Tarn: Occupation contre le barrage de Sivens pour sauver les bouilles

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Dans le Tarn, le chantier d’un barrage destiné à l’irrigation et la dilution de la pollution du Tescou est sur le point de démarrer. Mais les opposants au barrage de Sivens dénoncent un projet inutile et destructeur. Une association se charge du combat juridique tandis qu’un collectif occupe le terrain.

Pour le Conseil général du Tarn, le barrage de Sivens « symbolise à lui seul la prise de conscience, sur un territoire rural à vocation agricole, des futurs aléas climatiques et de l’appauvrissement programmé des ressources en eau ». Pour la Préfecture, « il s’agit d’un projet indispensable pour le maintien d’une activité économique en milieu rural ». La retenue d’eau prévue sur la petite rivière du Tescou aurait une capacité de stockage de 1,5 million de mètres cubes, une surface d’emprise de 48 ha et un coût estimé aujourd’hui à 8,4 millions d’euros.

Financé exclusivement avec des fonds publics, « ce barrage, présenté comme d’intérêt général, est en fait destiné à 70 % pour l’irrigation intensive d’une vingtaine de fermes et pour 30 % au soutien d’étiage (dilution des pollutions) », indique le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, qui dénonce depuis 2011 « un projet inadapté ». L’association a analysé le dossier et a démontré de nombreuses incohérences et autres zones d’ombres. Plusieurs actions en justice ont été menées pour tenter de stopper le projet. Un recours suspensif a été rejeté par le Tribunal administratif sans que le juge ne motive sa décision. Les associations se sont pourvues en cassation au Conseil d’état. Cette décision est attendue dans les prochains mois, les autres recours devront attendre un ou deux ans.

Aux côtés de cette association légaliste, un collectif s’est constitué en automne 2013 pour mener la lutte sur le terrain. Il se nomme Tant qu’il y aura des bouilles, du nom des terres ou prairies humides réputées sans valeur financière et qui seraient inondées avec le barrage. Sa vocation est de s’opposer « sur le terrain de façon physique, organisée et pacifique à tous travaux de déboisement et autres opérations liées à ce chantier ». Sans eux, la construction aurait sûrement déjà débuté.
Nous sommes arrivés sur la ZAD, ou zone à défendre, un soir, un peu avant l’heure du dîner. Nous retrouvons une petite dizaine de personnes à l’intérieur d’un chapiteau monté sur une parcelle du Conseil général du Tarn, entre Gaillac et Montauban. Les occupants sont en train de cuisiner et de s’organiser un peu pour la manifestation et le tractage du lendemain à Albi. Une fois la soupe et les lentilles avalées, l’heure est à la distribution des tours de garde. Pour prévenir une éventuelle nouvelle attaque, le campement est surveillé toute la nuit. « Il faut être prêt si les cagoulés reviennent », prévient un zadiste.

En effet, une ferme abandonnée et investie par le collectif, au lieu dit la Métairie Neuve, a été saccagée le 23 janvier par une vingtaine d’hommes cagoulés « armés de manches de pioche et de masses ». Ils sont venus avec les plaques d’immatriculation masquées, ont brisé la porte, des fenêtres, des volets, maîtrisé une des deux militantes qui se trouvaient sur place pour ne pas qu’elle appelle du renfort, répandu du répulsif et dégonflé les pneus des voitures stationnées là. Cette agression est intervenue après l’incendie de plusieurs cabanes au mois de décembre et des menaces à peine voilées proférées par le président de la FDSEA (Fédération départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) dans l’hebdomadaire Le paysan tarnais.

Lisle_sur_Tarn_expulsion_BouillonnanteUne ZAD au Testet

Le week-end suivant, un nouveau campement était construit à deux kilomètres de là, tout près de l’endroit prévu pour la construction de la digue. Nous prenons ici notre tour de garde de 6h à 8h, tout près du poêle, dans la petite guérite de contrôle. Au lever du soleil, nous découvrons la cabane-dortoir. Elle est en bois, isolée à la paille et surplombe le chapiteau qui fait office de pièce commune et de cuisine. Des banderoles, accrochées au-dessus de la route, interpellent les riverains sur le projet de barrage. Il y a aussi un tipi, des toilettes sèches et de petits chemins de paille pour se déplacer à pied sans abîmer la prairie sensible de la zone humide du Testet.

