Dijon: interview du squat féministe La Cyprine

Interview publiée en juin 2015 dans le n°4 du zine dijonnais Less drugs More pills.

Yo ! Une petite présentation ?

Tu es ce que tu manges, nous, on est la CYPRINE ! On est un crew de meufs qui vivent en non-mixité meufs-gouines-trans (MGT) dans une maison vegan antispéciste et non-chauffée.
Pourquoi ouvrir une maison non-mixte ? Parce qu’on ne trouve pas notre compte, même dans notre milieu, à Dijon. Au milieu de nos potes, en majorité mecs-cis normés on se sent carrément invisibilisé-e-s en tant que meufs, gouines et trans. On a ressenti le besoin de changer nos rapports aux mecs, pour ne plus devoir adopter des comportements virilistes et/ou assignés au genre masculin pour pouvoir exister et toujours dans une certaine mesure au risque de te faire réassigner à ta position de meuf dominée. On avait besoin de se sentir powerful au quotidien, avoir de la place sans devoir la prendre de force.
On voulait pouvoir proposer un lieu safe pour les meufs, les gouines et les trans qui en avaient besoin, qu’ielles puissent se retrouver en confiance, entouré-e-s par des personnes qui vivent dans les mêmes réalités.

Vous traînez dans le milieu depuis pas si longtemps ? Vous pouvez nous expliquer comment ça s’est fait ?

On gravite autour des Tanneries et du quartier des Lentillères depuis quelques années. Y’avait des choses qui nous parlaient ici : la culture punk, les concerts, les mercredis Tanneries, avec des projections cool et des discussions. Jardiner, la visibilité théorique du queer et de la lutte contre l’homophobie, mais aussi l’antifascisme, etc. C’est un lieu qui nous semblait à tou-te-s beaucoup plus safe que n’importe où ailleurs à Dijon. Y’avait une attention portée aux termes utilisés par les gens, au fait d’essayer de ne pas reproduire des schémas de domination. Via les rencontres, des questions politiques se sont posées, on a piqué des brochures sur la table de l’infokiosque, et puis… ça a continué comme ça.
Par contre, l’intégration n’a pas été simple. Tu te retrouves un peu seul-e face à une espèce d’entité énorme de gens, qui ne prennent pas forcément le temps de venir vers toi. Les gens peuvent parfois être méfiants et peu accueillants. Y’a une phase où t’as l’impression de devoir prouver qui tu es, ta crédibilité politique, pour être accepté-e.
Pour certain-e-s d’entre nous, ça a été le fait de venir en « groupe », et donc en nombre, qui a permis d’effacer peu à peu ce malaise. On s’est donné de la force entre nous, « les nouvelles-nouveaux ». Et on a enfin pu créer des liens intimes avec les gens. Le temps fait le reste, et maintenant on se sent à l’aise, et on fait attention de ne pas reproduire les comportements qui nous ont fait chier à l’époque.

La situation politique à Dijon, vous la voyez comment ? Et sur le quartier ?

A Dijon, comme dans la plupart des autres villes en France, y’a pas grand-chose à en dire politiquement, mis à part que forcément on ne se reconnaît pas dans la politique de la Ville.
Heureusement qu’il y a le quartier (des Lentillères/Tanneries) et les différents crews de potes qui gravitent autour de Dijon. C’est ce qui fait que c’est plutôt chouette ici, parce que pour la taille de la ville (qui est assez petite), la dynamique squat/autonomes a une énergie assez impressionnante. Cette force dans la ville, elle vient certainement du fait que d’un noyau politique commun ont émergé différents lieux, qui ont des combats différents mais qui se soutiennent les uns les autres (le Black Market, le Chez Nous, le Local libertaire, les Tanneries, le quartier des Lentillères – le Jardin des Maraîchers, le Pot’col’le, les jardins individuels…). Toutes les personnes gravitant autour de ces différents lieux ne font pas forcément partie de cette culture squat autonome, ça permet du coup à plein de gens d’univers différents de se retrouver. Ça nous permet aussi de rencontrer des gens hors du « milieu », et de construire des trucs ensemble. Pour nous, ça fait qu’on ne se sent jamais trop seul-e-s dans la ville, parce qu’on est tout plein, de plus ou moins gros parasites, à avoir récupéré un bout de cette ville aseptisée.
Ici, on vit nos propres réalités, on est une ville dans la ville ! Y’a une vraie vie de quartier.
Enfin c’est bien beau tout ça, mais parmi tous ces lieux, y’avait pas d’espace pour les meufs-gouines-trans-féministes, pas de visibilité, pas d’actions ! Woah woah woah, que des mecs cis de partout ! Et puis même dans nos milieux pour être bien vue et sortir de cette image de meuf, on doit s’atteler à des domaines normalement réservés aux mecs : apprendre à faire de la méca, de la soudure, de la charpente, pour PROUVER encore une fois qu’on est fort-e-s et crédibles.
Bref, y’en a eu un peu marre, qu’on puisse pas être meuf-gouine-trans-queer et se sentir franchement à l’aise dans un de ces lieux sans que peut-être un relou passe la porte ou sans pouvoir se laisser aller vraiment. Alors voilà… on vous invite, les meufs, les gouines, les trans, les queers, les intersexes et tou-te-s les autres, à passer à Dijon, pas pour voir l’église de la Chouette, ni pour manger de la moutarde, mais pour venir à la Cyprine !

