Rennes: Boîte Noire, dernières paroles?

Ces deux mois de concerts se seront finis en beauté, et on aimerait donc revenir et partager sur ce qui a motivé l’ouverture de ce lieu, de préciser ce qu’on aimerait qui ressorte de cette expérience de folie et pour le moins réussie. Et puisque vous n’avez pas immédiatement de bière à chercher, de concert à écouter, de potes à retrouver, on en profite pour faire un peu long.

Mais pourquoi ce lieu ? Qu’avions-nous dans la tête ? Vous souhaitez vous aussi tenter l’expérience ?
Quelques pistes de réflexion et idées d’analyses sur ce qui se passe sur Rennes et sur ce qui motive l’ouverture de ce type de lieu !

Bonne lecture et à un de ces 4 on espère !


Plantons le décor. Rennes, ville bobo dans laquelle les projets d’urbanisme et de nettoyage du centre-ville déferlent à toute vitesse et où la fête et la culture en général sont devenues très largement inaccessibles. Les bars ou les cinés sont toujours plus chers (vous devrez prouver être pauvre parmi les pauvres, à grand renfort de justificatifs et d’entretiens, pour pouvoir prétendre à la carte Sortir et les réductions associées, sans quoi tant pis pour vous), de même que les concerts qui se terminent de plus en plus tôt pour ceux et celles qui n’ont pas les moyens de s’offrir l’accès aux bars de nuit. La mairie cherche à couper avec la réputation fêtarde et subversive de la ville pour la rendre plus accueillante aux investisseurs (fermeture des bars à minuit et demi, centre-ville sur-fliqué, etc.). La logique capitaliste bat son plein : aménager les espaces pour les riches et virer les pauvres, loin, toujours plus loin. Des bâtiments sont laissés vides pendant des années afin d’attendre que les loyers augmentent (c’est la spéculation immobilière) ceci avant d’être détruits pour construire à la place des logements de luxe.

Les notions de classes se retrouvent niées au profit de celle de la mixité sociale. Face à cela des squats s’ouvrent. Afin de pas dépendre d’un propriétaire, de la mairie ou de promoteurs carnassiers. Et afin de revendiquer une autre conception de la vie, non plus basée sur le profit et la compétition mais sur la solidarité et l’organisation contre ceux qui nous oppriment.
Pour preuve que sans cesse il est exigé de nous qu’on ne gêne pas ceux qui participent à la gestion économique, politique et culturelle des espaces dont nous sommes chassé.es, et suite à la récente farce haineuse et fascisante qu’est l’affaire Maryvonne. De cette affaire ont découlé des propositions de lois afin de criminaliser encore plus la pratique du squat et des occupations (Zads, free-parties, usines, facs, etc.) en punissant notamment celles-ci de 15 000€ d’amende et 5 ans de prison.
La première (loi Bouchart), légalisant notamment l’intervention policière à expulser les squats à n’importe quel moment de l’occupation et détruisant donc la relative protection qu’offrait la procédure administrative jusque là, a d’ores et déjà été votée le 11 juin dernier [Notre de squat!net: cette information est incorrecte, la loi Bouchart telle qu’elle a été inscrite au final ne concerne que les “violations de domicile” ; elle ne concerne donc pas 99% des squats qui sont ouverts !].
Les autres lois seront bientôt votées à l’assemblée et au sénat. La pratique de l’ouverture de squat comme la Boîte Noire ayant déjà subi un fort contrecoup, pour continuer à porter les occupations cela nécessitera à court terme une mobilisation pour leur défense.

C’est donc dans ce contexte que nous, individus ordinaires, avons choisi de nous organiser avec le souci d’entretenir des rapports sans hiérarchie, pour ouvrir un lieu qui permette de se rencontrer, de faire la fête, de faire vivre une culture populaire et de soutenir à cette occasion des luttes locales et plus lointaines, bref de faire la nique aux pouvoirs : la BOITE NOIRE.
Pour raisons de travaux ce bâtiment a été vidé entre la fin de l’année dernière et le début de celle-ci. Nous avons donc sauté sur l’occasion, la main tendue était trop belle pour la refuser. Exemple parlant de ce qui se joue dans cette ville, le bâtiment de l’actuel 40m3 a d’abord abrité un garage automobile qui lui aussi fut squatté avant de devenir un centre d’art contemporain. Lieu devenu élitiste, que nous nous sommes réapproprié. Un tel lieu était parfait pour le genre d’événements que nous voulions y organiser.
C’est une battisse que nous occupions illégalement. Cette situation, bien que précaire, nous l’avons à la fois subie et choisie. Subie car, pour nous, étudiant.es, précaires, chômeurs, travailleuses pauvres, il nous est impossible de louer un endroit qui nous permettrait d’organiser des activités publiques dans de bonnes conditions. Choisie parce que si le squat précarise notre situation et nous empêche de nous projeter sur un trop long terme, il nous permet aussi de n’avoir de comptes à rendre à personne, ni à un propriétaire, ni à la mairie et ainsi d’organiser nos événements comme bon nous semble même s’ils contestent l’ordre en place. Les contraintes venaient de nous-mêmes, décidées collectivement.

