Québec : l’occupation du 920 de la Chevrotière continue

Le vendredi 17 mai 2002, après des mois de mobilisation et d’organisation, 300 locataires en colère, militantEs pour le droit au logement, anarchistes et autres radicaux se rassemblaient à Québec pour la plus grosse manif locale sur le front du logement depuis les années 1970. L’appel à l’action, lancé par le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, était on ne peut plus clair: «venez supporter une action directe» et annonçait une «occupation illimitée contre la crise du logement». Comme ça faisait partie d’une campagne plus large coordonnée par le FRAPRU, les manifestantEs ont reçu le renfort d’un autobus de locataires de Montréal et Sherbrooke qui avaient occupés divers bâtiments industriels abandonnés dans la semaine. 12 occupations impliquant plus de 1 200 personnes ont été organisées à travers la province par différentes associations de locataires. Le 17 mai, personnes ne savait que l’action de Québec serait la plus longue occupation de la semaine.

Crise du logement

La crise du logement, dont personne à part les comités logement ne parlait il y a deux ans, touche maintenant 17 villes dans la province. Les pires sont actuellement Montréal et Hull, où 99.4% de tous les logements sont occupés, et Québec (99.2%). Bien que le logement ait toujours été un problème dans Saint-Jean-Baptiste, la situation s’est détériorée au point de forcer le Comité populaire a reconsidérer son action sur ce front. Quoi que la situation était mauvaise il y a cinq ans, c’est aujourd’hui un désastre. À date, les moyens «normaux» d’actions d’un groupe communautaire ont permis au Comité populaire de créer à peu près une demi-douzaine de nouvelles unités de logement social dans le quartier par année, mais la situation demande clairement plus. Après des années d’occupations de bureaux, de lignes de piquetage, de manifestations et de lobbéing, le groupe a commencé à se demander ce qu’il pouvait faire d’autre. Après avoir finalement réalisé qu’il ne pourrait pas gagner plus avec les moyens traditionnels, il a décidé de prendre un rôle plus actif sur la question dans le quartier –en produisant son propre tract sur le droit de refuser une augmentation de loyer– et en passant de l’action à l’action directe.

L’occupation

La maison occupée est hautement significative pour le quartier et le Comité populaire. Dans les années 1970, durant les grandes démolitions, 6 maisons qu’on appelle l’Îlot Berthelot ont miraculeusement échappées à la démolition. L’endroit a été acheté et vendu tellement de fois en 30 ans qu’il est impossible de garder la trace de tous les propriétaires. Par contre, ils voulaient tous démolir les 6 maisons et construire soit des grosses tours, soit des condos de luxe. Il y a eu tellement de spéculation sur la valeur des bâtisses et des terrains qu’en 1991, c’était devenu les terrains les plus chers de la ville. C’est à ce moment là que le Comité populaire, un comité de citoyenNEs actif dans le quartier depuis 1976, et le groupe d’écologie sociale Les AmiEs de la Terre de Québec ont choisi de déménager leurs bureaux dans l’une des maisons (le 910 de la Chevrotière). Leurs revendications étaient claires : ils voulaient que les maisons soient transformées en coopératives d’habitation autogérée. Face à une opposition publique grandissante, la Ville a finalement essayer de sauver la face en achetant le 6 maisons en 1994 au coût de 1 000 000 $ (près de 10 fois leur valeur de 1970!). 4 d’entres elles furent finalement rénovées et transformées en coopérative mais les 2 du sud ne le furent pas. Jusqu’au 17 mai, elles étaient vides et la Ville espérait les vendre à un promoteur qui les démoliraient et construirait à la place des appartements de luxe vendu 150 000 $ chaque. Maintenant, 8 ans plus tard, en face d’une crise du logement, la résistance est de retour.

La maison occupée, le 920 de la Chevrotière, est une petite maison à deux étages typique du quartier. Bien que l’action ait été organisée pas le Comité populaire, un collectif d’occupantEs et de sympathisantEs a pris le relais dès la première nuit (on croit à l’autonomie et à l’autogestion ou pas!). et le Comité populaire a été relégué à un rôle de « soutien ». La lutte est maintenant menée par une assemblée générale des occupantEs et des sympathisantEs et la maison est gérée par des réunions régulières des occupantEs. Les revendications des occupantEs sont simples. Premièrement, ils et elles veulent que la maison soit cédée à un OSBL pour être destinée à des projets collectifs (un centre social par exemple) et que les terrains environnants soient développés en coopératives soutenues par la communauté. Deuxièmement, ils et elles veulent un moratoire sur la conversion d’appartements en condos et l’interdiction complète des condos sur le site. Troisièmement, ils et elles veulent que les gouvernements s’engagent à financer 8 000 logements sociaux par années dans la province (ce qui en ferait 700 à Québec).

Le soutien à ces revendications et à l’occupation est élevé dans la ville. Plus de 2000 personnes d’un peu partout –incluant des réfugiés basques et des squatters français– ont visité les lieux et signé une pétition géante. La majorité des coopératives du quartier ont envoyés des lettres d’appui, incluant la coop voisine qui fournit l’électricité et l’eau pour vraiment pas cher. On peu voir des affiches de soutien aux fenêtres de plusieurs maisons et, à la grande surprise des occupantEs, dans une douzaine de commerces locaux. Des groupes sociaux de tout type ont envoyés des lettres d’appui et certains d’entre eux — surtout des associations étudiantes– ont fait des petits et grands dons. Dans ce contexte, la soi-disant administration municipale de « gauche » ne veut pas envoyer les flics et parie plutôt sur un burn-out ou sur l’érosion du soutien.

