«Ah non ! Pas un énième communiqué, ça va on en a assez entendu sur le CREA !». D’accord, le net et la presse abondent de fresh news sur cette agitation toulousaine ces derniers jours. On avait quand même envie de faire sortir quelques réactions et analyses, quelques ressentis et opinions. De là où on est, sans trop de prétentions. On ne souhaite pas représenter la voix de cette campagne de réquisitions, ni même une partie de celle-ci. On est juste quelques potes qui se bougent depuis un p’tit temps sur cette lutte, pas forcément depuis le début, pas forcément de manière continue, et qu’ont envie de partager ces trucs là, provoquer des discussions partout là où des situations similaires se sont produites… En gros exprimer notre subjectivité radicale quoi !
Mardi 28 août au petit matin. Dispositif policier installé, une quarantaine de personnes se regroupe petit à petit au plus près du lieu. De là, on voit une partie du toit, où quatre personnes se sont déjà réfugiées pour compliquer l’expulsion. Quand les soutiens débarquent, les poulets sont déjà à l’intérieur. Le dispositif est conséquent, une grosse partie du quartier est bouclée et grouille de condés, les bus sont déroutés pour la journée, et un nombre hallucinant de corps de flics sont représentés. Des camions de CRS, des gendarmes, dont des Mobiles qui tiennent le périmètre, une brigade de montagne pour aller cueillir les camarades perchés, des stups (??), des spécialistes des cambriolages (???), la SDIG (anciennement Renseignements Généraux), des nationaux lambda, les BACeux, les pompiers (quand ils collaborent aussi fort, on appelle ça des kisdés aussi), et on en oublie sûrement…
Pendant deux heures environ, ça gueule, ça insulte les keufs, ça embrouille les ouvriers qui viennent murer, ça tape sur les palissades, ça chante Sexion d’Assaut, ça gueule contre la flicaille et les expulsions. Le petit nombre ne permet pas aux soutiens d’avoir une grosse marge de manoeuvre pour saper un peu l’énergie des bleus. Puis les camarades sur leur toit sont rejoints par les decks spécialistes de la montagne. Au début, ça négocie, puis d’un coup ça devient tendu, on voit le premier occupant se faire interpeller, plaquer, et on entend ses cris quand il se prend cinq coups de taser successifs. Deux autres se font encore choper, «sans aucun souci pour leur sécurité» : personne n’est assuré sur le toit, et les keufs en question se privent pas d’avoir des mouvements brusques.
Alors en bas, la rage monte d’un coup, et les soutiens se regroupent sur le pont derrière eux, pour bloquer la circulation. Forcément, à trente sur un pont, ça tient pas long et les CRS tardent pas à se ramener pour débloquer la situation : aucune arrestation, mais ils se gênent pas pour taper dans le tas d’une manière désordonnée : coups de latte, de bouclier et de tonfas. Hématomes multiples et poignet cassé en conséquences. Échauffourée rapide, et le groupe des soutiens se retrouve vite coupé en deux ; le premier rejoint alors le centre-ville pour se disperser, en laissant quelques traces sur son passage (poubelles renversées, tags : «CREA expulsé bordel partout», «Inssurection»…). Mais la plupart des soutiens retournent devant le CREA et restent encore un moment pour voir le dernier occupant délogé. Lui ne sera pas arrêté, mais les trois autres, en plus de se prendre des coups pendant leur descente des escaliers, sont embarqués au poste fissa. Les trois sont accusés d’outrage et rébellion, ainsi que de refus de signalisation (empreintes et ADN), deux d’entre eux, ceux qui en ont bien sûr le plus pris plein la gueule sont aussi accusés de violences sur deux decks qui ont trouvé un médecin pour leur prescrire cinq jours d’ITT. Normal. Malgré la démonstration musclée et cette volonté de mettre le rapport de force en leur faveur, la rage ne retombe pas pendant le reste de la journée, et une dynamique spontanée de riposte s’installe.
