Paris-banlieue: Casse-toi, pauvre !

En langage administratif, la chasse aux pauvres s’appelle PNRQAD (Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés) : le plan est appliqué par les organes de l’État (préfectures, régions, départements, municipalités), coordonné par ses services (agences d’urbanisme, services sociaux, etc.), en association avec le Capital (promoteurs, sociétés immobilières, groupes financiers, investisseurs) et ses sous-traitants (architectes, proprios, agences de communication, etc.) Le but : « Requalifier le PPPI (Parc privé potentiellement indigne) », déterminé à partir de données croisées extraites de quatre fichiers (taxe d’habitation, impôt sur le revenu, propriétaires et propriétés). « La méthode est appuyée sur l’idée qu’un logement vétuste dont l’occupant dispose de ressources modestes a une probabilité plus grande d’être indigne. »

On commence par jeter les squatteurs à la rue en livrant ceux sans papiers aux services de l’immigration. Les bulldozers interviennent sans que les habitants aient le temps de récupérer leurs affaires, et on n’hésitera pas à les accuser de tout et n’importe quoi. Les immeubles qu’on a laissés pourrir sont rasés au nom de la lutte contre l’insalubrité. À la place, on met un musée ou une piscine, des bureaux, des commerces et des logements plus écolos et plus chers. Les cités sont rebâties selon des plans conçus en fonction des besoins policiers de contrôle et de répression, et la « mixité » assurée en donnant accès au logement social à des familles plus aisées. Les indésirables disparus, on fêtera enfin la « renaissance » du quartier.

À Saint-Denis (93), en février dernier, une femme est morte après s’être fait brûler vive dans le hall de la mairie, n’en pouvant plus d’être avec ses enfants à la rue. Le maire ayant alors déclaré qu’il fallait réquisitionner les bâtiments vides, un collectif a commencé à s’installer dans un immeuble. Dès le lendemain matin, sur ordre du préfet et sur demande du propriétaire – un groupement d’institutions dont la mairie –, ils en ont été délogés par la force. Le collectif s’est invité aux « états généraux du logement » où le maire leur a promis un rendez-vous. Le jour dit, l’élu était absent, mais la flicaille encore présente pour les faire dégager, avec à la clé quelques coups et un procès, pour « violence envers un policier ».
Pour ce seul plan lancé en 2009, 87 municipalités ont déposé un dossier de candidature. La Commission chargée d’examiner les demandes juge que « l’ensemble des dossiers d’Île-de-France sont dans la cible du PNRQAD », et met particulièrement en avant quatre communes de Seine-Saint-Denis : Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen, Montreuil-Bagnolet. L’expulsion du Hanul, plus ancien campement de Roms de la région, en juillet 2010, l’évacuation de Roms par tramway en septembre dernier, ou encore la mise à la rue de centaines d’habitants l’hiver 2010 à Bagnolet et l’été dernier à Montreuil sont autant d’exemples à suivre pour tous ceux chargés d’appliquer ce plan.

Puisqu’on nous « parque » et qu’on nous « cible », nous devrons nous défendre. Différents collectifs de précaires, mal-logés, expulsés, sans-papiers, se rencontrent et s’organisent. Les stratégies d’associations (réclamer des lois puis, en cas de « victoire », réclamer leur application…), tout comme les discours des politicards municipaux et des sbires préfectoraux (qui se renvoient la balle tout en se prêtant main forte) les ont convaincus de n’avoir rien à attendre que d’eux-mêmes. Et de compter sur la libre association pour rassembler leurs forces, la solidarité pour répondre aux besoins urgents, et la prise de décision collective pour mener leurs actions.

C’est ainsi que la SGIM (bailleur social qui « valorise son patrimoine » de 15 000 logements), dont le président est aussi à la tête de Paris Habitat (115 000 logements) mais encore adjoint au logement à la mairie de Paris, et qui affirme chercher « des solutions si on ne veut pas que Paris reste aux mains de quelques privilégiés », a reçu dernièrement, de la part de non-privilégiés à la recherche de logements, une petite visite qui a animé ses austères bureaux. Le boss étant évidemment invisible, c’est son secrétaire général qui s’est chargé du baratin le temps que les condés se pointent. On se doutait bien qu’il faudrait insister un peu…
Puisque nous sommes nombreux à être concernés, « que se multiplient les formes concrètes de résistance : collectifs de quartier indépendants de ceux qui gèrent les villes, occupations de logements vides, pression sur les conseils municipaux, les réunions de concertation et les bailleurs sociaux, rassemblements et résistances contre les expulsions. »

Nicolas
Groupe d’Ivry-sur-Seine de la Fédération anarchiste

[Article publié dans le n°1674 du Monde libertaire, 24-30 mai 2012.]