Fort de 20 années d’existence dans la baie de San Francisco, le collectif partage son expérience : luttes au quotidien contre les problèmes de logement, ouvertures collectives de squats, combats contre la gentrification…
Traduction d’un extrait de Fireworks n° 2, un petit journal anarchiste de San Francisco et alentours, paru à l’été 2013.
Le collectif Homes Not Jails (HNJ) de San Francisco a été créé en 1992 en réponse au nombre très important de personnes à la rue, alors que dans le même temps il y avait énormément de maisons vides depuis des mois ou des années. A travers la réappropriation discrète de maisons vides, l’occupation de bâtiments publics et l’action directe, HNJ vise à satisfaire le droit humain de base qui est que tout le monde puisse avoir un logement sûr et gratuit. Le collectif s’occupe, par exemple, de repérer régulièrement des maisons vides en arpentant les rues et permet ainsi à celles et ceux qui en ont besoin de se loger pour quelques nuits. Le collectif est influencé par des slogans du genre « La propriété c’est du vol » ou bien « la propriété c’est de la violence »: « Il y a chaque nuit des personnes condamnées à dormir dans la rue, des personnes blessées, des personnes affamées, en train de crever, ou harcelées par la police… Comment dire que ce n’est pas de la violence, alors qu’il y a toutes ces maisons qui ne sont pas utilisées ? »
Homes Not Jails tient chaque semaine une réunion « action » en plus des ateliers réguliers d’éducation populaire. Les réunions du mardi soir permettent aux gens qui ont besoin d’un endroit pour la nuit de passer immédiatement à l’action. Lorsque l’assemblée commence, les personnes venues se présentent, puis expliquent si elles ont besoin ou non d’un logement pour la nuit ou si elles peuvent aider aux repérages après la réunion : « Quand on est dans une situation d’extrême galère pour la nuit à venir, c’est un peu compliquer d’aider directement à repérer des maisons. C’est pourquoi il y a un lieu dédié à l’accueil des gens pour la première nuit », dit le collectif HNJ. Une fois que la question de l’hébergement pour la nuit est réglée et que les rencarts sont pris pour la semaine, les personnes de l’assemblée forment des « équipes de recherche » pour partir repérer les maisons vides.
Tactique à court terme : mettre des témoins, regarder s’ils tiennent, changer la serrure.
Le groupe utilise un certain nombre de tactiques pour reprendre les maisons à leurs propriétaires ou aux banques. Par exemple, un des moyens efficaces qu’utilise l’ « équipe de repérage » est de poser un petit bout de scotch « témoin » sur les portes des maisons qui ont l’air vides. Après 3 ou 4 semaines, le groupe y retourne et vérifie si le scotch est toujours là ou pas. Les médias ont récemment fait la remarque que les squatteurs utilisaient du scotch bleu, c’est pourquoi le collectif a suggéré d’utiliser d’autres couleurs de scotch pour que les propriétaires y prêtent moins attention ! Et si le scotch n’a pas bougé au bout d’un mois, c’est bon signe, et on peut rentrer dedans et changer la serrure ! Homes Not Jails insiste enfin sur le fait que la confiance et les relations anti-autoritaires sont essentielles pour la réussite de ces opérations de réappropriation toujours risquées.
Pour faciliter un peu la recherche, le collectif utilise le site web Redfinn.com qui cartographie les maisons « à vendre », « pas à vendre », et « saisies » dans différentes villes. HNJ incite également à « choisir les maisons saisies car elles ont été vendues aux banques. » Les maisons vides passent souvent inaperçues pour la plupart des gens, c’est pourquoi un membre du collectif ajoute : « Je pense que la meilleure chose à faire est de se balader souvent et de traîner dans les rues pour être sûr de les repérer. »
Tactique à long terme : faire comme si c’était chez soi !
Tout d’abord, barricader la porte pour sécuriser la maison. « La barricade sécurise l’intérieur car la porte ne peut plus être ouverte de l’extérieur alors qu’elle peut toujours l’être de l’intérieur », dit le collectif. Après 2 semaines ou un mois passé dans la maison sans sortir et avec une barricade inamovible, HNJ suggère de faire en sorte que le nom d’une ou plusieurs personnes soit mis sur les factures d’eau ou d’électricité. « Quand vous avez votre nom sur une facture d’électricité ou d’eau, ça ne signifie pas nécessairement que l’on sait que vous squattez cette maison. Ça veut juste dire que vous avez une facture d’un service officiel », disent-ils. Il est important d’être discret mais ça l’est également d’avoir rapidement un minimum de confort, des meubles, et si tous les habitants de la maison s’y mettent en même temps c’est facilement chose faite. Avoir un certain confort, sans en avoir trop non plus. Il ne faut pas oublier que le spot ne sera pas permanent, et mieux vaut avoir déjà pensé à une échappatoire. Le collectif Homes Not Jails reprend des maisons en ayant à l’esprit l’aspect directement pratique des choses mais également en ayant des motivations de subversion : « Un des objectifs à long terme serait de prendre un lieu pour en faire un espace d’organisation, car ça permettrait de rendre la démarche du collectif encore plus politique. »
J’ai assisté à l’une des assemblées hebdomadaires de Homes Not Jails, à la suite de laquelle j’ai fait un entretien avec le collectif, notamment autour de la question de la relation complexe entre squatteurs et processus de gentrification. En voici un extrait.
Interview
Qui est Homes Not Jails ?
Tout le monde. Homes Not Jails est un collectif de squatteurs et d’autres personnes qui ont pour objectif d’ouvrir des squats d’habitation autant qu’il est possible de le faire dans cette ville.
