La crise économique des années 1930 a vu des dizaines de milliers d’Australien-ne-s perdre leur domicile, expulsé-e-s pour n’avoir pas pu se conformer suffisamment correctement au droit de propriété. Mais ces expulsions ne se sont pas déroulées sans opposition. A travers l’Australie, des piquets, des occupations de bâtiments et des manifestations ont été organisés pour perturber et empêcher la bonne marche des expulsions et des ventes aux enchères. Et quand cela ne suffisait pas, les actions directes se sont multipliées contre les propriétaires, les agences immobilières et l’Etat.
Cette brochure dresse une chronologie non-exhaustive des actions menées pendant la période agitée de 1929-1936. Avec l’idée, bien sûr, que cela puisse servir, d’une manière ou d’une autre, aux luttes actuelles et à venir, jusqu’à la destruction totale de la propriété privée.
Traduction de la brochure australienne Lock out the landlords! Anti-eviction resistance 1929-1936 (Expulsons les propriétaires ! La résistance aux expulsions 1929-1936), rédigée à partir des recherches de Iain McIntyre, éditée initialement en 1997 par A-Press, puis par Barricade publishing (Melbourne) en 1998. L’édition traduite en français par Zanzara athée date de novembre 2012.
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Préface
La crise économique qui sévit en Europe et à travers le monde depuis quelques années donne lieu à une augmentation affolante des expulsions de logements. Que l’on soit squatteur/squatteuse, locataire ou même petit-e propriétaire, l’expulsion est une possibilité à envisager sérieusement. La question des moyens de s’organiser pour résister aux expulsions semble pouvoir concerner de plus en plus de monde, et derrière son aspect « défensif » peuvent se loger de bonnes raisons de se révolter et d’entrevoir des perspectives révolutionnaires.
On sait qu’en Espagne ou aux Etats-Unis, les procédures d’expulsion sont si nombreuses qu’elles ont inévitablement mené à diverses actions de lutte, dont les expressions les plus médiatiques se sont manifestées à travers le mouvement des indignad@s en Espagne et le mouvement Occupy aux Etats-Unis.
Puisque le monde entier se trouve sous le joug du capitalisme, dirigé par la propriété privée comme droit premier, il est logique que les expulsions de logements soient une pratique courante sur tous les continents de la planète. La guerre sociale qui oppose les exploité-e-s/ dominé-e-s aux possédant-e-s se manifeste à différents niveaux, avec comme élément déterminant l’épaisseur du porte-monnaie, ou disons, celle du compte en banque. La norme est à la course au fric pour pouvoir se loger, les petit-e-s propriétaires pour payer aux banques leurs crédits sur 30 ans et les locataires pour lâcher une grosse partie de leur salaire aux propriétaires. Quant aux squatteurs/squatteuses, ils/elles doivent toujours s’organiser pour éviter/repousser l’expulsion, la répression envers les squats se faisant plus serrée ces dernières années. Si se loger est une nécessité de base de la vie quotidienne, c’est surtout une source de stress permanent pour pratiquement tout le monde, notamment dans la période actuelle.
