Copenhague : vers une nouvelle Ungdomshuset ?

Récit et pistes de réflexions.

Vous vous souvenez sans doute des batailles de rue qui ont embrasé la capitale danoise l’an dernier avant et après l’expulsion d’Ungdomshuset en mars 2007. La défense de ce centre autonome historique avait entraîné petit à petit la constitution d’un mouvement social majeur, mobilisant une partie conséquente de la jeunesse et des milieux militants danois, avec un cocktail singulier de manifs « familiales » et d’actions directes, de négociations avec la municipalité et de sabotage, de soutiens « citoyens » et d’explosions émeutières massives.

Malgré les centaines d’arrestations et l’enfermement de dizaines des militant-e-s les plus actif-ves du mouvements pour quelques semaines ou quelques mois et des procès encore à venir, les enragé-e-s danois-e-s n’ont en rien déposé-e-s les armes. Depuis l’expulsion, une manifestation pour réclamer une nouvelle maison a été organisée chaque semaine (c’est la 53e à ce jour), regroupant suivant les moments entre quelques centaines et quelques milliers de personnes, accompagnée à chaque fois d’actions différentes : sound-systems devant les prisons, intrusions dans des institutions publiques, fête de rue, blocage du centre-ville ou d’un show télé et des tentatives répétées et réprimées de réoccupation de bâtiments. La préparation des actions surprise lors de ces manifs, étaient laissées chaque semaine à un groupe différent, de collectifs de lycéens à de « vieilles » squatteuses du début des années 80 reprenant du service. Pendant le printemps, la ville a été littéralement recouverte de tags « 69 » (le numéro de rue d’Ungdomshuset), de nouvelles émeutes ont éclaté lors d’opérations policières qui visaient cette fois le quartier « autogéré » de Christiania, et des locaux de partis politiques, entre autres, ont été attaqués à diverses reprises. Après le sabotage de machines de chantier lors de la destruction d’Ungdomshuset, il ne se trouvait plus de compagnie au Danemark pour accepter de travailler sur le Ground 69 et Vaderhuset, la secte catho-facho ayant racheté les lieux n’a pu trouver personne à qui revendre le terrain et y implanter un nouveau projet au vu des risques associés à toute construction sur cet espace hautement symbolique.

De nouvelles tactiques d’actions ont été tentées à la fin de l’été 2007 pour obliger la mairie de Copenhague à sortir de son mutisme. Depuis les émeutes de mars, elle s’était en effet enfermée dans une refus de tout dialogue avec les « anarchistes » et essayer de s’en tenir à sa volonté de tirer un trait sur une page de l’histoire militante du Danemark. L’action sans doute la plus marquante et « innovante » a été le G13. L’idée était d’annoncer une action massive de prise d’un bâtiment vide ouvertement désigné à l’avance, sous une forme de « désobéissance civile » et en annonçant que le niveau maximum de confrontation se limiterait pour cette fois à pousser les lignes de police par divers biais, et à l’aide de protections corporelles. Pendant plusieurs semaines, des ateliers de préparation ouverts ont été organisé pour s’entraîner collectivement à résister à la police, à fabriquer des masques et déguisements, des outils et des boucliers. Malgré les communiqués du chef de la police déclarant que ce devait être du bluff, le 6 octobre, quelques 5 000 personnes se sont retrouvées pour se lancer à l’assaut du bâtiment situé 13 allée Grøndalsvænge. Le « G13 » était alors protégé par une bonne partie de ce que le Danemark peut compter comme policiers et camions anti-émeutes. Le cortège principal s’est rapidement divisé en plusieurs groupes avec chacun des tactiques spécifiques : un bloc noir pour briser les lignes de police et barricades de manière décentralisée, un bloc jaune pour faire la même chose en groupe large, un bloc vert pour servir de bouclier et un bloc rouge créatif et en baskets pour passer par dessus les obstacles. Après des heures de confrontation avec la police, des tonnes de gaz lacrymogènes et de matraquages, des courses poursuites sur les autoroutes et voies ferrées et quelques 436 arrestations, des dizaines de personnes avaient quand même réussi à passer la zone rouge et à occuper la maison pendant quelques heures avant de se faire déloger.

Au final et même si le bâtiment G13 n’a pu être gardé, cette manifestation a été perçue comme une victoire politique pour le mouvement : la totalité des personnes arrêtées a été relâchée rapidement par la police et la mairie de Copenhague, vraisemblablement cassée par le coût politique et l’addition financière carabinée du cumul des évènements des derniers mois, a annoncé le soir même qu’elle acceptait de négocier sur l’attribution d’une nouvelle Ungdomshuset. Pia Allerslev, leader du parti libéral et adjointe à la culture, consternée à alors déclaré « Il est absolument regrettable que la maire reprenne des négociations. Ils/elles ne dénoncent pas l’usage de la violence et ça semble pourtant signifier qu’ils auraient gagné. Ceci est une insulte à tous les citoyens obéissants à la loi qui font font pacifiquement la queue quand ils ont quelques chose à demander à la mairie. » On ne peut mieux dire !