Comment fonctionne le collectif ?
Homes Not Jails suit le modèle des collectifs autonomes et décentralisés. Comme Food Not Bombs, où chaque groupe ou personne qui le souhaite peut se lancer et monter son propre collectif Food Not Bombs, il est possible de lancer son collectif Homes Not Jails. Notre collectif s’est juste donné San Francisco comme terrain d’action. Nous avons appris à connaître les particularités locales, comme par exemple les lois relatives à la propriété et les trucs qui marchent plutôt bien dans le coin.
Quels sont les objectifs de Homes Not Jails ?
De trouver un maximum de logements et d’espaces d’organisations sûrs et gratuits, pas seulement pour les personnes qui en ont le plus besoin, mais aussi pour tous les gens qui le souhaitent. Le collectif prône l’action directe pour lutter contre la crise du logement, mais veut également faire de l’agitation autour de cette gigantesque question du logement : il y a énormément de maisons vides, de saisies illégales, et de combines faites par les propriétaires pour retirer les logements aux personnes qui en ont besoin. Nous croyons tous que le logement est un droit humain, et que l’action directe est le meilleur chemin pour que les gens se prennent en main eux-mêmes.
Comment combattez-vous la gentrification ?
Aujourd’hui, les gens ont différentes définitions de ce qu’est la gentrification, mais en fin de compte cela se résume à une question économique – si vous squattez et que vous refusez de payer un loyer pour un espace, vous ne participez pas à la gentrification. Pourtant, historiquement, les squatteurs ont pu promouvoir la gentrification dans certains quartiers, car le genre d’environnement que les squatters tendent à créer est un espace ouvert, une communauté qui n’exclut pas les gens qui payent leur loyer. Nos amis qui viennent s’installer dans ces quartiers pauvres et qui payent un loyer participent aussi finalement au début de la gentrification à cet endroit. C’est ce qu’il se passe à Oakland. Ce que je veux dire aussi, c’est que le système utilise la criminalité, le délabrement général et les squats comme des moyens pour baisser la valeur immobilière des parcelles avant d’y revenir et de dynamiser ces quartiers. Et les squatteurs jouent un rôle là-dedans.
Le rassemblement anti-gentrification, qui a été organisé le 5 mai 2013 au coin de la 16ème et de Mission Streets, a été un événement pour lequel les personnes impliquées dans Homes Not Jails se sont pas mal bougées. Et ça a essentiellement été un moment d’agitation autour des questions du logement, mais aussi une tentative de créer de la solidarité et des liens avec d’autres gens des quartiers avec lesquels beaucoup d’entre nous n’avons quasi pas d’interaction.
Les personnes qui squattent ont les conditions de vie les plus précaires, et elles sont des millions et des millions sur cette planète. Pourtant énormément de gens de San Francisco voient littéralement les squatteurs comme le rebut du genre humain. Notre collectif est notamment composé de personnes un peu privilégiées et qui ont suffisamment confiance pour pouvoir dire « fuck you, nous allons faire ce que nous avons décidé. » Nous croyons qu’il est important de faire ce qu’on fait pour aider d’autres personnes à le faire à leur tour. Et nous luttons contre les problèmes de logement avec toujours en arrière-plan l’idée de lutter contre tout ce que la gentrification signifie.
Quels sont les événements et les actions auxquels HNJ participe ?
Il y a 2 types d’actions que nous faisons. Nous aidons à ouvrir et reprendre des maisons quand il s’agit de reloger du monde. Et nous occupons des bâtiments publics et manifestons pour publiciser et montrer qu’il y a plein de logements vides que l’on peut reprendre aux propriétaires.
Quels sont les obstacles que le collectif rencontre ?
Les flics, cette saloperie de flics, la plupart du temps. Ainsi qu’obtenir de l’argent et de la nourriture, et toutes ces choses à accès restreint. Et enfin, construire une communauté toujours plus forte et soudée tout en maintenant une certaine culture de la sécurité.
Quelles sont les stratégies à long terme de Homes Not Jails ?
Une de nos stratégies est l’aide mutuelle c’est-à-dire le fait d’être ensemble, de partager les ressources et de discuter des expériences qu’on a chacun. Et ça fait plaisir de voir la manière dont les personnes relogées prennent en main les espaces repris, s’entraident, et surtout la manière de nous voir, nous autres du collectif de base, pas tant comme une espèce de force d’ « action violente » mais comme un appui pour la lutte. Je pense que ça serait vraiment bien d’arriver à rendre pérennes tous ces espaces récupérés. C’est notre objectif !
Un autre axe, que nous avons mis en place et rediscuté un grand nombre de fois, est le fait de vouloir que le collectif soit compris comme étant un collectif anti-autoritaire. Nous sommes contre l’oppression de l’État et contre celle du capitalisme, et contre le processus d’accaparement des logements et de qu’ont besoin les gens. Nous sommes aussi contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, l’hétérosexisme, et nous voulons être sûrs que chaque personne qui vient aux assemblées se sente la bienvenue. Les assemblées sont ainsi composées de personnes de genre différents, de couleurs différentes, d’orientations sexuelles différentes, qui s’y sentent pas menacées mais au contraire, bien. Nous avons aussi besoin d’avoir confiance les uns avec les autres et d’être soudés parce que se réapproprier des maisons reste, au regard de la loi, quelque chose de très risqué.
Quelques photos d’une ouverture collective en 2010
[Publié le 2 février 2014 sur Paris-Luttes.Info.]