Rien que depuis deux ans, il est extrêmement compliqué de faire le décompte des révoltes relatives à des luttes autour de questions de logement et de propriété foncière. Citons quelques exemples dans divers pays : en septembre 2010 au Kenya, des émeutes se déclenchent contre une opération massive d’expulsion de logements. La police tue deux personnes lors des affrontements. Lors de ce même mois de septembre 2010, des émeutes éclatent pour les mêmes raisons en Colombie et en Afrique du sud. En octobre, idem à Amsterdam en défense des squats et aux Philippines contre l’expulsion d’un bidonville. Ça recommence ailleurs en Colombie, tandis qu’en Chine des villageois-es affrontent la police pour empêcher des saisies de terres. A Barcelone, la grève générale donne lieu à des manifs offensives ainsi qu’à des occupations de bâtiments pour organiser la lutte. En Grèce, bien sûr, des assemblées de quartier s’organisent sur les questions de logement et de nombreux squats anarchistes, toujours en lien avec les luttes qui se déroulent notamment à Athènes et Thessalonique, sont régulièrement attaqués par la police ou les fachos. En décembre 2010, à Buenos Aires, la police, puis des habitant-e-s d’un quartier, attaquent un parc squatté par des pauvres qui y vivent dans des tentes. Quatre squatteurs/squatteuses sont tué-e-s en quelques jours, conséquence d’une guerre entre pauvres qui se déroule souvent sur fond de racisme ordinaire. En janvier 2011, encore des affrontements aux Philippines pour empêcher une opération d’expulsion, même chose en Algérie, où les conflits sur les questions de logement sont permanents, les affrontements avec les forces de l’ordre presque une habitude quotidienne. On n’oubliera pas les révoltes du « printemps arabe » en 2011, période pendant laquelle de nombreux bâtiments ont été squattés, notamment en Lybie avant et pendant l’insurrection. En février, des manifs tournent à l’émeute à Berlin contre l’expulsion d’un des derniers grands squats de la ville. Même chose à Freiburg-im-Breisgau en août, ou à Bilbao en septembre. Et aussi en Angleterre, en octobre, lors de l’expulsion du plus grand campement « illégal » de Grande Bretagne. Depuis début 2012, des luttes très dures sont menées au Népal et en Inde contre des opérations d’expulsion. En janvier au Brésil, les 9 000 occupant-e-s de Pinheirinho sont violemment expulsé-e-s. En avril, c’est à Cayenne et à Ankara qu’une résistance organisée accueille les bulldozers et les flics. Même chose au Vietnam et au Cambodge en mai, au Paraguay, au Pérou, à Haïti, en Espagne et en Chine en juin. Entre début juillet et fin septembre, des barricades et/ou émeutes accueillent des opérations d’expulsion en Algérie, en Italie, en Colombie, en Tunisie et à nouveau en Chine et au Pérou, et ce mois d’octobre 2012 est dans la continuité avec des émeutes qui éclatent pour s’opposer à des expulsions au Maroc, aux Philippines, en Colombie, etc. On peut aussi évoquer la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, où de nombreux/nombreuses habitant-e-s sont en pleine résistance active face aux opérations d’expulsion, qu’ils/elles soient squatteurs/squatteuses, locataires ou propriétaires. Ces exemples sont loin d’être exhaustifs, ce ne sont là que quelques-unes des manifestations marquantes de luttes contre la propriété privée (y compris la dite « propriété publique » qui n’est autre que la propriété d’Etat), ce droit d’accumuler les richesses et d’écraser les pauvres.
Et si l’Océanie semble le continent le moins touché par ces problèmes d’expulsion, il ne faut pas se leurrer : là-bas comme ailleurs, les riches peuvent vivre à la cool tandis que les plus pauvres vivent dans des conditions de merde, en particulier les populations aborigènes, qui subissent une forme d’apartheid à la sauce social-démocrate.
En tout cas, cette traduction de l’anglais d’une brochure publiée initialement en Australie est l’occasion de montrer qu’avec un peu d’organisation et de détermination il y a souvent moyen de faire reculer le pouvoir, et de faire face dans un rapport de force de toute façon inhérent à la guerre de classe. Cela s’inscrit dans l’histoire des luttes sur les questions de logement et de propriété et fait écho à des formes de lutte comparables, comme actuellement en Espagne ou en Italie.
Cette brochure dresse une chronologie non-exhaustive de multiples moyens employés pour résister aux nombreuses expulsions qui ont sévi à travers l’Australie suite à la crise économique de 1929. On pourra regretter le manque de détails sur l’organisation des luttes, les difficultés à comprendre le degré d’auto-organisation ou de canalisation par le Parti communiste australien, mais il y a sûrement moyen de trouver là de l’inspiration pour les luttes contemporaines…
De la même manière que tant que la propriété privée fera sa loi il y aura des squats qui ouvriront, tant qu’il y aura des expulsions il y aura des gens pour y résister. Leurs lois ne sont pas les nôtres, les droits qu’on nous accorde servent avant tout à réguler et limiter les luttes desquelles ils découlent. Pour qu’il n’y ait plus d’expulsions, finissons-en avec la propriété privée.
Zanzara athée, octobre 2012