La Boite Noire n’a duré que 2 mois (mais quels 2 mois!) car la mairie et la société ‘Territoires et développements’ propriétaires de la parcelle ont saisi le tribunal qui, comme très souvent, a ordonné l’expulsion immédiate du squat au terme d’une procédure judiciaire plutôt rapide et mettant ainsi un terme à cette belle aventure.
Si nous n’avons qu’assez peu de prise sur la temporalité d’un squat il est pourtant possible de se renseigner sur les lois et jurisprudences concernant les occupations, les réglementations techniques sur la salubrité ou l’amiante, celles concernant l’organisation d’événements accueillant du public. C’est en expérimentant des stratégies et en comprenant les tenants et aboutissants du fonctionnement d’un tribunal qu’il devient possible de mettre au point des techniques de défense juridique face à la justice.

Ces deux mois, furent intenses en concerts, afin de profiter au maximum de l’opportunité offerte par cette salle. Notre volonté dans la Boîte Noire était d’avoir un lieu stylé où t’as pas de vigile à l’entrée pour juger si t’as le bon look pour rentrer, où tu peux boire à pas cher, où t’as pas à te soucier du prix de l’entrée et où tu peux demander un truc sans alcool sans qu’on se foute de ta gueule. Un endroit où tu peux bouffer végétarien et vegan, où tu peux venir écouter du punk, du crust, de la minimale, de la transe, du rap, du post-punk et des styles dont t’as jamais entendu parler. Où les murs sont décorés selon nos envies, où tu peux te poser tranquille à l’étage avant de retourner kiffer le son et saigner des oreilles. Un lieu où on n’accepte pas les comportements relous qui peuvent être exacerbés par l’alcool: paroles sexistes ou homophobes/lesbophobes par exemple, pour que tout le monde se sente à l’aise dans cet espace sans distinction de race, de genre, de sexualité, d’âge.
Ces concerts ont permis de soutenir diverses luttes politiques, principalement dans la région rennaise et, à plus long terme, de constituer une caisse qui permettra de soutenir des grévistes et personnes en lutte à Rennes et alentours.
Mêler la teuf et la lutte en quelque sorte. Car nous ne voulons pas de ce monde capitaliste, mais que nous voulons aussi lutter contre celui-ci avec rage et joie. Les soirées bobos et/ou étudiantes du centre-ville ne nous conviennent pas.

La Boîte Noire en chiffres, cela donne : 14 soirées, plus de 50 groupes de musiques, un gros système son, un bâtiment occupé parmi environ 2 000 logements vides en Ille-et-Vilaine, 4 200 L de bières bus (sic), 12 canapés récupérés, une vingtaine de bénévoles motivé.es, sans compter les coups de mains d’un soir, 24 seaux de punch fait maison, plein de brochures et fanzines, des rencontres et discussions, 2 fascistes traités comme il se doit, 1 000 pièces de puzzle, 1 300€ en soutien aux anars espagnol-es, 400€ en soutien à un festival de cinéma féministe, trans, pans, pédés, gouines; 800€ pour un camp anti-nucléaire, 800€ pour le comité de soutien aux habitant-es du 94 rue de Châtillon, 1 500€ pour les migrant.es et une bonne mise de départ pour une caisse de lutte rennaise ! Il y aurait aussi pu y avoir: des ateliers sérigraphie, des projections, un mur d’escalade, une terrasse sur le toit, des débats.

La mairie, entre autres, n’a aucun intérêt à ce que les gens se rencontrent et s’organisent contre le capitalisme et les oppressions. Nous n’avons plus aucune confiance dans les directions des partis et syndicats traditionnels pour proposer un quelconque changement. Nous souhaitons recréer des liens entre NOUS, individus toujours plus isolé.es les un-es des autres, recréer une réelle solidarité populaire sans laquelle nous sommes impuissant.es. En bref nous voulions faire de ce lieu un lieu d’échange et d’organisation qui nous l’espérons nous permettra d’être de plus en plus nombreux et nombreuses à s’organiser, construire et lutter. Sans effacer nos différences mais en en faisant notre force dans les combats que nous choisirons de mener toutes et tous ensemble !

Car nous sommes convaincu.es que l’organisation d’événements dans un lieu de ce type est à la portée de n’importe quel groupe de personnes prenant le temps de réfléchir à ce qu’ils et elles veulent précisément et aux moyens de le réaliser. En cherchant dans votre entourage vous pourrez très certainement trouver quelques personnes ayant déjà une expérience du squat, de barman/barmaid, d’ingé son, quelques connaissances en droit, de l’imagination pour créer de l’ambiance… Cela demande certes du temps, mais cela en vaut la chandelle !

Nous recommencerons. Parce que nos rêves ont besoin de place et qu’ils ne se contentent pas de 40m3, nous récidiverons. Promoteurs, urbanistes, politiciens, Ouest-fRance, flics, juges, fascistes, vos rêves ne sont pas les nôtres. Nous continuerons de lutter contre vous et ce que vous défendez. Nous reprendrons ce qui est à nous et ne vous laisserons aucune place.

Si la Boite Noire vous a plu, n’attendez pas que cela se reproduise. Ouvrez des lieux! Ça n’est pas compliqué: il vous faut de la rage, du fun, quelques contacts et de l’organisation! Cela en vaut la chandelle! Ouvrez des lieux ! Squatter c’est pas si compliqué!
Ouvre, ouvrez !

Soyons notre propre jet set,
Trinquons à la faillite de ce monde de merde,
A bientôt !

Concernant les aménagements urbains de la place Sainte-Anne et plus largement à Rennes :
collectif Place à défendre
texte de l’Institut de démobilisation

Sur l’affaire Maryvonne, les lois et les squats :
– le dossier du Collectif antifasciste rennais
– le texte du Comité de soutien au habitant du 94 rue de Châtillon
– la brochure “Le squat de A à Z”
Chroniques du pied de biche