Hambourg : à propos de la situation actuelle de la Rote Flora

13 septembre 2010

En mars 2001, la ville de Hambourg a vendu la Rote Flora à un investisseur. Le contrat de vente comportait de nombreuses clauses et restrictions : entre autres, le bâtiment doit être utilisé comme un centre pour le quartier ; en cas de revente, le bénéfice obtenu doit être versé à la ville ; la ville garde un droit de véto. Après dix ans, c’est-à-dire en mars 2011, certaines de ces clauses deviennent caduques, parmi elles le droit de véto de la ville. Ainsi, les conditions encadrant la vente de la Rote Flora sont changées, ce qui pourrait entraîner une expulsion et la destruction du bâtiment.

Dans ce contexte, l’investisseur K. se met en position et tente de faire pression sur la ville. Ses objectifs concrets ne sont pas clairs. Cependant, des expériences antérieures laissent supposer qu’il agit par intérêt personnel. Qu’il s’agisse de gains financiers, d’un bien immobilier en échange ou d’une tentative de s’envoyer des fleurs en tant que mécène culturel autoproclamé – il ne sera pas lésé. La ville et l’arrondissement semblent désemparés face à ces agissements et les médias s’empressent à spéculer sur l’avenir du projet Rote Flora.

Squatte ta ville!

En revanche, nous ne spéculons pas. Nous percevons la situation actuelle de la Rote Flora en premier lieu non pas comme une menace, mais comme une chance de faire peser l’actualité des positions de la gauche radicale dans le débat. La Rote Flora n’est pas un cas isolé. Les luttes et conflits autour de l’espace urbain et des ressources sociales augmentent, le mouvement « Recht auf Stadt » (« Un droit sur la ville ») en est une expression. Par ailleurs, la situation répressive s’aggrave dans le contexte d’une discussion citoyenne sur l’extrémisme. On y suggère que les activistes de la gauche radicale mènent le palmarès de l’extrémisme en matière de dangerosité dont découle le besoin de les surveiller et de les combattre par des méthodes particulièrement agressives. Dans ces circonstances, des transformations radicales de la société dans son ensemble concernant la répartition du pouvoir, du capital et de l’espace sont plus que jamais nécessaires afin de réaliser une politique émancipatrice.

La Rote Flora continue à être squattée. Garantissant l’indépendance face aux mainmises municipales et contractuelles, ce statut de squat permet aux usager.e.s du projet de mettre en question le statu quo régnant de manière pratique et radicale sans courir le risque de voir des subventions ou un bail annulés ou d’être confronté.e.s à des sanctions de la part du/de la propriétaire. Ainsi, il devient possible de s’extraire largement des formes d’ingérence et donc d’une mise sous tutelle et d’être soumis à moins de contraintes matérielles découlant de la logique dominante de l’exploitation. La Rote Flore ne veut pas se vendre – et elle n’est pas obligée à se vendre. Elle s’appartient, même si Monsieur K. et l’« Entreprise Hambourg » le voient différemment.

La voie politique de s’extraire de façon conséquente des logiques de propriété et aussi de la question d’une légalisation contractuelle continue à se révéler. Le risque de perdre la Rote Flora sur cette voie a toujours existé. Nous prenons ce risque non pas de manière irréfléchie mais de manière consciente. Nous refusons les contrats comme moyen ou stratégie de pacifier les rapports politiques, comme nous l’avons déjà fait par le passé. Et cela non pas par nostalgie de vieux idéaux anachroniques mais bien parce que cette voie représente et permet en même temps la vision politique du projet Rote Flora : le refus de la solution par contrat exprime notre critique des rapports (de propriété) urbains et sociaux. Nous avons simplement pris l’espace que nous voulons – sans rien demander à personne. La Rote Flora est le symbole de cette insolence, de cet acte d’appropriation et de révolte – en dépassant largement les limites de Hambourg. Un symbole qui, par son existence et sa résistance aux intempéries, questionne jour par jour les logiques prétendument irréfutables des contraintes « objectives » économiques, des lois et du « bon sens » autoproclamé ; un symbole qui pour eux est une épine le pied.

Pendant les 21 années d’existence de la Rote Flora, l’État n’a cessé d’essayer de retirer cette épine, de pacifier, d’intégrer, de récupérer le projet. À deux reprises – 1993 et 2001 – par la légalisation contractuelle et, immédiatement après que la deuxième tentative de légalisation avait été rejetée, par la vente du bâtiment à un mécène soi-disant désintéressé. Comme celui-ci n’avait aucune chance chez nous et ne réussissait pas non plus à pacifier le projet, le statut de squat du bâtiment et sa vie interne radicale, autonome et hostile aux autorités ont été peu à peu tolérés par la ville et acceptés au-delà des cercles de la gauche autonome. Nous y voyons un résultat de nos luttes pour la Rote Flora ; et non seulement une réussite pour le projet lui-même mais avant tout un changement du discours public sur la légitimité et la faisabilité d’actes politiques d’appropriation comme le squat, un changement dû à l’action.

