À Turin, la lutte contre les sfratti [expulsions locatives] continue. Pour plus d’infos sur les épisodes précédents, voir la brochure « Lutte contre les sfratti à Turin – Assemblées, piquets et occupations 2011-2012« et les précedents articles se trouvant ici.
Ci-dessous, des nouvelles fraîches, datant de la semaine du 10-15 mars:
Atouts dans la manche
Depuis quelques semaines l’ambiance était détendue aux piquets antisfratto. Les huissiers qui viennent sans trop se faire prier, lâchant des reports généreux, jusqu’à trois mois, sans trop tergiverser. Et surtout aucune concentration de sfratti sur un seul jour pour les mois de mai et juin. Le tout accompagné des sourires blafards et des phrases sibyllines des huissiers, comme s’ils avaient encore quelques atouts dans leurs manches. Et ils ont sûrement décidé d’en sortir quelques-uns jeudi dernier [le 7 mars 2013].
Tôt le matin, quelques camionnettes pleines de CRS se garent via Renier, à Borgo San Paolo. Ils sont là pour expulser un appartement où vit une famille qui résiste à son sfratto depuis quelques mois. « Petite » particularité : le prochain passage de l’huissier était fixé pour le 19 mars et aucune résistance n’avait donc été organisée ce matin-là. Le sfratto anticipé est exécuté sans trop de difficultés : flics, huissiers, propriétaire et avocat font les coqs et s’en vont satisfaits.
Pour les féru-e-s d’aspects techniques nous précisons qu’il s’agit d’une procédure aux marges de la loi mais tout de même légale. Il est possible d’avancer la date d’un sfratto sans en informer les concerné-e-s, il suffit de trouver un juge qui appose sa signature, et il est bien connu que les propriétaires immobiliers, comme tous les possédants, trouvent facilement des juges complaisants. Dans ce cas il semble que l’autorisation ait été signée par Marco Nigra, juge au tribunal de Turin, magistrat démocrate de gauche.
La manœuvre du sfratto « surprise », en vérité, n’est pas nouvelle. Il y a moins d’un an, au cœur de Barriera di Milano la Préfecture avait déjà utilisé cette stratégie : un sfratto avancé d’une semaine par peur de rencontrer de la résistance avait été exécuté sans trop de difficultés. La personne expulsée s’était déjà installée depuis quelques temps dans une occupation d’habitation du quartier et n’avait donc pas été particulièrement indisposée par cette mesure. En réponse, des balades et des diffusions de tracts au marché de Porta Palazzo, à celui de Piazza Cerignola et à Borgo Vittoria ont été improvisées les jours suivants. Des tags et des affiches sont apparues sur les murs de Barriera di Milano racontant l’histoire et désignant les responsables matériels de l’exécution du sfratto.
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais si la préfecture décide d’utiliser systématiquement cette nouvelle stratégie, les épisodes comme celui-ci marqueront sans doute un changement de rythme. Les petits chefs qui se retrouvent chaque semaine à la Table pour la Sécurité et l’Ordre Public avaient sans doute constaté la faillite de la stratégie des « troisièmes mardis du mois ». Concentrer autant de sfratti en un seul jour n’a pas apporté les résultats espérés, au contraire, cela a provoqué un renforcement de la résistance. Barricades devant les portails et rues bloquées, dizaines de sfrattandi et de solidaires – turinois-es mais pas seulement – prêt-e-s à résister dès l’aube et surtout un tas de reports conquis par la force de la lutte. Ce qui devait être la manœuvre victorieuse pour réprimer la résistance aux sfratti, s’est révélée être, pour l’instant, un flop.
