Grenoble / (Saint-)Martin-d’Hères : une “squat story”, la Charade

Lundi 5 mai, un journaleux du Dauphiné Libéré (journal local de Grenoble communément appelé le « Daubé ») écrivait ce magnifique article sur le squat la Charade qui s’apprêtait, le lendemain, à péter une de ses vitrines murées pour inaugurer sa nouvelle zone de gratuité…

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>>Squat story

Les squatteurs de la Charade vont même faire le mur. Ou plutôt, « se faire » le mur. Sous le coup d’une décision d’expulsion, les joyeux (et illégaux) occupants du 90 avenue Ambroise Croizat ont décidé de ne pas baisser les bras. Parce que l’heure est grave ; la mairie a un horrible projet pour l’immeuble en ruine qu’ils squattent depuis des mois : en faire des logements neufs. Quelle horreur ! Des appartements propres où des gens vont payer un loyer pour y habiter. Une machination infernale. Les membres de la Charade sont contre la propriété. Et donc sans doute contre la notion de réserve foncière (les terrains qu’une commune se réserve en prévision du développement futur de la ville). Il y a, à Saint-Martin-d’Hères, des tas d’autres terrains en friche, inoccupés. Pourquoi ne pas tous les squatter, finalement? On pourrait y aménager un joli bidon-ville, avec des caravanes, deux ou trois planches de bois couverts de bâches et faire un feu de camp. Les squatteurs continuent donc d’occuper « artistiquement » le secteur, en organisant des animations dans le quartier. Tenez, demain, ils vont faire un trou dans le mur pour protester contre les murs à la manière des Pink Floyd… « Venez démolir avec nous les barreaux de cette salle », écrivent-ils dans leur dernier communiqué Internet. « Venez brandir les masses en chuchotant votre hargne face à l’absurdité des façades murées, face à l’horreur administrative. Venez libérer cet espace des ombres de la propriété privée ! » L’objectif est d’y installer « une zone de gratuité. Elle aura pignon sur rue et rira au nez des autres boutiques en chantant son anticapitalisme quotidien et meublé. » Merci pour les commerçants du coin ! Le boulanger du quartier qui se lève à 5 h pour faire cuire son pain et gagner sa vie ? Un horrible capitaliste ! Bref, demain à 18 heures, ils vont décorer la façade de leur squat et « creuser un trou dedans ». Les squatteurs invitent les gens à venir les aider. Et à apporter un repas. Mais attention pas d’alcool. Bon… Mais surtout : « pas de viande ni de poisson ». Là, on comprend moins. On demande aux visiteurs d’amener leur casse-croûte, mais on les empêche de manger ce qu’ils veulent ! Imaginez : vous venez les aider à détruire un mur à coup de masse et, dans l’élan, vous amenez une innocente petite quiche lorraine avec des lardons à partager avec les quelques non- végétariens venus prêter main forte aux squatteurs. Et puis là, ils vous disent : « non, non interdit de manger des lardons ! » Trop capitaliste le lardon ? Et, euh… on peut quand même se faire des oeufs aux plats ?

Benoît RAPHAËL

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La semaine suivante, quelque quinzaine d’individuEs rendit visite sans prévenir à la rédaction de ce journal spécialisé en faits divers et sécuritaires. Nous leur tirâmes un peu les zoreilles pour leur montrer que les journaflics ne pouvaient pas agir ainsi sans que nous puissions réagir à leurs torchonades… Nous avions apporté avec nous ce texte qui fut aussi distribué à des passantEs devant l’agence immondiciaire du Daubé à Grenoble :

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>>>La Charade est un espace autogéré, installé dans l’ancien hôtel le Chamois à (St)-Martin-d’Hères depuis le mois d’octobre 2002, où logent dix personnes et où sont organisés depuis son ouverture de nombreux événements : débats publiques , projections vidéos, rencontres festives, etc. Le local a permis à divers collectifs politiques, culturels… de s’y réunir, de répéter, d’organiser divers événements ; il abrite de manière permanente une zone de gratuité, une salle de jeux pour les enfants, une bibliothèque, un espace de réflexion et d’action entre femmes, ouverts au quartier notamment les mercredis après-midi. La mairie souhaite expulser la Charade cet été. Pourtant pour son projet de logements neufs, qui prévoit la démolition de l’immeuble que nous occupons, elle doit encore racheter un bâtiment mitoyen et en reloger les locataires légaux : de son propre aveu, toutes ces démarches seront loin d’être terminées cet été.

Nous tenons à répondre à l’article paru dans le Dauphiné libéré lundi 5 mai (cf. en dernière page), sur plusieurs points :

Tout d’abord, l’immeuble que nous occupons est loin d’être en ruine, toutes les personnes qui y sont entrées depuis que nous y habitons (public, ami-e-s, voisin-e-s…) pourront l’attester. Les différentes pièces ont été nettoyées, repeintes et aménagées par nos soins ; la structure est saine et en parfait état, au point que la hâte de la mairie de le démolir en devient peu compréhensible.

