Communiqué de l’Espace autogéré des Tanneries: Dijon — la police déjoue un complot anarchiste !
Ce samedi 2 juin 2012 à 18h, une demi-douzaine de fourgons de gardes-mobiles et autres équipes des « brigades anticriminalité » sont venus se positionner devant l’Espace autogéré des Tanneries, afin de s’assurer que n’aurait pas lieu un… jeu de piste à vélo (dénommé « Alleycat« ). Quelques personnes motivées, après une première réussie il y a quelques mois à Dijon, nous avaient en effet sollicité·e·s pour que l’alleycat ait cette fois-ci pour point de départ les Tanneries. Pas de soucis de notre côté : nous apprécions ces « courses d’orientation ludiques et décalées ». Mais pas de chance avec les autorités, puisque le Directeur Départemental de la sécurité publique (DDSP), s’est déplacé en personne, avec toute son escorte, pour nous annoncer qu’un arrêté préfectoral interdisait fermement la tenue de l’alleycat!
Renseignement pris, le cyclo-jeu de piste avait été qualifié de « manifestation anarcho-libertaire ». De quoi faire frémir dans les chaumières ! Ce serait le Préfet de « zone de défense » de Metz, en lien avec le Ministère de l’Intérieur et en concertation avec la Préfecture de Bourgogne, qui aurait pris un arrêté d’interdiction dans le cadre du plan national de sécurité, en appelant une compagnie de gendarmes mobiles de Bordeaux à la rescousse. Rien que ça ! Les autorités semblent avoir fantasmé une horde de cyclopathes déchaînée tout droit sortie de « Mad Max », s’apprêtant à mettre la ville à feu et à sang… Et face aux pressions, les organisatrices, désemparées, nous ont informé·e·s qu’elles préféraient annuler la course…
Mais quelle mouche a piqué ces Messieurs haut placés ? Serait-ce la chaleur ? Les nouveaux venus au pouvoir ont-ils décidé de montrer les muscles et de prouver qu’ils pouvaient eux aussi « rétablir l’ordre », en commençant par interdire… les chasses au trésor et les rébus ? La chasse aux dits « anarcho-autonomes » a-t-elle repris en mode grand guignol, malgré le départ de Squarcini, ex-chef de la DCRI ? En tout cas, il n’y a pas à dire, le « changement » se fait sentir !
Perplexes, nous avons cherché à comprendre le phénomène ubuesque. Il était certes annoncé une « Alleycat des bandits », « course d’orientation clandestine en vélos de tous genres (tandem, cargobike, BMX, pignon fixe, rétropédalage, course, vélo couché, etc.) à travers la ville. Top départ aux Tanneries, checkpoints mystères, puis… Grand bal des gangsters à la salle polyvalente Jacques Mesrine (rue Philippe Guignard) – bal dansant typé boum énervée, jusqu’à l’aube ! ». Se peut-il qu’un haut gradé paranoïaque, qui n’aurait pas eu la chance d’aller en colo dans sa jeunesse, n’ait pas compris le concept de jeu de rôle ou de bal costumé ? Le spectre du « grand Jacques », serait-il encore assez terrifiant, 23 ans après sa mort, pour qu’à sa seule évocation la police dégaine ? Au rang des raisons invoquées cet après-midi par le DDSP pour aider à justifier leur coup de sang : une fête de rue survenue il y a quinze jours rue Berbisey, et le festival de trois jours organisé la semaine passée aux Tanneries.
Pour mémoire, la fête de rue en question a consisté en l’occupation d’une rue populaire du centre-ville par quelques centaines de personnes durant plusieurs heures, autour d’une fanfare, de projections de films en plein air, de jeux et de danses. Nous ne saurions dire exactement si la fête a laissé plus de canettes sur la chaussée que l’une des rares victoires du DFCO ou autre « concert de rentrée » organisé par le cabinet du maire, mais selon les témoignages les plus variés, il semblerait que l’on s’y soit bien amusé. Si nous sommes touché·e·s de l’attention des autorités, il nous serait cependant difficile d’en dire plus à ce sujet: si certain·e·s acteurs et actrices des Tanneries ont sans doute pu être aperçu·e·s en train de danser dans la rue, nous n’avons pas pour autant organisé cette soirée. Sans nous désolidariser d’une initiative fort sympathique, nous ne voudrions pas tirer la couverture à nous: certain·e·s Dijonnais·es ne nous attendent heureusement pas pour mettre un peu de joie et d’intensité inattendues dans la ville.
En ce qui concerne le festival qui a accueilli plus d’un millier de personnes pendant 3 jours, il nous serait reproché d’avoir bloqué une partie du boulevard de Chicago en y jouant au ping-pong et au baby-foot un matin de Pentecôte, et d’avoir provoqué quelques protestations de voisin·e·s pour du bruit excessif, en l’occurrence un peu de mauvaise disco. A cet égard, inutile de nier ou de tenter de décharger nos crimes sur quiconque, car les faits qui nous sont imputés peuvent sans doute nous être attribués. À notre décharge, nous répliquerons que ce n’est pas la mort du petit bonhomme, et qu’en bientôt quinze ans d’évènements publics hebdomadaires, nous nous sommes toujours attaché·e·s à entretenir de bonnes relations avec le voisinage et à ce que nos soirées se passent bien, sans vigiles ni policiers. Et nous entendons bien que cela puisse continuer ainsi.
Ce samedi 2 juin au soir, pendant que les renforts stagnaient au commissariat ou au centre-ville, des fourgons bleutés se sont déplacés aux deux extrémités de la rue Phillipe Guignard — où se situent divers potagers collectifs et familiaux sur des terres menacées — pour y établir des « checkpoints ». Leur mission : interdire l’entrée à la « boum » annoncée près d’une ferme maraîchère occupée pour clore l’alleycat. En effet, un arrêté — municipal cette fois — prohibant toute festivité dans la « salle polyvalente Jacques Mesrine » avait été placardé pour l’occasion !
Au-delà de la farce que constitue cette mobilisation policière extraordinaire, cette situation témoigne de manière beaucoup plus préoccupante d’une volonté — affirmée cet après-midi même par le DDSP — de répression de tout évènement dans l’espace public, dès lors qu’il ne rentre pas docilement dans les cadres institutionnels lisses, les demandes d’autorisation préalables, les embrouilles administratives, les normes de sécurité agréées et tout ce qui s’ensuit. Cela fait pourtant longtemps, à Dijon comme ailleurs, que quantité de manifestations — qu’elles soient ludiques, sportives, culturelles ou politiques — sont organisées hors de ces carcans. De notre point de vue comme de celui de quantité d’individu·e·s et d’associations que nous côtoyons, il s’agit là d’une liberté précieuse, qu’il importe de conserver face au rouleau compresseur normalisateur. C’est notamment ce qui permet de vivre gaiement, même quand on a ni le pouvoir ni l’argent, et d’avoir la marge de s’opposer au monde dominant.
Sans présumer de la suite, et puisque le ridicule ne tue pas, espérons au moins que l’insolation retombe, et qu’ils en restent là !
Mais rien n’est moins sûr : la semaine prochaine les Tanneries accueillent cette fois une « cartonnade » ! Attention, car il s’agira là de personnes lourdement « armées »… Peut-être faudra-t-il doubler les effectifs !?
2 juin 2012, Espace autogéré des Tanneries