L’assiette pleure : de la carotte et quelques miettes
Cependant, tandis que la préfecture met au point ses stratégies, la machine des assignations de HLM commence à s’échauffer, car pour bien fonctionner la menace du bâton doit être accompagnée de quelques carottes. A partir du printemps, l’ATC (office d’HLM local, Ndt) devrait commencer à assigner des dizaines de logements, mais elle ne réussira sûrement pas à faire front face aux milliers de demandes reçues. Comment faire, donc, vu que les procédures de sfratto augmentent chaque année, que la résistance continue, s’élargit et se renforce et que celleux qui restent sans maison décident de plus en plus souvent d’en occuper une vide ? Et c’est là, prêt à conjuguer le profit et la gestion de la misère qu’intervient ledit « secteur tertiaire ».
Le premier à se lancer a été Mauro Maurino, responsable du consortium Connecting People. Pour les lecteurs assidus de Macerie et histoires de Turin et en général pour tous les ennemis des centres d’identification et d’expulsion (CIE), Maurino devrait être une vieille connaissance. Interviewé par un chroniqueur local de la Repubblica la semaine dernière à propos de ladite « urgence réfugiés », Maurino en plus de pleurnicher la misère comme à son habitude, a cru bon d’être en mode proposition. Vu que l’affaire des réfugié-e-s lybien-ne-s part en fumée, il a tout de suite fait remarquer que « les structures utilisées pour les étrangers peuvent aussi fournir une alternative pour l’urgence d’habitat ». Un beau business pour lui et pour ses coopératives, et quelques épines du pied retirées à l’administration communale et à la préfecture.
L’enjeu, juste pour être clair, est rapidement expliqué dans l’article : si c’étaient les coopératives sociales qui s’occupaient des sfrattati cela « pourrait empêcher d’autres occupations de maisons par des SDF ». Quand on parle de « jouer à jeu découvert »…
Peu de jours après, Caritas, La compagnie San Paolo et Philip Morris se mettent en avant, unis dans une sainte alliance qui a annoncé vouloir intervenir sur la question de l’urgence du logement donnant vie au projet Sis.te.r. L’église, une fondation bancaire et une multinationale du tabac mettent 70 000 euros dans l’assiette, un chiffre ridicule avec lequel elles voudraient proposer aux familles qui sont expulsées quelques appartements pour le séjour temporaire. Synergica, une jeune coopérative sociale qui en à peine deux ans d’existence a déjà mis sur pied plusieurs programmes d’hébergement et de mix social (immeubles proposant des appartements de différents standing censés appuyer la mixité sociale, Ndt) en collaboration avec la mairie de Turin, des fondations catholiques et des coopératives rouges (associations humanitaires issues dudit « mouvement social », Ndt), sera chargée du projet.
Attendons de voir ce qui arrivera dans les prochaines semaines. Les « troisièmes mardis du mois » sont encore programmés aux mois de mars et d’avril et nous verrons si la préfecture préférera encore une fois prendre le temps ou décidera de passer en force. Dans les prochains jours nous comprendrons aussi s’ils essayeront de répéter la stratégie des sfratti « surprise », décidant d’augmenter la mise. Ce choix mettrait sûrement en sérieuse difficulté les réseaux de résistance aux sfratti qui sont nés et se sont développés en ville ces dernières années. Mais le choix de transformer de fait les sfratti en expulsions, profitant du facteur surprise n’est pas une tactique qui sert la paix dans le monde. Ce pourrait être une bonne occasion pour sortir des cadences définies par l’ennemi, pour enfin envoyer valser cette table à quatre sous.
Sfratti anticipés ? Bordel assuré !
