Lille: expulsion de la Mangouste, maison occupée dans le quartier de Lille-Grand-Palais

La Mangouste était notre maison pendant deux mois et demi. Nous avons ouvert ce lieu à huit pour y vivre ensemble et organiser des activités. Entre autre: des projections de films, des repas collectifs, des bars, et notamment un concert de soutien à la caisse anti-carcérale qui est en train de se monter à Lille. En peu de temps, la Mangouste a rassemblé plein de motivations et de gens différents. Il faut dire qu’on s’est donné à fond pour rendre cette baraque, vide depuis 6 ans, vivante et accueillante.

Dans un quartier où on chasse les pauvres pour installer les riches et jeunes branchés, à deux pas des lieux de culture officiels que sont la gare Saint-Sauveur et la maison du hip-hop, la Mangouste faisait tâche. Une énorme banderole sur laquelle on pouvait lire «Vide depuis trop longtemps, occupée maintenant» était déployée pile à la sortie du périph, en plein cœur du «centre administratif» et juste en face de la gendarmerie. Ça la fout mal quand on se prétend la «ville de la solidarité». On a fait le choix d’être particulièrement visibles et d’essayer de tisser des liens avec les habitants du quartier, notamment des cités alentours, probablement futures cibles de la gentrification en cours. On ne s’attendait donc pas vraiment à ce qu’ils nous laissent tranquilles. D’autant que le proprio de notre baraque est l’Institut Pasteur dont le président, Jacques Richir, est adjoint au maire, administrateur de l’Opéra de Lille, de la fac catho et des hôpitaux universitaires. Autrement dit quelqu’un qui a le bras très très long.

On n’a pas été déçu : deux déploiements de keufs aussi disproportionnés qu’inconséquents jusqu’ici. Le premier a rassemblé huissiers, RG, BAC et tout le toutim mais n’a apparemment pas obtenu l’autorisation d’essayer d’entrer. Les mêmes charognards sont revenus quelques semaines plus tard, accompagnés cette fois de serruriers et du sésame leur permettant de passer à l’action: utiliser la force pour obtenir nos identités. Sauf que ces bouffons ont été tenus en échec par nos barricades, la solidarité des copains et des habitants du tiéquar. Pour le dire vite, ils se sont acharnés pendant plus de 2 heures pour ne réussir finalement qu’à se prendre de la pisse sur la tronche. Petite victoire bien savoureuse. On a aussi vu passer 5 ou 6 fois les huissiers plus quelques RG qui zonaient ces derniers jours.

Aujourd’hui ils sont revenus pour l’expulsion. Cette fois ils n’ont pas lésiné sur les moyens et n’ont pas trouvé plus glorieux que de se pointer à 6h du mat’ à 150, en mode GIPN, débarquement par la fenêtre du 1er étage, gros guns braqués sur nos tronches endormies et «montrez vos mains bien en évidence». Le quartier était bouclé pendant 1 heure, pas moyen au moindre badaud de passer sa tête pour voir ce qui se tramait. La presse parlera quelques heures plus tard d’une expulsion sans heurts. Tu m’étonnes… C’est vrai qu’on n’a pas trop fait les malins sur le coup, même si, face à ce déploiement surréaliste, on avait pour nous la satisfaction de mesurer notre force, et en ce qui nous concerne, sans mitraillette en bandoulière.

Cette force c’est celle d’être ensemble et de savoir pourquoi on est là. Occuper des maisons c’est un moyen de vivre collectivement, simplement, en faisant ce qu’il nous plaît et sans payer de loyer. Occuper des maisons c’est prendre acte de la supercherie de la politique d’habitat social, que l’on pense aux 6000 logements vides à Lille, aux temps d’attentes pour un dossier HLM ou au fait que le PACT (premier bailleur social à Lille) est un proprio qui, comme tous les autres, nous expulse quand nous habitons ses maisons vides. Occuper des maisons c’est avoir des espaces pour se rencontrer, discuter, apprendre à se servir de ses mains et faire la fête en se passant du label Ville de Lille, ce vernis culturel à deux balles qui ne tient que par ses subventions et ses vigiles. Occuper des maisons c’est se réapproprier notre rapport au temps et à l’argent collectivement et loin du travail. Occuper des maisons c’est accepter d’être parfois confrontés aux keufs et se dire qu’ils n’auront pas le dernier mot.

Une expulsion, une ouverture ! Ce n’est pas parce qu’ils nous expulsent qu’ils gagnent. Ce n’est pas parce qu’on n’est plus à la Mangouste qu’on ne sera pas ailleurs, prêts à assumer en acte cette évidence que sur le chemin de nos désirs, les keufs seront toujours un obstacle. À bon entendeur…

La Mangouste, Lille, le 26 février 2015