Par ailleurs, cette acceptation permet également de consommer la Rote Flora avec son ambiance d’insalubrité pittoresque en tant que couleur locale alternative et décor authentique en accompagnement au Galão (Ndt : café branché portugais à la mode chez les bobos, si je comprends bien). C’est cette aubaine que la chambre de commerce par exemple a reconnue rapidement et elle a déclaré la Rote Flora comme élément augmentant la valeur du quartier Schanze. Ainsi, le projet est devenu contre son gré une partie du processus de gentrification, qu’il a combattu dès sa naissance. Nous ne pouvons échapper à ce mécanisme qu’en renouvelant continuellement la visée de la résistance de la Rote Flora et sa définition en tant qu’élément perturbateur plutôt qu’élément valorisant.

Perturber, oui!

Dans ce contexte, l’avenir du projet ne peut pas résider dans le fait d’échanger les baskets contre des pantoufles pour s’installer confortablement dans l’apparent « espace libre », obtenu de haute lutte. Au lieu de cela, nous n’allons cesser de chercher de nouvelles pistes afin de gêner plus fortement le déroulement sans heurts de la privatisation, de la marginalisation et de l’expulsion, et d’être un élément perturbateur rebelle. Pour cela, la Rote Flora va devoir aller plus intensément vers l’extérieur, intervenir dans des débats actuels, voire créer de nouveaux débats. Nous voulons démontrer qu’il existe d’autres possibilités que de s’adapter aux contraintes et aux normes existantes. Protestations, appropriations, occupations, mettre en question les notions dominantes de légalité – ce sont des composantes indispensables d’une politique qui vise l’émancipation. Nous nous opposons à une logique répressive qui essaye de criminaliser notre critique, d’anesthésier nos désirs et d’imposer un silence de cimetière comme norme sociale de la vie commune.

L’enjeu pour nous réside dans l’idée du projet de la Rote Flora et non pas en premier lieu dans les murs de cette maison. Avec la Rote Flora – grâce à l’histoire spécifique de ce projet et sa signification au-delà des limites de la ville – nous avons la possibilité d’intervenir dans des évènements actuels et de devenir un point de cristallisation de la gauche radicale pour des changements sociaux. Les rapports de pouvoir se modernisent et ne se reflètent pas uniquement dans les matraques et les canons à eau. Les procédures de concertations organisées par l’État, comme les tables rondes, promettent la participation mais produisent surtout de l’exclusion. Car la question de savoir qui peut participer à une table ronde et ce qui s’y négociera fait déjà partie d’une politique de récupération. La participation et la cogestion sont des formes classique de soumission. C’est vrai aussi pour la politique sociale : les personnes qui perçoivent des allocations sont contraintes d’accepter quasi n’importe quelle activité qu’on leur propose pour assurer ce qui ressemble plutôt à leur survie qu’à leur vie. Les procédures de concertation se basent sur le même principe : seules les personnes qui participent au cadre imposé pro-étatique ont le droit à la parole ; les décisions prises ne peuvent plus être critiquées. Nous refusons de telles formes de récupération et de soumission. Dans ces circonstances, les pratiques radicales de refus, d’intervention et de contestation doivent évoluer.

Si jamais on doit en arriver là, nous n’allons ni laisser la police nous expulser sans résistance ni expulser nous-mêmes notre résistance de nos têtes par des procédures de modération. Nous voulons démontrer que la critique radicale n’est pas seulement légitime mais nécessaire. À une époque où les personnes doivent s’adapter à la ville au lieu de la ville aux personnes, notre mot d’ordre ne peut être que celui-là : la ville appartient à tout le monde !

Les luttes pour Ungdomshuset à Copenhague ont eu une ampleur internationale, parce que la lutte pour nos espaces, l’espace public et le droit à la ville n’est pas menée seulement au niveau local mais dans une perspective globale. Les émeutes à Athènes nous ont également touché.e.s ici à Hambourg, car les espoirs et questions qu’elles portaient posent la question du système dans sa globalité. Pour nous, l’avenir n’est pas juste une métaphore insipide pour la modernisation capitaliste, mais un lieu âprement disputé, un lieu de l’émancipation et nous sommes toujours en plein milieu. Il n’y a pas de raisons pour attendre. Le mouvement ne se crée que là où nous mettons les choses en mouvement. Alors nous appelons tout le monde à s’évader de la sinistre étroitesse des normes, valeurs et contraintes capitalistes. Nous voulons tout, et autrement.

Nous commençons maintenant!

Nous n’allons pas attendre de voir ce que les propagandistes du site économique de Hambourg, de la culture commerciale et des lois et de l’ordre nous réservent pour l’avenir. C’est maintenant que nous lançons notre campagne du « bonheur incompatible » (Ndt.: « Unverträglich glücklich », littéralement : incompatiblement heureux), visant non pas la conservation purement défensive du bâtiment et de ses contenus mais bien le développement et le renforcement du caractère de la Flora en tant que point crucial et point de départ d’une critique émancipatrice et cela pas seulement dans le quartier. Participez aux débats et aux actions. Réunissez-vous avec d’autres, organisez vos propres actions, évènements, publications etc. !

NOTRE BONHEUR EST INCOMPATIBLE – LA ROTE FLORA RESTE!
QUE LE SÉNAT ET LES INVESTISSEURS SE CASSENT!

http://www.rote-flora.de/

[Traduction d’un texte publié en allemand ici.]