Chaque jour, Porta Palazzo grouille de milliers de personnes. Certains jours, en particulier le vendredi ou le dimanche, dès les premières heures de l’aube, certaines rues du quartier se remplissent de vie et d’échanges. Chacun est à la recherche du meilleur moyen pour gagner de quoi vivre. Des travailleurs honnêtes bien sûr, mais aussi avec eux des hommes et des femmes qui n’ont pas d’emploi légal ou simplement qui, du travail communément entendu, ne veulent surtout pas en entendre parler. Pourquoi suer autant pour 2 francs 6 sous ? Ça n’en vaut pas la peine. C’est comme ça que les rues de notre quartier se peuplent de trafics et d’échanges, marchandises volées et marchandises illégales, occasions interdites, stands entiers fruits des incursions dans les rues riches du centre, le parfum d’une boutique de via Po à moitié prix, les chaussures de marques « tombées » d’un quelconque camion, le téléphone portable hi-tech pêché dans une quelconque veste. Chacun s’adapte, chacun se débrouille ; par contre tous, vraiment tous ont les yeux bien ouverts. Et oui, la bonne marche de tes affaires dépend de l’arrivée des Forces de l’ordre. Policiers et Militaires, Carabiniers et Police locale, Police Municipale, j’en passe et des meilleurs, tournent avec patrouilles régulières sur les places, arrêtent et frappent, traquent et déportent. Quelquefois ils arrivent en force avec beaucoup de fourgons, ils entrent dans les parcs, ils débarquent dans les bars et ils arrêtent, oui ils arrêtent. Pour celui qui jusqu’à ce moment a pu vivre sa vie et ses affaires sans être perturbé, désormais s’ouvrent les grilles de l’univers carcéral, qu’il s’agisse d’un Centro di Identificazione ed Espulsione pour qui n’a pas simplement les papiers ou aussi la prison pour les autres, accusés de délits plus graves.
Le voilà notre quartier, les rues, le marché, les bars et la prison. Juste comme ça, la prison. Le Vallette (prison de Turin) fait partie de notre quartier. Même si elle a été construite dans la banlieue dégradée de Turin, entre un incinérateur et une autoroute, loin, très loin du quartier où nous vivons, le Vallette est pour nous plus proche que la Place Vittorio. Dans ses blocs sont enfermés beaucoup de nos amis, des personnes que nous avons rencontrées dans les rues de Barriera, au marché, dans les maisons occupées, avec certains nous avons tchatché devant la porte barricadée d’une maison qui résistait à l’expulsion, avec d’autres nous avons hurlé contre les militaires pendant une rafle cours Brescia, avec d’autres encore nous avons jeté des bouteilles contre la police ou aussi échangé quelques paroles autour d’une bière au bar. Ceux-ci sont nos amis, les personnes qui comme nous, finissent ou pourraient finir en prison. Les personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas travailler, contraintes ou désireuses de voler, en tout cas des personnes qui, comme nous, n’acceptent pas la réalité dans laquelle ils vivent et voudraient mieux, et même le luxe pourquoi pas !
Notre quartier pourtant n’est pas seulement ça. Nous ne devons pas cacher que la pauvreté ou le simple désir de vouloir plus créent aussi des monstres. Il y a, entre les habitants de ce quartier, qui a développé un désir ardent de prendre la place des flics. Ici, il y a ceux qui font la guerre à leurs semblables, à ceux qui sont pauvre comme eux, à ceux qui galèrent. Opprimés et vaincus par leur condition, ils cèdent à l’arrogance et à la volonté d’exploiter et de profiter des autres. Ils envient et imitent les riches plutôt que les haïr et les combattre. Ils informent et craignent la police plutôt que la chasser et la ridiculiser.
Voilà ce sont eux nos voisins, dans le bien et le mal. Pour tous ou presque, la société fait irruption avec le spectre de la Prison. Les patrouilles à travers les rues de Barriera et Aurora rappellent justement cela, que la prison est proche, que le Vallette pourrait t’avaler comme elle avale chaque jour des dizaines de personnes; elle t’avertit de baisser immédiatement la tête, de bosser en silence, d’accepter d’être viré, d’être expulsé de ta maison, d’être frappé par la police ou simplement de considérer comme normal l’étalage de richesses de quelques-uns. La gueule fermée et le regard par terre quand tu marches. La prison fait peur à beaucoup et ceux-ci s’y tiennent bien à distance. Mais est-ce vraiment possible se tenir à distance de la prison? Pour ceux qui habitent dans ces zones, c’est pas possible. Comme nous disions un peu avant, le Vallette fait partie de notre quartier et pas seulement parce qu’à l’intérieur il y a beaucoup de personnes que nous avons rencontré dans ces rues. Le Vallette ne fait que compléter un processus d’exclusion qui a déjà commencé dans le quartier de Barriera di Milano et qui trouve son développement maximal en prison, tous et toutes sont donc pris en considération, pas seulement les rebelles.
Que faire entre flics et bonimenteurs, profiteurs et balances? La lutte contre la prison commence justement ici dans ces rues. En s’opposant à l’activité de la police et des forces de l’ordre, en combattant ceux qui, pauvres types parmi les pauvres, voudraient profiter de cette mer de misère. Lutter contre la prison commence par la solidarité entre les habitants de ce quartier, entre qui connaît la prison et qui la connaîtra. Détruisons l’angoisse et la peur qui la caractérise, ridiculisons son rôle de fantôme intimidant au-dessus de nos têtes, faisons de ces lieux un point de référence solidaire avec les détenus et les détenues de le Vallette, faisons arriver leurs voix dans ces rues, faisons en sorte que nos cris arrivent jusqu’à leurs cellules.
Organisons-nous ensemble. Que la solidarité et l’entraide deviennent une réalité entre les détenus et les habitants de ces rues, que la proximité psychologique entre notre Quartier et le Vallette devienne un point de force, une Arme contre nos ennemis et non seulement une triste imposition du pouvoir et de ses sbires.
[Traduit de l’italien.]