C’est pour protéger la nature et dénoncer un système en bout de course que des personnes se sont installées sur ce territoire menacé. Il y a toute une petite troupe qui gravite sur la ZAD, on y croise des militants aguerris, des étudiants, des gens de passage, venus de loin ou du coin, des curieux qui s’arrêtent pour s’informer sur le barrage… Le collectif Tant qu’il y aura des bouilles plaide pour « une agro-écologie paysanne respectueuse de la vie ».

« La façon anti démocratique dont le projet a été imposé » est aussi dénoncée. Thierry Carcenac, le président du Conseil général du Tarn, se retranche derrière l’enquête publique pour affirmer dans une lettre « qu’il ne [lui] apparait pas opportun de rouvrir le débat ». Mais bien des choses ont changé depuis cette « consultation » qui n’a pas pris en compte les avis critiques des scientifiques et qui n’était pas complète.

Un débat contradictoire, c’est ce que demande le collectif du Testet qui a dû saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour obtenir un rapport qu’elle demandait depuis deux ans. Réalisé par la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG) et remis au Conseil général en 2001, c’est ce document qui fixe les besoins d’étiage du Tescou et qui détermine le volume de la retenue de Sivens. Bien que fondateur du projet, ce rapport n’avait pas été divulgué au moment de l’enquête publique. Une fois celui-ci analysé, le collectif du Testet a pu estimer que le débit d’étiage retenu de 150 l/s, calculé en 2001 pour diluer les rejets polluants « hors-norme » d’une laiterie de Montauban, n’est plus justifié aujourd’hui.

En 2009, la CACG, devenue entre-temps maître d’ouvrage délégué du projet du barrage, remet un deuxième rapport au Conseil général. Il est censé actualiser les précédentes données, mais les débits d’étiages restent identiques. Pourtant, les rejets de la laiterie Sodiaal ont considérablement diminué depuis que l’entreprise a amélioré son système d’assainissement. Entre un objectif de 150 l/s et 100 l/s (débit suffisant selon le premier rapport de la CACG si la pollution de la laiterie était maîtrisée), « c’est 600.000 m3 de différence », indique le collectif, « ce qui correspond à une augmentation de 47 % des ressources à mobiliser ».

Concernant l’irrigation, le collectif du Testet considère que le plafonnement de la consommation d’eau à 2000 m3/ha est incohérent avec la consommation réelle et que l’évaluation des besoins ne prend pas en compte l’évolution des surfaces irriguées, qui selon l’aveu même de la CACG, auraient diminué de 38 % entre 2000 et 2010 sur les communes du bassin du Tescou à l’amont de Montauban. La CACG aurait aussi inclus « sans aucune explication », dans les surfaces desservies par le barrage de Sivens, 54 ha de terres agricoles déjà irriguées grâce à un autre bararge en fonction, celui de Thérondel.

La conclusion du collectif est alors sans appel : « après avoir analysé les calculs de déficits en eau du bassin du Tescou réalisés par la CACG en 2001, à la fois pour les besoins de soutien d’étiage et pour les besoins d’irrigation, il ressort que le volume prévu pour le barrage de Sivens est de l’ordre de 3 à 4 fois surdimensionné ». Pour l’association, si les dernières pollutions étaient réduites à la source, et non artificiellement diluées, et si certains irrigants ne provoquaient pas d’assèchement de la rivière, « il n’y aurait probablement pas besoin de soutien d’étiage ». Les besoins d’irrigations restants, estimés à 364.000 m3, ne justifieraient plus la construction d’un barrage.

« La solution serait sans doute facilement trouvée par l’optimisation des 185 retenues existantes (qui peuvent déjà stocker 5.1 millions de m3) et par la création de nouvelles petites réserves pour les quelques fermes qui n’en disposent pas encore », avance le collectif qui demande à « geler la procédure de réalisation du barrage de Sivens en attendant les conclusions de nouvelles analyses réalisées par des experts réellement indépendants ».

Eviter qu’il ne soit trop tard

Dans une lettre ouverte, le collectif Tant qu’il y aura des bouilles rappelle que « la CACG est dans une situation de conflit d’intérêts, car elle est à la fois : bureau d’études, concessionnaire pour la maîtrise d’ouvrage, maître d’œuvre, futur exploitant potentiel et vendeur de matériel d’irrigation » et que « rémunérée au pourcentage du budget total (100 % sur fonds publics) elle a eu tout intérêt à proposer à ces mêmes pouvoirs publics un projet surdimensionné ». Un élu cumule ainsi des fonctions à la CACG (une société d’économie mixte), au département et à l’Agence de l’eau Adour Garonne. D’autres personnes ont également plusieurs casquettes.

