Grenoble: Occupation du chantier Minatec

Occupation du chantier Minatec – Lundi 13 décembre 2004

Dès 8 heures du matin le 13 décembre, un groupe de personnes a occupé une grue du chantier Minatec à Grenoble, pour interrompre les travaux le temps d’une journée. Les occupant-e-s, appuyé-e-s par des manifestant-e-s au sol, ont déroulé deux banderoles contre les nanotechnologies (« On arrête tout » et « Nanotechnologies = Maxicontrôle ») et distribué des tracts aux passant-e-s les appelant à venir les rejoindre (voir tract ci-dessous):

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Finissons-en avec Minatec (avant que ça ne commence) !
Ou pourquoi nous occupons les grues du chantier de Minatec…

Minatec sera, si tout se passe comme prévu, le plus important centre de recherche, de formation et d’application sur les nanotechnologies en Europe. Les nuisances urbaines et sociales (l’élaboration d’une Sillicon Valley iséroise, la montée en flèche des loyers et des embouteillages, l’afflux massif de cadres, le renchérissement du coût de la vie), qui vont encore s’aggraver avec cette nouvelle extension de la technopole grenobloise, ne devraient à première vue pas enthousiasmer grand monde. Malgré tout, les pouvoirs locaux ne cessent de mettre en avant que « le futur pôle d’innovation européen, conçu par les acteurs isérois de la recherche et de l’enseignement et les collectivités locales, dispose déjà d’une notoriété internationale »(1). Mais que signifie le projet Minatec en matière de choix de société ?

Les nanotechnologies… Mais qu’est-ce donc ?

Les nanotechnologies concernent la fabrication et la reproduction de mécanismes et de produits élaborés à partir d’atomes ou de molécules à l’échelle nanométrique (un nanomètre = un cent millième de l’épaisseur d’un cheveu). Certaines entreprises visent d’ores et déjà au brevetage de ces éléments constitutifs de la matière. Par exemple, les nanotubes de carbone, considérés comme les « molécules miracles » des nanotechnologies, entreraient potentiellement pour une grande part dans de futurs produits pharmaceutiques, électroniques, aérospatiaux, dans le domaine de l’énergie et du textile. Une firme qui détiendrait les brevets-clés sur les nanotubes pourrait exercer un contrôle énorme sur de nombreux secteurs économiques.

Quand les nanotechnologies sont abordées médiatiquement, on nous parle de tee-shirts communicants, de portails d’ambiances (dispositifs permettant de changer en un clic le décor de votre habitat), mais on nous parle moins de ce sur quoi porte l’immense majorité de la recherche : des armes de plus en plus puissantes et de moins en moins visibles, ou encore des puces sous-cutanées capables de renvoyer un signal permanent indiquant notre situation géographique de façon très précise.
Sous couvert de la médecine ou du progrès, ce sont aussi des projets de manipulations corporelles, de contrôle cérébral à distance et de standardisation des êtres humains dont les applications se rapprochent plus des cauchemars eugénistes ou dans la lignée de 1984 (2) que d’une quelconque « amélioration » des libertés individuelles, du lien et de la diversité sociale. Tout ce travail vise clairement à renforcer toujours et encore le contrôle sécuritaire mené par l’Etat (avec l’aide intéressée de quelques multinationales) et la dépendance vis-à-vis de machines manipulées par d¹autres. Par ailleurs, comme avec les O.G.M ou le nucléaire, on vise avant tout à une mise sur le marché des produits sans que les risques soient connus ou maîtrisables.

Maxi-guerres…

Enfin le but majeur de la recherche sur les nanotechnologies est bien entendu militaire. Le maintien du pouvoir de l’Etat et la prospérité du capitalisme reposent notamment sur une économie de guerre. D’ où le couple passionnel recherche/armée grandement illustré par le partenariat étroit entre le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et la DGA (Direction générale de l’armement) sur le projet autour de Minatec. « Les armes basées sur les nanotechnologies seront des armes de destruction massive à une échelle que le nucléaire, le chimique et le biologique ne peuvent prétendre atteindre. »(3)

Le salariat ou la vie…

Même si les objectifs mortifères de Minatec sont aisément démontrables, un des arguments « massifs » des politiques locaux pour justifier son existence est l’habituel chantage à l’emploi. « Le pari du Conseil général [de l’Isère] et de ses neuf partenaires(4), c’est d’utiliser Minatec comme un aimant pour attirer en Isère des activités à haute valeur ajoutée qui créeront des milliers d’emplois dans les décennies à venir. »(5) Pourtant nos vies ne valent-elles pas plus que nos emplois ? Ces emplois, savons-nous pourquoi nous les effectuons ? Devons-nous nous soumettre à ce chantage si ces emplois nous rendent complices de crimes ou de catastrophes ? Quel est le sens de nos vies ? Quel pouvoir avons-nous sur elles ?…

En termes économiques, Minatec représente l’investissement record du département de l’Isère. Les chiffres sont tellement faramineux qu’il est difficile d’en donner les sommes exactes (puisqu’ils augmentent au fil du temps). Disons que pour Minatec cela se compte en centaines de millions d’euros (dont la moitié en provenance des « Collectivites locales »), et plus largement, avec Crolles 2 et Nanotec 300, le tout se chiffre en milliards d’euros. Tout cela contribuant bien sûr à l’enrichissement de quelques start-ups et mutinationales.

