Lyon: quatre points de vue sur l’expulsion des immeubles de la rue Cazeneuve

Voici quatre points de vue/témoignages sur l’expulsion des immeubles de la rue Cazeneuve le 16 novembre.

Pour celle et ceux qui n’auraient pas suivi, vous pouvez lire l’article « Immeuble réquisitionné rue Cazeneuve : expulsion et arrestations ».

1. « ET NOS PÂTES BORDEL ! »

L’eau frétille et la sauce bolo’ mijote douillettement quand une rumeur se répand : « ils arrivent ! ». Il est 17 heures environ. Tout le monde se met à la fenêtre et on voit une dizaine de véhicules de CRS dont deux paniers à salades, plus cinq véhicules de la municipale (environ) arriver gyrophares tournants…

On prend toutes les affaires qu’on peut (toutes nos affaires n’ont pas pu être récupérées). On entend le bruit du bélier qui défonce la porte. On finit par être une douzaine de personnes dont deux mineurs à attendre les flics dans une pièce . Un bruit de fracas intense comme si on avait lâché un troupeau de bœufs dans l’immeuble monte jusqu’à nous. On ne dit rien, on attend.

Puis ils arrivent : « personne par là ! », « attends ! Vérifie dans le placard ! ». Le flic ouvre une première porte mais n’arrivant pas à ouvrir la deuxième porte du placard, après avoir échoué à la casser, il décide dans un moment de lucidité absolue, de passer la tête dedans pour regarder directement. Ayant pitié d’eux un camarade les prévient : « nan mais on est là ! ».

Alors la cavalerie débarque en shootant TOUT ce qui leur fait obstacle. Ils arrivent dans la pièce :
– Police !
– On sait.

Un flic dit :
– Vous nous faites faire du sport !
– Bah ouais vous aussi.

Bref ! Ils nous trient par personnes ayant une pièce d’identité et n’en ayant pas et nous demandent s’il y a d’autre personnes : « on sait pas ».

Le chef arrive :
– Ils ont été palpés ?
– Nan
– Bordel !

Ils nous font descendre. Dans l’escalier, on peut clairement constater qu’ils sont venus au moins trois fois plus nombreux que nous. La scène dans Children of men où la fille est évacuée de l’immeuble avec son bébé dans les bras, bah pareil !

Flatteur ! Je savais pas qu’on faisait si peur. Un flic en profite pour arracher la capuche d’une des petites, puis, plus loin, un second la tape derrière la tête.

En bas, devant la porte, un panier à salade est placé pour empêcher les témoins de voir ce qu’il se passe. Ils vérifient nos identités et nous rendent nos cartes, pour ceux qui en avaient, et nous relâchent (huit personnes) et les cinq qui n’en avaient pas sont embarqué-e-s direct. On rejoint le rassemblement devant l’immeuble et un autre panier à salade se place devant l’entrée. On crie : « non aux expulsions ! » et on attend.

2. A DADA SUR LE TOIT :

Entre 16h et 17h : nous étions alors une vingtaine de personnes présentes dans le nouvel immeuble occupé. Alors que les pâtes chauffaient sur le feu, ce qui ressemblait à des voitures d’électriciens et de plombiers sont apparues, sûrement pas pour nous aider à remettre l’eau et l’élec. Peu de temps après, on a vu les flics débarquer (plus de 10 fourgons au moment de l’évacuation). Rapidement des potes à l’extérieur ont été prévenu-e-s. On s’est ensuite séparé-e-s en deux groupes. A ce moment, les flics avaient déjà commencé a pénétrer le bâtiment.

On monte à neuf sur le toit, nous avons commencé à faire du bruit, à chanter et à scander des slogans en chœur avec le rassemblement qui avait lieu en bas en soutien. Il devait compter une soixantaine de personnes apparemment bien motivées et ça faisait plaisir à voir. Vers 17h50, la POLICE est arrivée sur le toit en nous « proposant » de descendre et surtout de s’éloigner du bord, ça les gênait apparemment.

A savoir que légalement la police régulière a pas le droit de faire ce genre d’intervention et doit faire appel à des équipes spéciales…

On n’était pas trop motivé-e-s à les écouter et on leur disait qu’on préférait faire un voyage en hélico ou, à la limite, avec une équipe du GIPN.

Malheureusement, il a fallu se résigner et on a commencé à descendre à la queue-leuleu, comme les flics y tenaient tant. Ils nous on fait passer un par un par la trappe en prenant bien soin de faire descendre les sacs de certaines personnes par leurs propres moyens, c’est-à-dire en les faisant tomber depuis l’échelle avec un peu de casse…

Une fois à l’étage, isolé-e, entouré-e de 10\20 robocops, chacun-e a été fouillé-e au corps et a eu son visage pris en photo alors qu’ils n’ont pas le droit de faire ça en intervention ! Dans les escaliers pour descendre, ils nous on demandé nos noms et les papiers qu’on n’avait pas. On était entouré-e-s de keufs qui avaient l’air de s’amuser et qui continuaient à nous prendre en photo avec leur téléphones.