Lisle_sur_Tarn_expulsion_Bouillonnante_L’utilité d’un tel barrage mise à mal, il reste encore les contradictions entre les déclarations du Conseil général du Tarn sur l’écologie et sa volonté de construire cette retenue au fort impact environnemental. En 2007, le département lançait son pôle de protection des zones humides mais cela ne l’empêche pas de vouloir détruire aujourd’hui celle du Testet. Elle est pourtant qualifiée par la Dreal comme faisant « partie des zones humides majeures du département du point de vue de la biodiversité ». Son Agenda 21 stipule une gestion durable des forêts, mais le Conseil général ordonne le défrichement de 29 ha du bois de Sivens classé en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Alors qu’il n’était fait mention que de 23 espèces protégées lors de l’enquête publique de 2012, les dérogations portent aujourd’hui sur 94 espèces.

Presque tous les services de l’État ont émis des réserves sur le projet. L’Onema, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, juge que « les mesures de corrections et de compensation envisagées ne garantissent pas le maintien en bon état de conservation [des espèces] impactées par le projet ». Le CRSPN, Conseil scientifique régional du patrimoine naturel, a rendu un avis défavorable, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) aussi, deux fois de suite. Le Conseil général et la Préfecture du Tarn les ont ignorés et ont déclarés le projet d’utilité publique. Seuls trois conseillers généraux n’ont pas voté en faveur du projet. Pour Jacques Pagès, l’un d’eux, « cela fait très longtemps que le Conseil général travaille dessus, ce barrage est quasi de l’ordre du religieux ». Il est en effet dans les cartons depuis une quarantaine d’années…

Mais tout s’est accéléré récemment. Le déboisement de la zone où serait implanté le barrage devant être fait en mars, les autorités ont envoyé le 27 février une centaine de gendarmes mobiles pour expulser les occupants de la ZAD du Testet. Mais le soir même, les opposants au barrage s’installent dans la parcelle juste en face, propriété de l’ONF. Durant le week-end et les jours qui suivent, des renforts par dizaines arrivent pour soutenir la lutte. Mi-mars, trois lieux sont occupés par une soixantaine de personnes et aux dernières nouvelles, du monde continue à affluer.

Pour les zadistes, il s’agit de perturber les opérations de déplacement d’espèces protégées, obligatoires avant de commencer un chantier de ce type et d’empêcher le déboisement. Les naturalistes font leur travail escortés par une cinquantaine de gendarmes habillés en militaire. L’idée est d’agir avant qu’il ne soit trop tard, pour éviter la situation des barrages de Fourogue et de Gabas construits non loin de là. « La justice a finalement donné raison aux associations qui dénonçaient ces projets, mais les barrages ont été déclarés illégaux après leurs constructions. On veut éviter ça ici », nous confie un occupant.

Zor

tescouCalculs de compensation
Les zones humides sont protégées par la loi. Comme pour chaque projet qui en détruit une, les promoteurs du barrage doivent compenser cette perte. Le barrage aurait une emprise de 48 ha. Il détruirait 29 ha d’espaces boisés et ennoierait 12,7 ha de la zone humide du Testet. Stéphane Mathieu, directeur de l’eau et de l’environnement au Conseil général, se veut rassurant. S’il « assume la destruction de la zone humide », il déclare « mettre le paquet sur les mesures environnementales. Nous avons mis un million d’euros sur la compensation ». Un argument qu’il rétorque aux écologistes qui critiquent le coût du projet. L’Onema, le CSRPN et le CNPN ne sont pas satisfaits des mesures de compensations proposées. Le Conseil général avait initialement prévu 24 ha de compensation. Finalement, ce ne sera que 19 ha éclatés en neuf zones. Stéphane Mathieu indique que « les zones ont été identifiées mais pas encore acquises. Il s’agit d’anciennes zones qui ont été drainées par le passé, nous allons boucher les drains pour recréer des zones humides ». Autrement dit, tenter de recréer des zones humides sur d’anciennes zones humides détruites par l’agriculture, pour compenser la destruction de nouvelles zones humides.

[publié le 26 mars 2014 sur LUTOPIK]