Ensuite, nous tenons à rappeler le sens de notre action. Nombreux sont les bâtiments (et les terrains, en effet) vides dans la ville ; nous nous indignons devant le fait qu’on les cadenasse, qu’on en entretienne le vide, alors que des centaines de personnes manquent de logements, d’ateliers, d’espaces pour des activités collectives. Constituer une réserve foncière n’entre pas en contradiction avec l’idée de rendre ces friches accessibles pour la période où elles restent inutilisées. Nous jugeons préférable qu’un immeuble soit vivant, qu’il serve à des gens, qu’il permette des rencontres et des projets, plutôt qu’il n’attende délaissé, des années durant, sa lointaine destruction. Le bâtiment que nous occupons était vide depuis 5 ans. Des démarches identiques sur Grenoble, comme aux 400 Couverts avec leur Chapitonom, font revivre des petites rues en les animant de repas de quartier et diverses activités, en y replantant de la verdure et en y construisant des fours à pain, alors que depuis des années les habitant-e-s du quartier n’y passaient plus ou presque. La décrépitude des espaces abandonnés nous paraît bien plus rebutante que leur occupation par des personnes qui peuvent les nettoyer et les colorer. C’est cette absurdité des lieux vides dans la ville que nous dénonçons. Tout comme nous dénonçons, soit dit en passant, les préjugés négatifs qui peuvent être répandus sur les personnes nomades et leurs caravanes.

Nous tenons à préciser que nous ne nous attaquons pas aux commerçant- e-s du coin en ouvrant une zone de gratuité. Si nous en voulons au capitalisme, il est évident pour nous que nous n’en voulons pas « au boulanger qui se lève à 5 h ». Nous en voulons simplement à une norme qui envahit nos vies et nos rues, qui les sature de publicités et les peuple de gigantesques centres commerciaux. C’est la norme de l’argent, du profit, qui laisse trop peu de place aux projets et aux modes de vie qui ne se situent pas dans une optique marchande ou consommatrice. C’est à cette norme-là que nous voulons rire au nez, en rappelant qu’il existe d’autres manières d’échanger des biens, notamment à travers les zones de gratuité.

Enfin, nous voudrions nous faire comprendre davantage quand nous demandons aux gens qui viennent nous voir de ne pas apporter de viande et de poisson. La plupart des habitant-e-s de la Charade sont végétarien-ne-s, tout comme plusieurs des « habitué-e-s » des animations que nous organisons. Nous proposons aux personnes d’amener de la nourriture qui puisse être partagée par tou-te-s. Nous ne pensons pas exiger un effort trop contraignant en demandant que pour un repas, les personnes qui viennent nous rencontrer se passent d’ingrédients qu’elles pourront retrouver à l’extérieur, en tout lieu et à toute heure. Nous sommes étonné-e-s de voir combien ce point peut susciter des réactions virulentes : quand il s’agit de questions religieuses, les choses semblent moins problématiques (par exemple, par respect pour des ami-e-s musulman-e-s ou juif-ve-s, on évitera d’emmener chez elles et eux des plats où il y a du porc). Il ne faut pas prendre notre invitation à ne pas amener de viande comme une agression, mais comme la proposition d’une expérience végétarienne, certes peu commune dans une culture où l’alimentation carnivore semble sacro-sainte, mais qui peut nous faire réfléchir sur la possibilité de se nourrir de manière équilibrée, savoureuse, sans impliquer de souffrance animale.

Cette démarche peut aussi s’appliquer à la question de l’alcool. Certaines personnes de la Charade ne consomment pas d’alcool. Il nous arrive donc de proposer de partager des moments conviviaux sans alcool. Il s’agit plus pour nous de tenter de questionner des normes sociales qui font que pour vivre des moments de détente avec les autres, il faudrait absolument qu’il y ait de l’alcool, que de poser un interdit ou de créer un dogme.

En conclusion, il nous semble important de remettre en question le rôle qu’ont les médias aujourd’hui dans notre société. En effet, l’exemple de l’article au sujet de la Charade nous semble assez significatif du travail journalistique effectué dans la plupart des médias : Mr Benoît Raphaël, sans doute après lecture d’un de nos tracts, décide de rédiger un petit article à notre sujet, mais sans doute faute de temps (du moins c’est l’excuse que nous pourrions lui accorder), il ne prend pas la peine de venir nous rencontrer ni même de nous téléphoner pour nous demander plus de précisions. Quel crédit accorder alors à ces propos, voire à son jugement, quand il ne connaît pas le sujet dont il traite ? Ceci est notre première interrogation.