A aucun moment l’investissement de telles sommes, avec de telles implications, n’a été décidé par l’ensemble de la population. Laisser Minatec se construire, c’est accepter encore une fois de déléguer nos pouvoirs et nos vies (déposer un bulletin dans une urne de temps en temps, c’est tout au plus ce que l’Etat peut tolérer de nous…).

Si on nous pousse quotidiennement à nous résigner, il n’y pas de raison que cela reste une fatalité. L’occupation du parc Mistral pendant l’hiver 2003-2004 a montré (parmi d’autres initiatives autonomes dans lesquelles notre démarche s’inscrit) qu’une partie importante de la population iséroise (et d’ailleurs) tient, en agissant directement et collectivement sur la ville, à vivre ses désirs comme des réalités, maintenant.

Ni obscurantistes, ni scientistes…

Pour couper court aux sottes accusations dont toute critique du développement technologique grenoblois se voit affublée, précisons que nous ne sommes ni « obscurantistes », ni « contre la science ». Malheureusement, dans le contexte social actuel, les bénéfices potentiels de certains champs de recherches ne peuvent être ni débattus ni maîtrisés par les populations. Ces recherches ne mettent pour l’instant que de nouveaux outils de puissance et gadgets à marchander entre les mains qui les financent et qui comptent bien en tirer des profits immédiats. D’autre part, certains domaines technologiques comme le nucléaire ou les nanotechnologies ne sont pas neutres. Ils impliquent de tels degrés de spécialisation, de risques, d’accumulations de pouvoirs et de richesses qu’ils imposent en retour un modèle de société centralisé, autoritaire et militarisé pour en assurer la protection.

Stopper minatec ? redonner du sens à nos vies…

Nous n’avons dans ce monde plus grand chose à perdre (à part les chaînes qui nous y accrochent). Et nous savons qu’avec Minatec, nous perpétuons la dépossession de nos vies par un système économique, politique et technologique totalitaire. Minatec est un projet de guerre. Le perfectionnement des armes et du contrôle social aura une utilité aussi bien pour mener des guerres extérieures, « à l’étranger », que pour la sécurité intérieure et un contrôle généralisé des populations…
Pour toutes ces raisons, nous occupons le chantier de construction de Minatec. Interrompre ne serait-ce que quelques heures ce chantier, c’est tenter de stopper un projet que nous refusons de voir s’appliquer. C’est l’occasion de (re)lancer l’idée d’un nécessaire changement social ici et ailleurs: on arrête tout ! Car si la cause de nos maux est ancrée dans une organisation sociale mondialisée qui nous enferme, l’obligation de stopper la fuite en avant du « développement » nous paraît primordiale. Ce que nous désirons plus que tout, ce ne sont pas des « puces microscopiques « révolutionnaires » »(6) (et « intelligentes »(7)), mais de « révolutionnaires » (et intelligentes) façons de réorganiser nos vies.

Les occupant-e-s du chantier Minatec à Grenoble

Plus d’infos sur :
http://www.minatec.com (ou l’autosatisfaction de la fuite en avant par elle-même)

http://infokiosques.net/sciences (quelques textes qui sortent du consensus institutionnel et marchand)

http://piecesetmaindoeuvre.com (site de bricolage pour la construction d’un esprit critique grenoblois)

http://grenoble.indymedia.org (site grenoblois d’information indépendante)

Notes :
1- « La première pierre de Minatec est posée », par Véronique Grangier, en p.29 d’Isère Magazine (le mensuel du Conseil Général de l’Isère) n°56, octobre 2004.
2- Lire « 1984 », de George Orwell (1949).
3- J.P. Dupuy, professeur à l’Ecole Polytechnique et à l’Université de Stanford, membre du Conseil Général des Mines, dans L’Ecologiste n°10, juin 2003.
4- Toute la clique institutionnelle du coin, voir photo de la p.29 d’Isère Magazine n°56, où « André Vallini, président du Conseil général, pose la première pierre de Minatec, entouré de l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), du préfet de la Région Rhône-Alpes, du préfet de l’Isère, du président du Conseil régional Rhônes-Alpes, du maire de Grenoble, du président de Grenoble Alpes Métropole, du recteur de l’Académie de Grenoble, du président de l’Institut national polytechnique de Grenoble (INPG), du directeur régional de la Caisse des dépôts et consignations et du directeur du CEA ».
5- « La première pierre de Minatec est posée », par Véronique Grangier, op. cit.
6- « La première pierre de Minatec est posée », par Véronique Grangier, op. cit.
7- « Dossier – Minatec, une chance pour l’Isère », en p.18 d’Isère Magazine n°57, novembre 2004: « Ce site ultra-moderne, où seront fabriquées les puces ultra miniaturisées et intelligentes de demain, sera aussi la vitrine technologique de l’entreprise « Isère » à l’étranger ».

Photos sur Indymedia Nantes:
http://nantes.indymedia.org/article.php3?id_article=4489

Plus d’infos sur http://grenoble.indymedia.org
Les six occupant-e-s de la grue l’ont quittée le soir même vers 19h. Emmené-e-s au commissariat, illes ont été relâchés au bout d’un quart d’heure / vingt minutes. Une cinquantaine de personnes solidaires les attendaient déjà devant le commissariat…

Les occupant-e-s du chantier Minatec à Grenoble