Face à cette expulsion , on avait pas envie de s’indigner, de retourner tranquillement nous coucher, de déprimer toute la journée sur un canap’ en soufflant, comme d’hab. C’est viscéral, pas moyen que ça passe sous silence ,on voulait mettre la zone, que tout le monde le sache ! On a commencé par se rejoindre dans l’hyper-centre bourge de la ville (Jean Jaurès). Y’avait l’idée de bloquer plusieurs carrefours, alors on est restés une demi-heure à faire chier les automobilistes avec nos tracts et nos slogans, puis on est parti en direction d’Arnaud-Bernard en cortège en bloquant la circulation, aucun keuf, il est midi, y’a un bouchon énorme qui nous suit, on est contents. On reste pas longtemps sur le deuxième rond-point, en voyant la BAC arriver. Après ça, ça a continué à tracter toute l’après-m’. Le soir même on se réunit à 200 pour parler de ce matin, embrasser les potes sortis du comico, se filer la patate pour la suite, proposer, échanger… Mais vu qu’on est pas assez rassasiés de bordel, on décide de partir en manif sauvage direct, on est un peu moins de 400 000, genre 50 mais on est déter’ ! On commence par s’arrêter à un concert de hippies sur Arnaud-Bernard, on leur taxe le micro, ça lit le communiqué du jour, les gens sont attentifs et y’en a plusieurs qui nous rejoignent pour continuer notre parcours freestyle. Ça gueule «Créa expulsé, guerre sociale déclarée» ou encore «Ils expulsionnent, on réquisitionne», «PS, UMP, la guerre aux pauvres c’est toute l’année», on a la rage, on se lâche un peu comme on veut, on est là la nuit à empiéter sur leur territoire hostile de bourges, plein centre, les gens en terrasse de luxe hallucinent un peu on dirait. On est plutôt 70 maintenant et toujours pas de keufs. Ça tague tout le long, «Squat ta ville» ; «Ici c’est vide» ; «Mort aux bourgeois», «Nik la Bac» «La France tu l’aimes ou tu la brûles» «Flic suicidé, à moitié pardonné» ; «Mairie collabo», «Anarchie toupar», etc. On se marre bien quoi. Des DAB et leurs caméras sont aussi recouverts de peinture. Des motards keufs et une caisse commencent à nous suivre, ils ont le signalement de plusieurs personnes à choper, ça s’accélère, on cherche un endroit pour se disperser, on revient sur nos pas avec l’envie de pas ramener les porcs sur Arnaud-Benz, ils passent déjà assez de temps à contrôler, arrêter, harceler les gens là-bas. On se disperse avant la place en courant avec les keufs derrière. La balade aura duré une bonne heure, personne ne s’est fait arrêter à part quelques contrôles avec fouilles. On s’endort avec les gyrophares qui tournent dans la ville. Et ça toute la night !
On décide le lendemain matin de mettre un peu d’agitation dans les locaux de la Dauberie Régionale des Creuvards Sociaux et de la Jeunesse Suicidée (DRJSCS), dépendance à Lousetou du proprio. L’idée étant de les embêter un peu et d’obtenir un coup de tél’ au ministère depuis ce lieu VIP. Ça se balade dans tous les étages, on visite avec la même euphorie douce que lorsqu’on rentre la nuit dans un bat’ ou comme des gosses dans une fête foraine. Au bout d’une demi heure on arrive à savoir qui a la sale tache d’être au top de la hiérarchie et on décroche une réunion avec elle, où dix personnes sont autorisées à ouvrir leur bouche. Ça traînaille, la directrice adjointe nous balade, reçoit des milliards de coup de fil. On saura plus tard qu’elle était en direct avec la pref’. Ggrrrr ! Pendant ce temps là les kisdés se ramènent, SDIG et commissaire divisionnaire commencent à venir nous faire leur blabla et nous imposer de faire comme eux ils veulent. Rapidement ça devient un peu confus, des decks se massent de plus en plus à l’extérieur et nous on est de moins en moins à l’intérieur. On se donne la pêche en scandant des slogans à la hauteur du sérieux de cette journée : «Des pizzas, du tofu et plus d’Etat du tout», «Des chatons, des minous et plus d’Etat du tout» ou encore «Non aux expulsions».
