quantité de gens de se politiser et d’agir… et, comment, au final, elles seront beaucoup plus nuisibles au pouvoir que si l’expérience n’avait été qu’éphémère. Ce d’autant plus que les Tanneries refusent le jeu d’une mairie qui voudrait s’en servir pour faire taire plus facilement les autres squats. Les Tanneries marquent clairement leur soutien aux autres lieux occupés, et précisent qu’une éventuelle « légalisation » ne serait une option tactique, non une prise de position générale en faveur de la négociation.

* Comment voyez-vous le « mouvement squat » en France actuellement ? Il est certainement l’un des moins importants d’Europe, qu’est-ce qui selon vous peut expliquer cela ? Une répression trop grande ? Trop peu de gens motivéEs et décidéEs à ouvrir un lieu ?

Ananas : Pfou… Je ne sais pas… Je pense qu’effectivement le « mouvement squat » est assez moribond en France. J’ai même l’impression qu’il y a de moins en moins de squats, et que cela est plutôt concentré sur certaines villes. Par exemple, à Dijon il y a pas mal de squats (7, si je ne m’abuse), si tu regardes la taille de la ville. Quant à savoir pourquoi…

Abricot : La répression en France contre les squats n’est pas plus grande qu’ailleurs en Europe, où c’est d’ailleurs souvent pire qu’ici. Même s’il n’y a pas énormément de squats, ils se répartissent assez bien dans le territoire français, et j’ai même la vague impression que l’idée de squatter peut intéresser plus de gens. Pour ce qui d’un « mouvement », j’espère que les choses vont rapidement évoluer grâce au réseau dit intersquat dont la première réunion a eu lieu en avril 2001 à Grenoble (au CPA… coucou !) et la deuxième à Toulouse. Lisez « Le squat de A à Z » !! Ouvrez des squats !!

Pruneau : Ouais, il me semble important d’insister sur cette intersquat qui est encore en gestation, mais qui s’avère diablement prometteuse. En France, les tentatives de réseau ont toutes échoué, ou ont manifesté un manque de recul politique inquiétant. Par exemple, cette « intersquat » de Février 2000 à Paris, ou divers squats d’artistes s’étaient mis d’accord à revendiquer l’intervention de l’État dans la régularisation des lieux squattés, dans l’obtention de friches industrielles, etc. Je ne veux pas me répéter, mais le dialogue systématique avec l’État, sur les squats ou autre chose, c’en est la mort programmée ! Pour revenir à cette « intersquat francophone » qui est en train de se monter, elle a notamment pour objectifs de faciliter la communication entre les squats, afin de permettre l’expression de solidarités, pour peut-être envisager des actions collectives, la création d’un mouvement squat ou je ne sais quoi. En tout cas, pour le moment, c’est une plate-forme d’échanges et de discussions entre squatteuses , squatteurs et sympathisant-e-s, pour dépasser nos réflexions isolées. Ça marche par le biais de grandes rencontres (Grenoble, Toulouse…), et aussi par le biais d’Internet, avec des listes de discussion/diffusion. Pour plus d’infos, écrivez au Pamplemousse, tiens ! Parce que « plus on est de fous et de folles, plus on rigole ! », et que cette intersquat veut permettre au plus de squats possible de participer !

* Vous êtes déjà passés en procès en janvier dernier [2001] ; a-t-il été simple de se repérer face à la machine judiciaire ? Avez-vous subi quelques pressions ou intimidations que ce soit ?

Ananas : Ça a été assez simple car plusieurs d’entre nous avaient déjà squatté avant et donc étaient passés en procès pour cela, et d’autres (c’est mon cas) étaient quand même assez proches de ce milieu, s’y connaissaient un peu au niveau légal, avaient déjà soutenu des squats,… Sinon, pas spécialement de pressions ou d’intimidations en ce qui nous concerne. On a quand même la chance d’avoir un avocat plutôt sympa, qui s’occupe aussi d’un autre squat, etc.

Pruneau : On est situés dans un quartier calme, résidentiel, à proximité d’une grande allée bourgeoise (dont une baraque est d’ailleurs squattée : La Courdémone, chouette lieu d’activités féministes, 15 cours du Parc, Dijon). Concrètement, ça veut dire un degré 0 d’agitation. Dans ce contexte, les flics ne sont jamais venus nous provoquer, contrairement au Saumaise (squat dijonnais à l’histoire autrement plus agitée, expulsé en avril 2000), ou ils passaient parfois mettre du gaz lacrymogène sous la porte en nous traitant de pédés (et alors ?), pour finalement tabasser un habitant avant de l’inculper (bilan : 3 mois de prison avec sursis et plus de 10000 francs d’amende pour s’être fait péter la gueule).

* Qu’en est-il du verdict de ce procès ?

Grenade : Le verdict est tombé le 30 mars 2001 (avec un certain retard, donc). Pour résumer : un mois de délai pour déguerpir. Mais la procédure d’expulsion ne s’arrête pas là. Un huissier est passé fin mai pour nous laisser le commandement de quitter les lieux. A vrai dire, je résume, il est passé trois fois nous laisser un commandement de quitter les lieux, avec à chaque fois un délai différent, sans raison. En plus, malgré trois commandements différents, l’huissier a oublié (volontairement, bien sûr) de nous accorder les deux mois de délai attribués par l’article 62 de la loi du 9 juillet 1991 du code de procédure civile. Bref, y’a beaucoup de bluff et de coups de pression dans l’histoire, nous sommes expulsables chaque jour mais nous faisons un procès au proprio pour non-respect des procédures d’expulsion. Ce procès aura lieu début septembre [2001], alors nous espérons ne pas être expulsés d’ici là. A ce moment là, on verra… Tout ça, c’est juste du blabla pour gagner du temps, et si ça marche sans qu’on n’ait à trop se casser la tête, pourquoi s’en priver ? De toute façon, nous ne partirons pas de notre propre chef, évidemment.

Ananas : C’est clair qu’on ne sortira pas de nous-même (en espérant qu’on ne morflera pas trop) ! Ils vont sûrement nous envoyer une petite centaine de keufs (ou de gardes mobiles) pour nous jeter, c’est quand même sympa, non ? Sinon, c’est assez stressant de ne pas savoir quand ça peut arriver, ni si ça va tarder ou pas… Mais bon, on pense que ça devrait être pour bientôt, et on est attentifs (tours de garde, barricadage, etc.).

[Note de fin décembre 2001 : le Pamplemousse est toujours ouvert et ne sera vraisemblablement pas expulsé avant la fin du mois de mars 2002 puisqu’il bénéficie maintenat de la trêve d’hiver… Après ? Pourvu que ça dure…]

(…)

* Quels sont vos projets pour le Pamplemousse ou dans vos autres activités ?

Pruneau : Encore plus de pique-nique-la-propriété dans le jardin !

Ananas : Le barricader à mort pour faire chier ces pourritures de flics quand ils viendront pour l’éplucher… (…)

(…)

– Des habitants du Pamplemousse, Août 2001

(Les réponses à cette interview sont individuelles et n’engagent donc pas le Pamplemousse dans son ensemble).

Abstraction