Le texte qui suit a été distribué au voisinage dans la semaine même qui a suivi la perquisition d’un squat de Montreuil. Nous en publions ici une version légèrement modifiée. Au-delà de la simple information (qui donnerait tous les détails de la perquisition), il s’agit ici de partager la posture qui est la nôtre.
Tout le monde a pu le remarquer. Dans les médias, dans les rues, dans certaines postures, certaines paroles : une petite terreur s’installe. Terreur quotidienne : des sirènes qui ne cessent de passer et de s’éloigner, des contrôles d’identité pour un oui ou pour un non, des discours incessants qui nous disent que le danger peut sans arrêt surgir, à chaque coin de rue. On finirait presque par s’y habituer.
Ce mardi 24 avril [2007], à 7h du matin, il y a eu une perquisition dans notre maison occupée à Montreuil. Après avoir défoncé la porte, une trentaine de flics sont rentrés, avec leurs flingues et leurs chiens. Nous étions alors une quinzaine d’habitants présents, réveillés en sursaut par les coups de bélier sur la porte. Ils nous ont braqués, jetés à terre et menottés dans le dos avant de nous parquer sur le palier du 1er étage. Sans aucune explication autre que “Il ne s’agit pas d’une expulsion !”, ils se sont mis à retourner la maison, piétiner les matelas avec leurs chiens, vider les étagères. Ils ont finalement dit chercher des explosifs ; ils n’ont rien trouvé d’autre que des brochures, et puis un potager. Ils en ont tout de même profité pour prendre des identités, des informations, pour prendre aussi tout le monde en photo, pour voler des outils et des affaires personnelles. Petite histoire d’un flicage devenu trop ordinaire.
Certains penseront qu’on ne devrait pas s’en étonner. Qu’on n’habite pas dans un squat sans avoir nécessairement affaire aux flics, attirer la curiosité du pouvoir et les délires de fichage. Nous savons effectivement que toute volonté d’autonomie, d’organisation collective, de solidarité matérielle concrète, de résistance active est toujours menacée. Les émeutes de novembre 2005, qui furent l’occasion de multiples perquisitions au hasard, de l’installation de check-points, d’enfermements massifs.Tous les récents mouvements sociaux, où beaucoup se sont retrouvés avec des procès absurdes. Le sort des sans-papiers et des travailleurs immigrés, dont les solidarités de débrouille, dont les vies clandestines sont mises en danger perpétuellement. Nous connaissons enfin le sort de tous ces petits rapports, ces minuscules relations qui, dans les écoles, sur les lieux de travail, dans les rues, ont été brisés pour peu qu’ils portent en eux un soupçon de subversion.
La perquisition que nous avons subie vient nous rappeler la fragilité dans laquelle cette petite terreur a placé tout souci d’émancipation et de lutte. Et en même temps, il demeure la rage : le refus que tout passe et que ce monde dure, le refus que l’on nous prenne pour des animaux domestiqués dont il suffirait de gérer la “grogne”, le refus que l’on fasse de la politique une affaire d’expert, de technique, de police et de propagande. Le refus de la dépossession qui résigne, qui rend cynique et impuissant.
Si nous écrivons ce texte, ce n’est pas pour faire pleurer dans les chaumières, pour donner un argument de plus dans le constat désagréable qu’on peut dresser sur ce monde. Nous voulons seulement souligner que d’autres, aussi, éprouvent ce sentiment de fragilité et gardent tout de même la rage et l’espoir. Nous l’écrivons aussi pour remercier ceux qui déjà sont venus nous demander des nouvelles et nous proposer de l’aide.
Nous garderons cette maison, ce jardin, nos rêves et nos rages. Nous ne lâcherons pas cette mince idée : qu’en ces temps de terreur, les rencontres et l’organisation commune sont nos meilleures armes.
Des habitants du Chatô et leur armée de légumes