Depuis, les manifestations hebdomadaires ont continué pour maintenir la pression pendant les négociations. Le 28 décembre, une journée nationale d’ouverture de squats a été lancée avec quelques occupations qui tiennent encore à l’extérieur de Copenhague, alors que depuis plusieurs années, la police expulsait immédiatement toute prise de local vide. Comme l’obtention d’une nouvelle maison traînait en longueur, un siège de la mairie appelé BlokR avait été appelé pour le 21 février si Ungdomshuset n’était pas mis à l’ordre du jour du prochain Conseil Municipal. Après l’obtention de cette revendication, l’opération BlokR a été suspendue. Pendant ce même mois de février des émeutes massives, rappelant celles de l’automne 2005 en France ont éclaté dans le quartier populaire de Norrebro où était situé Ungdomshuset, puis dans diverses autres villes du Danemark. Des attaques sporadiques mais intenses, ciblant des bâtiments publics, voitures et forces de l’ordre ont complètement dépassé les autorités. Si elles impliquaient principalement de jeunes immigrés protestant contre la montée des violences policières et des politiques racistes, elles semblent avoir été soutenues activement par un certain nombre de militant-e-s radicaux-ales et inspirées en partie par les pratiques confrontationnelles qui avaient suivi l’expulsion d’Ungdomshuset auxquelles s’étaient déjà ralliés de nombreux jeunes précaires des « quartiers » de Copenhague.

Au jour d’aujourd’hui, la première maison sur la table des négociations a été rejetée suite à un processus d' »auditions citoyennes » dans le voisinage, dont le résultat est contesté. De nouvelles possibilités sont étudiées, mais un second appel au siège de la mairie a été lancé pour le 3 avril afin d’accélérer le processus. Si la victoire n’est pas encore assurée, l’obtention d’une nouvelle Ungdomshuset, qui semblait complètement improbable il y a un an au vu de la détermination de la mairie et de l’escalade de la conflictualité de part et d’autre, semble donc être en bonne voie.

Ce récit de quelques éléments marquants de ces derniers mois, alimenté par des séjours et divers témoignages, est forcément raccourci, simpliste et probablement un peu idéalisé par la distance qui me sépare actuellement du Danemark. Si le cas très spécifique d’Ungdomshuset ne peut être exporté hors-contexte en modèle, il y aurait néanmoins, si l’on creuse un peu, de multiples réflexions stratégiques pertinentes à tirer de cette lutte avec des leçons qui peuvent autant remettre en question les parti-pris citoyennistes sur les modes d’actions que certaines rigidités idéologiques et pratiques des milieux radicaux. Le cadre de cet article ne permet pas de les explorer, mais je voulais néanmoins lister quelques constats possibles et ouvrir des pistes de débats :

– le fait que dans ce contexte, l’expulsion ne signifie pas la fin d’une lutte mais puisse l’amplifier.

– la solidarité dans la répression et la possibilité de continuer la résistance malgré la multiplication des enfermements et violences policières, ainsi que la capacité à s’acharner sur plus d’un an avec des actions hebdomadaires.

– la manière dont l’usage de tactiques émeutières ou de sabotage peuvent encore donner une force énorme à des mouvements et appuyer efficacement d’autres formes d’action, et ce alors qu’on a trop voulu sonner le glas de certaines formes de lutte après le G8 de Gênes, le 11 septembre et la montée en puissance de l’idéologie « anti-terroriste », appuyée par son armada répressive juridique et technologique, ainsi que par le contrôle citoyen des mouvements sociaux.

– une capacité générale de diversité tactique dans laquelle se superposent moments confrontationnels très durs, maintien d’un dialogue avec les institutions, actions symboliques ou manifs plus tranquilles et communication constante sur les tenants et aboutissants du mouvement autant en direction des militants que des médias. L’exemple type s’incarne dans la manif pépère à 5 000 du 15 décembre 2006, suivie dès le lendemain d’un black bloc international de plusieurs centaines de personnes marchant sur la ville pour en découdre avec la police.

– une capacité de renouvellement des formes d’actions avec parfois des choix délibérés du mouvement de poser des limites et cadres « rigides » sur des moments donnés comme dans le cas du G13 ou de BlokR, en fonction de ce qui semble le plus pertinent dans le rapport de forces.

– l’usage crucial des réseaux de solidarité internationale pour renforcer la pression.

– la possibilité de faire naître un mouvement social large et global à partir d’une lutte à l’origine spécifique et concrète de défense d’un espace autogéré.

– la manière dont le soutien à ce qui pouvait être perçu comme un ghetto politique punk-anarcho-autonome, finit par gagner aussi bien des lycéen-ne-s, des retraitées, des citoyens de gauche, que de jeunes immigré-e-s des quartiers populaires.

– la capacité à donner du sens et forger un imaginaire, à développer une esthétique outrancière et belliqueuse jusque dans l’auto-dérision, à créer des histoires autour d’une lutte dont l’état d’esprit s’illustre aussi bien par le peinturlurage de la petite sirène en rose bonbon que par la diffusion à la presse du haut d’un toit de « The final countdown » par une horde cagoulée et encerclée de fumigènes, l’usage immodéré du sigle 69, des murs de la ville jusqu’aux sous-vêtements sérigraphiés, ou la création d’un site montrant, photos à l’appui, la maison que l’on s’est donnée pour défi d’occuper le mois prochain.

On peut présumer en tous cas, qu’à ce point d’expérience et d’évolution du mouvement, les remous sociaux ne s’arrêteront plus si facilement au Danemark, même après l’éventuelle obtention d’une nouvelle Ungdomshuset.

Concluons par ces quelques mots tirés de l’appel pour l’action BlokR du 3 avril : « Il est clair qu’il n’y aura pas de reddition face à la bureaucratie – si les politiciens insistent pour délayer de nouveau le processus, ils vont sûrement bientôt se retrouver à devoir ramasser les morceaux carbonisés de Copenhague ».

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Dijon, le 21 mars 2008
Nicolu