Dijon: Hommage à Stéphane Kremer

Stéphane Kremer, Steph K., ou encore Stef. Certain-e-s l’auront connu sous le pseudonyme de “NEM”, ou sous l’adresse électronique “nem.diy”. Bien d’autres l’auront rencontré par courrier; par le biais de ses “Éditions Turbulentes”; à travers sa liste de distribution par correspondance, “Nun Enlitigas Mi”; pour son engagement auprès des prisonnier-e-s, au sein de l’ABC.

Tou-te-s garderont le souvenir d’une personne impliquée personnellement, engagée émotionnellement; dans ses idées, dans ses relations, dans ses combats. Celles et ceux qui l’ont côtoyé se souviendront de sa chaleur humaine et de la jovialité des moments échangés; ceux et celles qui ont partagé son quotidien n’oublieront pas son affection généreuse et sa tendresse attentionnée; ni ses amitiés entières, ni son caractère, à la fois doux et déterminé.

En ce mois d’avril 2005, Stéphane est décédé d’une overdose dans son appartement, à Dijon. Il avait 29 ans. Difficile de commenter une fin si abrupte, imprévisible, sans se perdre en conjectures malheureuses. Qu’il ait vécu la drogue comme possibilité de plaisir assumé, ou qu’une détresse personnelle, politique, l’y ait mené; rien ne peut altérer l’estime, l’affection, la confiance que beaucoup lui ont porté.

Parce que certain-e-s, empreint-e-s du mépris généralement réservé aux usager-e-s de drogues, croiront pouvoir balayer son absence avec facilité; parce que rendre hommage à Stéphane implique de retracer la personne qu’il a véritablement été; parce que les grandes et petites choses qu’il a initiées, les projets qu’il a nourris et imprégnés de sa personnalité, les choix de vie qu’il a défendus et menés donnent sens à sa personne, à son histoire, à ce dans quoi il s’est engagé tout entier… il s’agit ici de les rappeler.

Voilà là l’objet de cet hommage. Évoquer Stéphane dans ce qu’il a été, dans ce pour quoi il a vibré, sans exagération ni complaisance, pour lui qui, souvent réservé, n’aurait pas souhaité focaliser cette attention, et, hostile aux éloges trop accentuées, ne se reconnaîtrait pas dans un tableau excessivement marqué.

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Stéphane a fait ses premiers pas dans les mouvements libertaires il y a 10 ans. D’abord inspiré par la mouvance anarcho-punk “do-it-yourself”, il est resté toute sa vie passionné de musique indépendante et engagée, tout en se consacrant particulièrement à la diffusion puis à l’édition de textes politiques subversifs. Sa liste de distribution par correspondance “Nun Enlitigas Mi” (“maintenant je vais dormir”, en espéranto) a vu passer quelques milliers de brochures, de textes et de livres consacrés à l’anarchisme, au féminisme radical, à l’antispécisme, à l’anticarcéral et aux luttes de libération en général; donné-e-s contre quelques timbres et mots échangés par courrier, distribué-e-s lors de concerts et autres manifestations; souvent gratuit-e-s, parfois au prix de la photocopie. À cela sont venues s’ajouter les “Éditions Turbulentes”, en 1999, s’attachant à nourrir des réflexions par la publication, à valoriser des problématiques méconnues ou dépréciées, souvent jugées secondaires et escamotées, jusque dans les milieux radicaux dans lesquels Stéphane était impliqué.

Végétarien, il refusait de cautionner la mise à mort et la souffrance de milliers d’êtres sensibles, niés dans leurs intérêts les plus élémentaires pour les seuls plaisirs du palet des humains. Antispéciste, il voulait combattre l’oppression basée sur l’appartenance à une espèce, celle-là même qui justifie l’exploitation animale au quotidien. Solidaire des luttes féministes, dont il souhaitait respecter l’autonomie, il était partie prenante de réflexions sur la domination masculine, le sexisme intériorisé, la construction genrée, défendant l’idée que “le personnel est politique”. Antiautoritaire et anticapitaliste, il rejetait l’esclavage du travail salarié, pour s’investir dans des activités désirées plutôt que de “perdre sa vie à la gagner”. Il n’était pas un “militant” pour autant, souhaitant vivre ses idées, sans les considérer comme une activité séparée. Libertaire, il tenait en horreur les prisons, et rêvait de leur destruction. Enfin, parmi les révoltes qui l’ont animé, faut-il citer la lutte contre la “grossophobie” – dictature des normes de beauté, stigmatisation et rejet des gros-se-s -, à laquelle il a consacré de nombreuses lectures & discussions, plusieurs brochures et beaucoup de passion.

Partie prenante du mouvement squat & anarchiste dijonnais, Stéphane aura notamment participé à la vie de l’Espace autogéré des Tanneries; dessiné et traversé, avec 6 autres personnes, l’expérience du “Pamplemousse”, squat politique d’habitation ouvert en octobre 2000 et expulsé un matin de juin 2002; soutenu et fréquenté bien d’autres de ces lieux particuliers, contribué à leurs prises de tête, pris part à leurs déchirements comme à leurs meilleurs temps. Il aura participé au réseau ABC (“Anarchist Black Cross”) de soutien aux prisonnier-e-s, entre autres collectifs, entre autres complicités; formel-le-s ou non, constitué-e-s au gré des actions, des concerts, de ces fêtes qu’il aimait, et des divers moments d’une certaine nébuleuse libertaire.

La mort de Stéphane est d’abord la disparition d’un être cher; mais aussi, ensuite, d’un morceau de cette histoire, de ces années, de ces espoirs. À nous de faire en sorte de conserver sa mémoire, et de nourrir ce à quoi lui, nous et d’autres nous sommes si ardemment consacré-e-s.

darkveggy, 2005/04/28

Note: cette évocation, forcément partielle, rend peu compte des deux années passées, lors desquelles j’ai moins connu Stéphane; d’autres se chargeront peut-être d’en témoigner.

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Conformément à ses souhaits, le corps de Stéphane sera incinéré.

Une “cérémonie” lui ressemblant, regroupant ses proches et ami-e-s se tiendra alors à Metz. Pour plus de renseignements, écrire à nem [at] brassicanigra [point] org.

Un site d’hommage, sur lequel seront progressivement mis-es en ligne textes et brochures paru-e-s aux Éditions Turbulentes, est accessible à l’adresse suivante: http://nem.brassicanigra.org/.

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