Au final, des coups, des crânes ouverts, une personne embarquée sur l’instant et nous de se disperser un peu maladroitement dans les abords de cet immeuble immonde. Quelques minutes plus tard, c’est des BACeux qui interpellent un des participants sur la route, télescopique à la main, ils nous ordonnent de rester au loin et de ne surtout pas désarrêter. Dans un autre coin, toujours au même moment, c’est trois clowns partis vers la préf’ qui se verront interpellés et embarqués pour quelques heures au frais sous les néons.
On garde un goût amer de cette matinée et comme une piqûre de rappel. Nous rappeler que ces interlocuteurs, les institutions, nous la mettront toujours à l’envers, sous de belles paroles galvaudées. Que quand bien même on met les formes, on se place sur leur terrain, on utilise leurs codes, on se fait bouffer parce que c’est comme ça qu’ils ont appris à se relationner avec nous. Parce que c’est nos ennemis point barre ! Pendant toute la durée du bras de fer institutionnel biaisé pré-expulsion, on a tenté, de diverses façons de leur foutre la pression, d’obtenir des réponses et des engagements. Toute cette énergie ne nous a rapporté que de la fatigue, de la haine et de l’expérience en girouettomanie. Goût amer aussi de se rendre compte une fois de plus des tactiques policières de vouloir taper sur les têtes qui dépassent un tant soit peu, de tenter, encore, de nous faire peur. La veille, au point de sortir les tasers sur le toit. Ce jour, en usant de la matraque à tout-va. Les kisdés avaient en vue des têtes bien précises (dont celles du soir précédent), et ont voulu coûte que coûte embarquer et calmer. On sent que la préf’ perçoit un rapport de force s’installer, et nous aussi, et elle tentera par tous les moyens de maintenir sa position toute puissante. Mais blessures, expulsions, hématomes et poursuites judiciaires ne sont que plus de prétextes pour tout niquer, elle et ses potes n’ont pas fini d’en baver.
Ces actions immédiates et collectives montrent non seulement de nombreuses volontés de réponses face à l’expulsion du CREA, mais surtout sont révélatrices des dynamiques que le bâtiment abritait : activités diverses, cours d’alphabétisation, mouvement de réquisitions, organisation de rencontres et de festivals, campagne zéro personne à la rue, soirées de soutien, etc. L’expulsion du CREA dépasse alors le simple fait qu’une quarantaine de personnes se retrouvent sans logement, elle marque aussi la fin d’un lieu autonome et autogestionnaire et où s’échangeaient des pratiques et des savoirs. Le fait qu’autant de personnes se sentent concernées et décident d’agir ensemble montre qu’en 16 mois le CREA a permis la mise en place d’un socle commun offensif entre de nombreuses personnes venant de nombreux horizons. Et c’est pour ça que l’Etat et ses chiens de garde ont décidé de l’expulser : ne pas laisser les indésirables, qu’illes soient pauvres, sans papiers, militants ou marginaux, s’organiser entre elleux, sans son intervention, ne pas laisser un rapport de force s’installer. Malgré tout, il semble, en vue des réactions immédiates et nombreuses, que ce socle existe bien, et qu’il est parti pour durer. Alors quoi, c’est bien d’écrire des communiqués de soutien (dédicace à EELV, qui réussissent à mimer la colère, bien calés au ministère), de s’indigner, de revendiquer. On trouverait quand même plus intéressant que chacun puise dans ces évènements la force de mener des actions collectives enragées, directes là où ille lutte, et que cette rage qu’on peine à contenir chaque jour explose sous plein de formes, partout, pour les faire trembler et s’essayer à respirer.
Tout pour toutes, pouvoir aux peuples, nique les dogmes.
[Publié le samedi 1er septembre 2012 sur Indymedia-Paris.]