Vous pouvez nous parler de la Cyprine ? L’histoire pour s’organiser à ouvrir, etc. ?

On s’est trouvé par la volonté en premier d’ouvrir une maison, puis en discutant, en apprenant à se connaître, on a capté nos attentes communes, on a capté qu’on avait tou-te-s besoin d’un lieu safe, de non-mixité, du coup on s’est mis-es d’accord pour ouvrir une maison non-mixte meuf-gouine-trans, lieu qui n’existait donc pas à Dijon. On a décidé d’ouvrir en non-mixité, nous, futur-e-s habitant-e-s et ami-e-s concerné-e-s par cette lutte, ce projet, ayant envie de s’investir. Avant la Cyprine on avait déjà fait une tentative d’ouverture dans une autre maison de laquelle on a été expulsé-e-s illégalement. On a mis un peu de temps à s’en remettre, mais cette expérience nous a vraiment rapproché-e-s, on a vécu ensemble aux Tanneries en attendant de retrouver des forces, de s’organiser mieux, et trouver un endroit stratégique pour ouvrir.
Miracle, une maison inhabitée sur la friche [des Lentillères] !
Pour cette ouverture on a voulu organiser ça entre ami-e-s proches, et dans une optique où on laisserait pas un mec-cis nous arracher les outils des mains et nous montrer comment faire, voire faire les choses à notre place. Cette semaine d’ouverture a donc été non-mixte, stressante puisque pour certain-e-s on avait toujours cette pression à la con de devoir prouver qu’on pouvait réaliser un truc juste sans mecs cis. Technique et confrontation. On a eu du soutien en cas de besoin de la part des potes du réseau.
Lors de notre première ouverture on s’est laissé envahir par nos potes mecs cis, qui on pris beaucoup de place, notre propre ouverture nous échappait. On n’a pas laissé cette situation se reproduire avec la Cyprine, on a placé des limites avant d’ouvrir, au point que nos potes mecs cis n’osaient même pas passer notre portail (mouhahaha). On a gardé le contrôle, on restait décisionnaires de la place qu’ils pouvaient prendre ou pas. Et on a eu un soutien de ouf, de la part de ces mecs cis qui savaient plus trop où se foutre et de nos potes meufs qui on pu prendre de la place, et s’investir, se sentir concernées, et ont trouvé de l’énergie à faire ça avec nous, et c’était beau.

Est-ce que vous avez des projets pour la Cyprine ?

On a déjà fait plein de trucs chouettes, ateliers coutures de serviettes hygiéniques lavables, des soirées jeux (et même une soirée Playstation 1 avec Tekken 3!), soirée pyjama, un potager de plantes médicinales derrière la maison, des ateliers baumes, un bar-café, et tout ça en non-mixité MGT. Et puis le dimanche on organise souvent des projections-brunchs en mixité, histoire de se retrouver, et de se serrer les coudes pour combattre notre gueule de bois.
On a tou-te-s des projets et envies différentes pour cette maison, et il y a encore des choses que l’on a envie d’organiser : des discussions, des ateliers mécaniques, une pièce gynéco, des ateliers massages, des groupes de parole, des ateliers d’expressions sous différentes formes.
Sinon les idées sont les bienvenues, si vous avez envie d’organiser un truc en non-mixité, la maison est faite pour ça !

Y’a des moments où vous captez d’autres crews de meufs ? « Féministes » ou pas ?

On n’est pas vraiment en contact avec d’autres collectifs féministes, par contre oui, on a des relations inter-individuelles avec des meufs de différents espaces, collectifs féministes ou pas. On est toujours hyper content-e-s d’accueillir des meufs, des gouines ou des trans ici, des potes ou des inconnues, des MGT curieuses, des MGT en vacances, des MGT avec des idées, des projets, des MGT qu’ont besoin d’un plumard pour quelques jours, des MGT qui ont besoin de force, des MGT qui veulent partager des trucs…

Plutôt falafel ou seitan ?

On s’est battu-e-s au nunchaku et à la batte de baseball pour répondre à cette question, on était deux doigts de splitter et de lâcher la maison.
Après deux jours à l’hôpital suite à de graves blessures, on n’arrive toujours pas à se mettre d’accord…

Contact:
lacyprine@@@riseup.net