A Borgo Vittoria un piquet antisfratto conséquent attend l’huissier. Pour la petite histoire, aujourd’hui l’huissier est Lino Mazzeo, bien connu de beaucoup de celles et ceux qui depuis des mois en ville résistent aux sfratti, pour être le plus fidèle serviteur des propriétaires. De peur d’affronter le piquet, comme c’est déjà arrivé d’autres fois, Mazzeo ne s’est pas présenté, mais il a décidé, cette fois, de nous mettre particulièrement la pression. Contacté au téléphone par la famille sous sfratto, il explique plus ou moins comme cela la situation : « vous avez organisé un piquet ? Alors nous n’exécuterons pas le sfratto, nous donnons les cartes au juge et ce sera à lui de décider quand l’exécuter. Mais à vous on ne vous communiquera plus aucune date ». La menace d’utiliser la stratégie du sfratto surprise est claire, mais le piquet ne perd pas de sa motivation et décide de prendre l’initiative. Certain-e-s restent pour garder la maison tandis qu’une quarantaine de sfrattandi et de solidaires décident de prendre un bus et d’aller dans la tanière du loup : le Bureau des Notifications, Exécutions et Requêtes, le QG des huissiers qui se trouve dans l’ancienne prison, à deux pas du Tribunal. Un petit cortège bruyant part à la recherche du directeur dans les bureaux ; ce dernier s’était déjà retrouvé acculé, plusieurs fois, à délivrer une prolongation. Mais cette fois la protestation s’exprime aussi contre les nouvelles manœuvres de la préfecture qui semble avoir décidé d’utiliser systématiquement la technique des sfratti-surprise.
Le bureau est rapidement fermé au public, et se remplit de policiers : agents en uniforme et en civil accompagnés d’une vingtaine de CRS. Le groupe qui avait occupé les bureaux se retrouve parqué dans la cour interne, la police laisse sortir les femmes avec les petits enfants et prétend vouloir identifier tou-te-s les autres. Commence alors une longue phase de flottement : d’un côté celles et ceux qui avaient occupé le bureau et veulent le report, de l’autre la police qui veut les papiers. En même temps dehors un petit rassemblement se forme et se fait charger juste après avoir décidé de bloquer le Corso Vittorio Emanuele ; les CRS embarquent un solidaire. A l’intérieur des bureaux c’est aussi un peu la confusion, quelqu’un-e se fait arrêter par les CRS et se retrouve dans un blindé, un-e autre fait un malaise et un-e troisième va à la fenêtre et sort sur la balustrade.
C’est au final dix personnes arrêtées dont trois personnes qui n’avaient pas leurs papiers d’identité. Toutes sont emmenées au commissariat de Via Tirreno, et là aussi se forme un rassemblement solidaire : une soixantaine de personnes demandent la libération des arrêté-e-s en faisant un gros boucan, plusieurs heures durant, avec des slogans, des pierres tapées sur les poteaux et lançant quelques pétards. Sept sont relaché-e-s, en revanche, les trois personnes qui n’avaient pas leurs papiers restent dedans. Celleux qui sortent racontent les avoir vues passer dans le couloir du commissariat, blessées et menottées. L’une d’entre elles se prenait des coups de pieds par un flic juste devant la cellule où étaient enfermé-e-s les autres. Pour le moment nous ne savons pas si la police décidera de les mettre en prison ou pas, ni ce qui s’est exactement passé entre le moment de leur arrestation et leur arrivée à Via Tirreno : nous vous le raconterons dans les prochaines heures.
Mise à jour du 12 mars, 19h : Claudia, Marianna et Simona sont à la prison des Vallette. Les avocats n’ont pas encore pu voir le dossier ni parler avec les arrêtées donc nous ne savons pas encore ce qui s’est passé hier dans la camionnette et dans la cour du commissariat de via Tirreno. Demain, en prison et à huis-clos, se déroulera l’audience de confirmation (statuant sur la suite des évènements, Ndt).
Mise à jour du 13 mars, 14h30 : Contre information – l’audience des trois arrêtées se déroulera demain, 14 mars, à 10 heures. Qui veut envoyer des lettres ou télégrammes peut le faire à cette adresse :
Claudia Brito Muniz
Marianna Valenti
Simona D’Andrea
c/o Casa Circondariale “Lorusso e Cotugno”
Strada Pianezza, 300
10151 Torino
Mise à jour du 14 mars, 13h : Ce matin à la prison des Vallette s’est déroulée, à huis-clos, l’audience de confirmation de l’arrestation de Claudia, Marianna et Simona. Elles sont accusées d’avoir frappé, pendant leur transport au commissariat, les six policiers présents dans la camionnette – et ce à elles seules. Le parquet a demandé la détention en prison pour Marianna et celle domiciliaire pour Claudia et Simona. Elles vont bien toutes les trois, et la réponse du juge arrivera demain à midi.