Ensuite on a été envoyé-e-s à l’Hôtel de police (alias l’H.P…). L’autre grand groupe y était déjà. Dehors on entendait des « libérez nos camarades ! » et de notre limousine privée, ça rendait bien ! Au fameux H.P, on a eu droit à un contrôle d’identité. On est huit de ce groupe à être ressorti-e-s, après un petit moment, et un de nous est resté en garde à vue, il y restera 24 heures…

En sortant, c’était bien cool de voir pleins de gens rassemblé-e-s sur fond de rap pour se retrouver et continuer à faire pression pour que les autres soient libéré-e-s (malgré quelques gros bras en armure qui gâchaient le paysage).

3. FACE A L’IMMEUBLE :

Prévenu-e-s par les habitant-e-s de l’arrivée d’une dizaine de fourgons devant l’immeuble occupé, des copains\copines arrivent à la hâte en soutien. Les cordons de robocops s’installent devant un petit groupe de badauds et voisins\voisines visiblement étonné-e-s des effectifs déployés en ce dimanche après-midi.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demande une daronne postée à l’intersection avec sa famille. On explique brièvement la situation, elle soupire : « ah on pensait qu’ils démantelaient un réseau de drogue. Personne ne nous a dit ce qu’il se passait. Mais là c’est scandaleux, il faut appeler les journalistes que ça passe sur BFM-TV. Le rassemblement s’installe peu à peu et les nouveaux venu-e-s viennent grossir les rangs de voisin-e-s du quartier. On tchatche avec les voisin-e-s et automobilistes curieu-se-s qui s’arrêtent au feu rouge. Beaucoup sont choqué-e-s de l’opération menée en toute illégalité par l’intelligentsia de Marius Berliet.

L’attroupement déborde sur la chaussée en scandant des slogans de soutien pour des personnes qu’on voit dépasser du toit. La réponse des flics reste sans surprise, ils chargent et gazent quelques secondes plus tard, sans doute pour rendre notre réaction plus leste avant de taper dans le tas.

Belle victoire des forces de l’ordre ! Une armée de clones habillés en robocop façon L’Empire contre-attaque jubile dès qu’ils peuvent jouer de la gazeuse. Ils sortent leurs tubes de gaz, et l’engin phallique entre les mains, aspergent la petite bande de personnes plutôt calmes qui chantent des chansons. Les clones se marrent, c’est si rigolo de faire mal.

Les flics ont des gueules de sadiques. Ça fait comme un petit relent de camps de concentration, ça donne envie de les taper tellement ils sont malfaisants, sans conscience, obéissants, disciplinés, potentiellement meurtriers.

Parallèlement, d’autres essaient de soutirer l’identité d’un trio de vautours postés à quelques mètres des cordons, ils restent de marbre refusant de décliner leur fonction qui justifierait leur présence ici. Ils n’ont pour toute réponse que leurs regards torves et caquettent mécaniquement : « je n’ai rien à vous dire, nous sommes sur la voie publique ».

Deuxième charge lancée par les CRS alors que la troupe reste concentrée sur le trottoir, passage éclair d’une camera de France 3. On voit passer les paniers à salades avec des personnes à l’intérieur suivis quelques temps après des fourgons qui se replient vers le commissariat.

Derrière les vitres, les flics sont goguenards et se fendent de petit coucous d’adieu encadrés de doigts d’honneur et autres gestuelles pipi-caca. Ambiance battle inter-classe CM1/CM2. Tu sens bien que ça les fait kiffer comme des porcs de mettre d’inoffensives familles à la rue. Les flics sont sales !

Il faudra bien qu’un jour la peur change de camp !

Un nouveau rencard est alors lancé : rendez vous devant le commissariat central pour soutenir les personnes embarquées.

4. DEVANT LE COMICO :

Tout le monde se donne rendez-vous devant le commissariat Marius Berliet pour attendre la sortie des personnes arrêtées. A vue d’œil, on est une quarantaine à stationner sur le parvis. Là un flic larbin s’avance et tente de rentrer en communication avec nous : « qui est le responsable ? »

Alors il nous explique qu’on va pas pouvoir rester là parce que d’abord on est pile sous le « mât des trois couleurs », le drapeau français quoi, et ça le fait pas et blablabla blablabla blablabla…

Bizarrement personne ne bouge.

Alors quelques instants plus tard, on nous envoie un premier groupe de keufs en tenue de soirée qui font barrage face à nous et nous repoussent sur la route, on résiste un peu par principe mais on recule un peu aussi. Et maintenant ils nous reprochent de bloquer la circulation. C’est malin, fallait pas nous pousser sur la route !

Finalement d’autres flics se ramènent et on se retrouve bloqué-e-s contre les voitures du trottoir d’en face.

S’en suit un long, très long face à face. Ambiance tendue, les yeux dans les yeux ou dos appuyé contre les boucliers. On a une enceinte portable rescapée de l’expulsion alors on balance du gros rap.

Mais on tient bon face à leurs conneries et les gens sortent du comico au compte-goutte, à chaque fois avec des acclamations de joie, et tout et tout. Au final tout le monde sort après vérification d’identité sauf deux personnes qui partent en garde vue pour la nuit… [Il sortiront au bout de 24 heures de GAV.]

Alors voilà, on s’est fait expulser, charger, contrôler, gazer, frapper, arrêter. On a perdu un lieu qui aurait pu accueillir tout plein de gens qui en ont grave besoin. Mais on a la niaque ; on va laisser personne derrière. Et c’est comme le début de quelque chose d’encore plus fort !

[Publié le 28 novembre 2014 sur Rebellyon.]