Mais malheureusement, ce type de comportement nous surprend peu au vu des méthodes de travail de la presse quotidienne régionale comme le « Dauphiné Libéré ». En effet, loin d’apporter une information nourrie et contradictoire sur les réalités locales et nationales, au service des lecteurs/trices, ce type de journal est au service du pouvoir en place et de l’économie capitaliste. Par exemple, rien de surprenant à ce que Monsieur le Pen ait fait un tel score aux dernières élections présidentielles et que Mr Sarkozy mène aujourd’hui une politique du même ordre sans être soucié, quand les médias, le « Dauphiné Libéré » en tête, entretiennent le mythe de l’insécurité à coup de dossier sur la délinquance où seules apparaissent les statistiques de la police et où aucune analyse sociale des faits n’est proposée. La logique est avant tout celle du profit : pour vendre, il faut faire du sensationnel, tous les clichés et raccourcis douteux sont alors permis (délinquant = jeune des banlieues ; pauvres et précaires = marginaux …). Et Benoît Raphaël ne fait que se servir de ces mêmes ficelles approximatives dans son article, entretenant ainsi les discours discriminatoires, que ce soit à propos des gens du voyage ou à propos des squatteureuses qui, on le comprend, sont tou-te-s pour lui à mettre dans le même panier de la lie de la société. Une telle manière de communiquer n’a rien à voir avec de l’information : il s’agit bien de propagande au service d’un système d’exploitation et de discrimination.

La Charade, 6 place du 8 février 1962, 38 400 (Saint)- Martin-d’Hères.

04-76-03-28-14 . charade [at] squat [point] net . http://charade.squat.net

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On peut aussi filer les contacts de notre bien-aimé Benoît Raphaël (c’est : benoit [point] raphael [at] ledl [point] com ; Dauphiné libéré, 40 av. Alsace-Lorraine, 38100 Grenoble ; 04 76 88 73 96) si vous voulez lui envoyer mots d’amour et autres sérénades… vous pouvez faire ainsi comme cet ami très très très énervé qui a envoyé un mail au Daubé et qui, ô surprise et damnation, a été publié le 9 mai dans le courrier des lecteurices qui a un nom de rubrique franchement démocratique puisque ça s’appelle “On en parle”… Je vous laisse aussi apprécier le petit texte prosaïquement poétique introduisant la lettre :

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>”Squat cliché?

Suite à notre billet du 5 mai dernier sur les joyeux squatteurs de la Charade, à Saint-Martin-d’Hères, un >lecteur nous a envoyé un mail furieux. Nous distribuons sa diatribe bien volontiers. Vive le débat!”

“monsieur Benoît Raphaël.

J’ai lu aujourd’hui l’article que vous avez écrit dans le Dauphiné Libéré, à propos du squat de la Charade.

Laissez moi vous dire que cette lecture m’a atteré. Quel est le but de votre article? Informer équitablement? Faire du Dauphiné Libéré une tribune pour votre libre expression? Dénigrer les initiatives qui sortent de l’habitude?…

Votre texte est une accumulation de clichés dénigrants : envers la lutte contre la spéculation immobilière, envers les gens du voyage, envers les remises en causes des rapports marchands, envers les végétariens et végétariennes,… Il s’en faut de peu que, apprenant la tenue d’un repas sans alcool en ce lieu, vos ne criiez haro sur ces gens voulant mettre en faillite les marchands de vin et les brasseurs de bières.

Vous êtes sans doute grenoblois. Je doute que votre salaire soit mirobollant au point de faire disparaître à vos yeux le montant des loyers de l’agglomération. Nous constatons alors alors tous deux que des centaines de milliers de personnes subissent une pression financière élevée ; que des locataires, s’élevant contre la spéculation, le maintien de locaux vides, la flambée artificielle des prix du marché locatif passent alors à l’action et revendiquent des logements gratuits ; vous constatez alors des bidon-villes, des caravanes, des planches de bois couvertes de baches, blabla-blabla…

Sans doute aussi, vous n’êtes pas sans noter le coût élevé de la vie, des vêtements, etc. Simultanément, nous observons un énorme gaspillage où tout le monde jette des tonnes de marchandises à peine usagées. Que des consommateurs et consommatrices organisent alors un système de dons réciproques pour acheter moins, jeter moins et gaspiller moins… Vous constatez alors une insulte au boulanger de quartier qui se lève à 5h.

Comprenez alors que vos conclusions me semblent quelque peu déformer la réalité sur lesquelles elles sont censées s’appuyer. Mais sans doute tâchez-vous de brosser dans le sens du poil le lectorat de votre quotidien.

signé : un lecteur occasionnel du Dauphiné Libéré et visiteur occasionnel de la Charade.”

[sinon illes ont censurés ce petit passage à la fin : “Quant à vos références foireuses à Pink Floyd…”]

La Charade