Ce qui pourrait arriver puisque qu’une situation imprévue et délicate se développe depuis plusieurs semaines. En effet, depuis le début l’occupation attire son lot de sans-logis qui ont besoin d’une solution temporaire d’hébergement, le temps de se retourner. Dans l’immense majorité des cas, ça se passe très bien. Ceci dit, il faut bien reconnaître que la majorité des gens de notre classe qui se retrouvent à la rue, sont aussi les plus vulnérables et qu’il est rare que le logement soit leur seul problème… C’est ce que les occupantEs ont (ré)appris à leur dépend. Deux des occupantEs sans-logis se sont avérés souffrir, entre autre, du syndrome de Diogène, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent s’empêcher de rammasser tout ce qui traine et l’empiler. C’était relativement sympatique et bénin… jusqu’au 1er juillet. À ce moment, l’assemblée générale des squatters a décidé de leur demander d’aller entasser leurs affaires ailleurs, parce que ça devenait dangeureux pour le feu (entre autre). Tant que les décisions de l’AG avaient fait leur affaire, les deux camarades les avaient respecté mais là ils se sont sentit rejetés. Ils ont donc décidé d’aller squatter la bâtisse d’en face (alors qu’ils étaient d’accord jusque là qu’elle était insalubre et dangeureuse). À force de discussion, les occupantEs se sont rendu compte que les camarades étaient non seulement lunatiques mais avaient des problèmes beaucoup plus sérieux (alcoolisme dans un cas, schizophrénie dans l’autre). Il n’y avait plus de discussion possible, les occupantEs du 921 de la Chevrotière étaient devenuEs l’ennemi, des faux squatters, des faux anarchistes. Au début, ils étaient trois… mais ils ont rapidement été rejoint par d’autres sans-abris rejetés des diverses « ressources ». Ils sont quinze aujourd’hui. Des fois c’est calme mais d’autres fois ils hurlent à la lune et appostrophent tous les passantEs. L’un d’entre eux a tenté d’agresser une résidente de la coop d’à côté. Des menaces très concrêtes ont été proférées contre le squat et les occupantEs du 921. L’attitude et les actes antisociaux de ces gens là commence donc à taper sérieusement sur les nerfs (et à faire peur) à de plus en plus de locataires des alentours. À la fin août les pompiers, les flics et les médias sont descendu là (personne ne sait qui les a appelés). Depuis, comme rien ne s’est passé, même si la place est dangereuse et carrément insalubre, les occupantEs du 920 ont peur que les flics jouent avec une situation hors de notre contrôle (et avec laquelle on ne sait pas comment dealer). D’ailleurs, la police fait relativement souvent le taxi pour certainEs des occupantEs…

L’action directe donne (quelques) résultats

Même s’il n’y aura pas de victoire totale, l’occupation donne quand même des résultats positifs. Premièrement, il semble qu’il va y avoir de nouvelles coops sur le site (on parle de 25 unités). C’était pas garanti du tout puisque la Ville ne voulaient à l’origine que des condos. Deuxièmement, la Ville a finalement bougé sur la question des condos en août en votant un moratoire sur les conversions d’appartements en condos. Ce moratoire est merdique, il y a beaucoup de trous et d’exceptions, mais c’est clairement une réponse à l’occupation et aux autres actions de l’été. La critique anarchiste des législations s’applique parfaitement ici, bien sur, mais c’est quand même un pas de franchi. Les occupantEs ont donc gagné quelques petits trucs des pouvoirs avec leur action. Mais la victoire principale est ailleurs.

L’occupation légitimise l’action directe dans la tête des gens et montre le soutien que ça peut avoir. Elle a aidée à éduquer un grand nombre de gens sur la crise du logement et les solutions possibles. En plus, les occupantEs ne font pas qu’occuper les lieux, c’est une expérience en soit. Une expérience d’action directe, de démocratie directe et d’un autre type de relations sociales. C’est une expérience qui permet d’autres actions. Une infoshop radicale a été ouverte dans le sous-sol rendant disponible une littérature allant des bulletins syndicaux et de la littérature écologistes aux journaux maoïstes, des livres anarchistes aux magasines trotskistes. Les enfants du quartier ont un lieu safe où venir et jouer (et faire leurs devoirs!). Il y a eu un bon nombre d’activités communautaires allant des épluchettes de blé d’Indes aux projections vidéo et aux party. Des groupes d’un peu partout on utilisé les lieux (incluant le groupe NEFAC local qui y a eu un certain nombre de réunions et d’activités publiques).

Le squat comme action directe est une façon de sortir du cul de sac des manifestations ordinaires. À part une grève massive des loyer, c’est l’action la plus dramatique qu’un mouvement autour du logement peut faire. Tandis que la plupart du temps l’opinion publique peut simplement ignorer les effets de la crise du logement, les squats politiques la polarise. D’un côté il y a l’itinérance et les locataires mal-logés, de l’autre les édifices vides. Les squats non seulement illustrent ça mais forcent les gens à prendre parti. En tant qu’attaque directe contre la propriété privée, les squats peuvent aussi mettre de l’avant la contradiction fondamentale de la question du logement (droit au logement vs droit à la propriété ou besoin vs marché). Les squats sont également tout sauf symboliques et contrairement à la majorité des manifestations, ils ne peuvent être ignorés par les autorités (ce qui ajoute à notre rapport de force).

Au moment d’écrire ces lignes, 3 sept., l’occupation continue.

Le Trouble