A pied, en tram, et encore à pied
Dans l’après midi, après une rapide et folle assemblée pour discuter des arrestations de lundi, un cortège spontané de sfrattati et solidaires part de la maion occupée au 9 Corso Novara et défile sur le Corso Giulio Cesare, bloquant la rue et chantant des slogans. Piazza della Repubblica les manifestant-e-s sautent dans le 3– au cri de « le tram se prend, le billet ne se paye pas »- pour rejoindre la prison des Vallette et saluer Claudia, Marianna, Simona et tou-te-s les détenu-e-s. Pour une fois, ce ne sont pas seulement les militant-e-s mais aussi une partie de la ville en lutte qui proteste devant les prisons. La police, prise par surprise, doit se contenter de percer les quatres pneus de la voiture avec laquelle un compagnon avait rejoint la taule. Dans l’attente du dépanneur, des policiers sont tenus à distance par des cris et des crachats.
Coups portés
Dans la nuit, un groupe de vandales a pris pour cible deux filiales bancaires à Barriera di Milano : la Unicredit de Corso Novara et la Banque du Piémont Corso Palermo, ainsi qu’un bureau de Poste qui se trouve à côté. Les vitres ont été endommagées à coup de marteau et les murs ont été tagués: « Basta sfratti, pagherete tutto » (stop sfratti, vous payerez tout).
Incident d’exécution
Depuis huit heures du matin, une cinquantaine de personnes bloquent le croisement entre la Via Leini et la Via Elvo, au coeur de Barriera di Milano, à l’aide de cassonetti: un piquet antisfratto, une scène déjà vue cent fois dans ces rues. Après une courte attente derrière les barricades, comblée par la dégustation de pâtisseries, arrivent la propriétaire et l’avocate. Turin est petit : beaucoup reconnaissent la propriétaire, qui possède beaucoup d’appartements à Turin et est connue pour la désinvolture avec laquelle elle les gère – loyer au noir, enfoncement des portes de celleux qui ne payent pas, etc.
De l’huissier, Gaetano Manago même pas l’ombre. La tension monte vers 10 heures quand l’avocat et la propriétaire passent un coup de téléphone, et cherchent à filer à l’anglaise. Les gens du piquet s’agitent, la suivent, le ton monte, et au final l’avocate effrayée se réfugie dans un garage à proximité, la propriétaire dans une épicerie à l’angle et appellent police, sbires et taxi.
Que s’est il passé ? Pour la seconde fois en une semaine, l’huissier – avisé de la présence du piquet – a soulevé un « incident d’exécution » renvoyant les actes au juge et transformant comme ça une procédure de sfratto en expulsion sans préavis. Les gens du piquet sont furieux, le taxi qui devait sauver l’avocate reste pris entre la foule et les cassonetti, la propriétaire reste enfermée dans l’épicerie jusqu’à l’arrivé d’un de ses gardes du corps, un de ceux qui lui sert quand elle va réclamer les loyers à ses locataires. Au final, le piquet décide de partir en manifestation et abandonne ces deux-là à leur sort. Aux cris de « sfratti anticipés, bordel assuré » et « Liberté pour Claudia, Marianna et Simona ! », le cortège fait un tour vers le marché de Piazza Foroni, puis Corso Palermo et, après un bref blocage Corso Giulio, retourne devant le portail.
macerie @ 14 mars 2013
Libérées !
Après quatre jours de prison, Claudia, Marianna et Simona seront libérées dans la soirée, néanmoins Marianna et Simona seront obligées de pointer tous les jours au commissariat.