C’est une course contre la montre qui se joue pour les opposants au projet de barrage de Sivens, près de Gaillac (Tarn). Enjeu : empêcher la destruction de plus de 30 hectares de zones humides, de forêts et de « bouilles » – des prairies humides [1] – qui seront submergées par le bassin de rétention. Comme à Notre-Dame-des-Landes, une « zone à défendre » a été établie sur le site du projet depuis le 23 octobre 2013 par le Collectif « Tant qu’il y aura des bouilles ». Le 27 février, les forces de l’ordre interviennent à la demande du Conseil général, propriétaire des terrains occupés, pour expulser les occupants. « Ils pensaient que nous allions déménager mais nous sommes en train de reconstruire un campement sur les parcelles d’en face », témoigne Christian, joint au téléphone par Basta !
Le projet de barrage de Sivens remonte à 1969. Il est porté par le Conseil général et la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), une société d’économie mixte. « Il s’agit d’un projet indispensable pour le maintien d’une activité économique en milieu rural », justifie la Préfecture du Tarn. Les 1,5 millions de m3 d’eau retenus, sur deux kilomètres de long pour 250 mètres de large, permettraient d’irriguer plus de 300 hectares de cultures alentour. C’est ce que critiquent justement les opposants qui voient en ce projet un « réservoir d’eau à 25 maïsiculteurs pour leur arrosage ».
Un projet d’intérêt général ?
Le barrage est censé combler un déficit chronique en eau dans la vallée du Tescou. Puiser l’eau de la rivière est limité du fait des rejets chimiques dans le cours d’eau, notamment par Sodiaal, une laiterie du Tarn-et-Garonne. Sauf qu’entre la première étude de 2001 et aujourd’hui, « la laiterie a été mise aux normes et a considérablement réduit ses rejets », rappelle un porte-parole du collectif de sauvegarde du Testet, interrogé par Reporterre. Avec la baisse des surfaces irriguées ces dernières années, les opposants au barrage estiment que les volumes d’eau disponibles sont désormais suffisants.
Autre critique : l’ouvrage est intégralement financé sur fonds public [2] mais bénéficiera principalement à des exploitants privés. Le Collectif a décidé d’alerter la Cour des comptes régionale. « Ce projet a un coût exorbitant pour la collectivité tant en investissement qu’en fonctionnement (un total de l’ordre de 20 millions d’euros sur 20 ans) », alors que seulement une vingtaine d’exploitants sont concernés, argumentent-ils. « Le barrage ne se fera que si le coût n’est pas excessif, a assuré pour sa part le président du Conseil Général. La crainte de dégradations par les opposants fait grimper les tarifs des entreprises, facturant en plus le service de sécurité de leurs engins », a t-il ajouté le 28 février, suite à l’expulsion. En clair : si cela coûte trop cher, c’est de la faute de ceux qui sont contre…
Des opposants qui menacent aussi l’obtention d’une subvention européenne de deux millions d’euros, conditionnée à l’achèvement du barrage en juin 2015. « Le chantier doit donc avoir débuté un an avant, soit au plus tard en juin 2014. Ce qui suppose d’avoir déplacé les animaux et déboisé avant le 31 mars 2014, échéance fixée par l’arrêté préfectoral », a déclaré le président du Conseil général, Thierry Carcenac (PS). Pour les membres du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, qui regroupe des associations de défense de l’environnement, « la stratégie du Conseil général est clairement d’imposer le déboisement de la zone humide du Testet par la force d’ici fin mars. Ils espèrent qu’une fois la zone humide massacrée par les bulldozers, notre mobilisation s’estompera ». Une précipitation qui risque également de réduire à néant les tentatives de compensation écologique.
Espèces protégées et compensation environnementale ?
Selon l’étude d’impact, la zone humide du Testet « fait certainement partie des zones humides majeures du département du point de vue de la biodiversité » notamment en raison de la présence de 94 espèces animales protégées dont 5 à enjeux importants. Le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a rendu à deux reprises un avis défavorable à la demande de dérogation à la loi sur les espèces protégées. La préfecture du Tarn est passée outre en déclarant le projet d’intérêt public et a pris un arrêté dérogeant à la loi sur la protection des espèces animales. Les recours des opposants ont été rejetés par le tribunal administratif de Toulouse en décembre 2013.
Légalement, les travaux peuvent donc commencer, sous réserve que les mesures de compensation au barrage de Sivens aient eu lieu. Des espèces animales protégées doivent notamment être déplacées d’ici fin mars 2014. Des mesures d’ingénierie écologique – obligation légale – consistant à créer des milieux artificiels pour « compenser » les surfaces de zones humides détruites, devraient aussi être mises en œuvre. Or, dans son avis de décembre 2012, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) cite « des mesures compensatoires présentant un caractère hypothétique, voire inadéquat, notamment celles relatives à la restauration des zones humides ». Pour mémoire, la méthode de compensation proposée par Vinci pour le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été invalidée par le comité d’experts scientifiques nommé par… Jean-Marc Ayrault (voir notre enquête).
Absence de débat public
« Le Conseil général du Tarn a signé une Charte de la participation, rappelle Christian, du Collectif Tant qu’il y aura des bouilles. Cela fait six mois que nous demandons un débat public contradictoire. Mais ils refusent de répondre à nos arguments fondés et documentés. » Le 28 février, les opposants se sont rendus avec José Bové, eurodéputé EELV, à l’Hôtel du département pour remettre un courrier rappelant les questions auxquelles le département n’aurait toujours pas apporté de réponse. Pour l’heure, le Conseil général et la Préfecture refusent tout débat public arguant que les enquêtes publiques ont eu lieu fin 2012 (voir ce courrier). « Incapable de défendre le projet sur le fond (d’où leur peur d’affronter nos arguments en public), les pouvoirs publics le défendent sur le terrain en mobilisant de nombreuses forces de l’ordre (une centaine de garde-mobiles ces derniers jours) » dénonce le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet.
De leur côté, les ministères de l’Écologie et de l’Agriculture n’ont pas donné suite aux demandes de rendez-vous. Alors que le site web du ministère de l’Écologie affiche « la préservation de la biodiversité au cœur de son action en faveur de l’environnement », le Parti de Gauche fustige un discours en contradiction avec les actes où l’ « on continue sans scrupule de saccager la nature, y compris les zones humides ». Les opposants se disent prêts à étudier toutes les solutions alternatives au barrage de Sivens et appellent à geler le projet. « Nous ne sommes pas opposés à l’irrigation maîtrisée, adaptée aux ressources naturelles et soutenant des productions utiles pour la société notamment la consommation locale. »
Notes:
[1] Les bouilles correspondent aux terres ou prairies humides sans valeur financière, indique le site du Collectif Tant qu’il y aura des bouilles.
[2] Les financeurs prévus sont l’Union Européenne, l’Etat, le Conseil Régional, l’Agence de Bassin Adour-Garonne et les conseils généraux du Tarn et du Tarn et Garonne.
[publié le 4 mars 2014 sur Basta!]