Sivens (81): les projets « de rechange » au barrage semblent en l’état « inacceptables »

Le 16 janvier, la ministre de l’Écologie a enterré le projet initial du barrage de Sivens, dans le Tarn. Les experts ont proposé deux scénarii, que les opposants jugent inacceptables en l’état. La balle est désormais dans le camp du Conseil général du Tarn, maître d’œuvre du projet. Passera-t-il en force ? Ou bien proposera-t-il enfin « une démarche collective de réflexion autour des besoins en eau et d’un réel projet de territoire ? » s’interroge un opposant du collectif Tant qu’il y aura des bouilles dans cette tribune venue de la « Zone à défendre ».

Depuis le 25 octobre 2014 et la mort de Rémi Fraisse, les travaux de réalisation du projet de barrage de Sivens sont interrompus. Après deux mois de harcèlement et d’assauts quasi-quotidiens des forces de l’ordre, le calme est donc revenu le long du Tescou.

La mort de Rémi est concomitante de la publication du rapport des experts nommés par le ministère de l’Écologie et qui étrillent un projet « médiocre ». Ces experts reprennent une bonne partie des arguments avancés inlassablement par les opposants au projet depuis plusieurs années (projet surdimensionné, bénéficiant à peu d’agriculteurs, etc.). Le 26 novembre, la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la France, pour non-respect de certains aspects de la directive cadre européenne sur l’eau. C’est un nouveau coup dur pour le projet car il rend impossible en l’état l’utilisation des fonds européens prévus pour le financement du projet (à hauteur de 30%).

Le combat s’est donc déplacé dans l’arène feutrée des lieux de décisions politiques. Les organisations de défense de l’environnement (France Nature Environnement, le collectif pour la Sauvegarde du Testet) mais aussi la Confédération paysanne ont participé aux discussions de la mission de concertation qui a succédé aux experts (mais toujours encadrée par ceux-ci), face aux promoteurs historiques du projet, institutionnels, politiques et syndicaux, qui n’entendent pas lâcher le morceau facilement. En ce début d’année 2015, les conclusions de cette démarche ont été diffusées par le ministère de l’Écologie vendredi 16 janvier et seront présentées à la presse par les experts ce lundi à Albi.

Deux projets alternatifs, mais des besoins en eau toujours surévalués ?

Le processus a permis d’engager une réelle discussion autour des besoins réels en eau et de son utilisation (soutien d’étiage, irrigation, etc.), loin des estimations fantaisistes et exagérées de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne qui avait abouti à un projet initial surdimensionné. Pour autant, les positions des uns et des autres n’ont pas convergé. Les experts scellent l’abandon du projet initial et proposent au final deux scenarii alternatifs : l’un consistant en un barrage stockant deux fois moins d’eau que dans le projet de départ, soit 750 000 mètres cube, situé légèrement en amont du site prévu initialement. Le second en un ensemble de retenues latérales au cours d’eau, dont une sur le site de Sivens pour un volume total de 750 000 mètres cubes. La FNSEA continue d’affirmer que ce volume est insuffisant, alors que les opposants au projet expliquent que des ouvrages supplémentaires ne sont pas nécessaires et que les besoins en eau restent surévalués surtout au vu des ressources mobilisables sur le bassin versant (de part une meilleure utilisation des retenues existantes).

Sur la « Zone à défendre » (ZAD), on a bien sûr suivi avec plus ou moins de méfiance l’évolution des négociations, notamment lors d’assemblées générales de coordination du mouvement regroupant tous les acteurs de l’opposition (les « zadistes », les collectifs Tant qu’il y aura des Bouilles et du Testet, etc.). Et sur le terrain, la ZAD s’est considérablement étendue, au lendemain de la mort de Rémi Fraisse, position sur la zone d’emprise du chantier, désormais abandonnée par les gendarmes mobiles. De nouveaux campements se sont installés à la pointe sud du site, l’Altitude, le Fort. Et constituent la tête de pont sud de la ZAD du Testet, la Métairie Neuve en étant toujours le centre névralgique (point accueil, infirmerie, etc.) à l’entrée nord.

Les occupants ont proposé depuis fin octobre 2014 de nombreuses manifestations sur le site, démontrant ainsi la volonté de s’inscrire dans un projet d’appropriation des lieux à plus long terme. La semaine « Sème ta ZAD » a ainsi vu l’organisation de chantiers agricoles autour de la Métairie (jardin collectif, plantation de céréales, etc.).
Puis la ZAD s’est investie dans le week-end mondial de manifestations contre les projets nuisibles et imposés. Elle s’impose comme un lieu alternatif en essayant de créer du lien avec les acteurs locaux autour de projets divers et variés. La solidarité joue toujours à plein mais la vigilance reste de mise à cause de l’esprit revanchard de certains partisans du projet qui ont l’air de penser que les travaux reprendront immédiatement si les « zadistes » lèvent le camp.

L’avenir de la ZAD dépendra bien sûr des événements à venir. Les scenarii « de rechange » semblent en l’état inacceptables car ils impactent tous deux le site de Sivens. C’est aussi l’avis des opposants « historiques » : collectif pour la sauvegarde du Testet, France nature environnement, Confédération paysanne. La mission d’expertise ayant rendu son verdict, l’affaire risque de redescendre au niveau départemental. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les politiques locaux n’ont pas l’air d’avoir fait leur aggiornamento sur le projet et plus globalement la politique de l’eau à mener localement. Le positionnement à venir du Conseil général du Tarn, maître d’œuvre du projet, sera déterminant. Un nouveau passage en force ? Ou bien enfin une démarche collective de réflexion autour des besoins en eau et d’un réel projet de territoire ?

Dans tous les cas de figures, tous les acteurs de la ZAD se mobilisent ces jours-ci et invitent à discuter collectivement de l’avenir du lieu, afin de démontrer l’existence d’un projet solide à long terme, qui permettra la restauration de la zone humide dévastée par le chantier et l’émergence d’un lieu alternatif pérenne sur le site.

Une bouille du Testet (collectif Tant qu’il y aura des bouilles)

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[Publié le 19 janvier 2015 sur Basta!]