Hébron (Palestine): des colons israéliens entrent au pied-de-biche dans des maisons palestiniennes

Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, on voit un groupe de colons israéliens, sous protection militaire israélienne, s’emparer de force de maisons palestiniennes. Notre Observateur, ancien militaire à Hébron et fondateur du groupe de soldats dissidents “Brisons le silence”, revient sur ces opérations d’occupation qu’il a lui-même dû accompagner.

Hébron est une ville palestinienne située dans le sud de la Cisjordanie où, dès 1967, s’installent au cœur de la vieille ville, près du tombeau des Patriarches, une centaine de colons israéliens religieux. Ils forment aujourd’hui une communauté de 500 colons, qui vit sous protection militaire israélienne dans un quartier où des familles palestiniennes refusent encore de partir, malgré les restrictions et violences qu’elles subissent. L’occupation des maisons palestiniennes fait partie des violences recensées.

“Ces opérations se préparent comme des opérations militaires”

Cette vidéo date du 21 janvier dernier. Un groupe de colons israéliens, protégés par des soldats israéliens, s’est emparé de deux maisons palestiniennes situées dans le cœur de la vieille ville d’Hébron. Ces deux maisons traditionnelles, très grandes, se trouvent à un endroit stratégique, à proximité du tombeau des Patriarches [lieu saint pour le judaïsme et l’islam, où serait notamment enterré le prophète Abraham. Le monument construit à cet emplacement est aujourd’hui divisé en mosquée et en synagogue – NDLR]. En s’emparant de ces maisons, ils cherchent à relier le tombeau des Patriarches à la colonie de Tel Rumeida.


[Vidéo filmée par Raed Abu Rumaileh, un voisin palestinien. Il collabore au projet caméra de l’ONG Bet’selem, qui documente les violations.]

On voit à quel point les colons sont organisés. Ces opérations se préparent comme des opérations militaires. Ils sont nombreux et défoncent les portes à l’aide de pieds-de-biche. Aucun palestinien n’était présent. Difficile pour eux de riposter en pareilles circonstances. Seuls des soldats israéliens sont là, et c’est pour les protéger. Ils ont l’obligation de les escorter partout. Et des colons filment la scène pour leurs propres médias. Ils alimentent ainsi le récit d’un Grand Israël en construction [Le Grand Israël fait référence à des revendications à caractère politique se basant sur des considérations religieuses et nationalistes. Les partisans du Grand Israël souhaitent qu’Israël s’étende sur l’ensemble de la Palestine historique et intègre donc dans ses frontières les territoires occupés. La colonisation est un outil de l’extension du territoire d’Israël au-delà des frontières internationalement reconnues – NDLR]

“Les soldats israéliens sont là seulement pour protéger les ‘habitants juifs d’Hébron'”

Ces deux maisons étaient vides. Leurs propriétaires n’habitaient plus sur place. Plus de 40 % des familles palestiniennes ont quitté la zone H2. [Le protocole d’Hébron découpe depuis 1997 la ville en deux zones, H1 et H2. La zone H1 est sous autorité palestinienne, la zone H2, où vivent des colons israéliens, est placée sous autorité israélienne – NDLR]. La situation est très difficile pour les Palestiniens. Il y a de nombreux checkpoints à l’intérieur de la zone, qui restreignent leur circulation. Et les attaques des colons sont récurrentes. Il faudrait même parler de harcèlement. Malheureusement, les soldats israéliens qui assistent à ces attaques ne font rien. Ils sont là seulement pour protéger les “habitants juifs d’Hébron”. C’est ainsi que leur ordre de mission est formulé. Je suis bien au courant. J’étais soldat, puis sergent, à Hébron pendant la deuxième intifada. Quand un colon agressait un Palestinien, je protégeais le colon. J’aurai pu protéger l’agressé et non l’agresseur, mais les ordres de nos supérieurs ne vont pas dans ce sens. Au mieux, je pouvais prévenir la police israélienne. Elle est en droit d’intervenir, mais elle ne le fait que très rarement. C’est un contexte que beaucoup de Palestiniens ont préféré fuir.


[Évacuation des colons par la police israélienne, après l’occupation sans l’autorisation du ministère de la Défense des maisons palestiniennes. Source : Youth Against Settlements.]

“Il est fréquent que des colons falsifient des titres de propriété pour s’emparer d’un bien”

Ces maisons étaient vides, mais leurs habitants en restent propriétaires. Les colons israéliens insistent pour dire qu’ils ont racheté les titres de propriété aux propriétaires palestiniens. Eux, m’a-t-on rapporté, affirment le contraire et auraient d’ailleurs porté plainte auprès de la police israélienne. Il est fréquent que des colons falsifient des titres de propriété pour s’emparer d’un bien. Plusieurs cas portés devant la justice israélienne l’ont révélé. Et dans les territoires occupés, qui restent des territoires contestés du point de vue d’Israël, il est interdit en tant qu’Israélien d’acquérir des propriétés sans l’autorisation du ministère de la Défense. Voilà pourquoi les colons qui ont pénétré dans ces maisons palestiniennes ont été depuis évacués par la police israélienne. C’est le paradoxe : ils sont protégés par l’armée en tant que juifs israéliens dans toutes leurs actions, même lorsqu’elles sont illégales au regard de la loi israélienne. C’est la police qui intervient pour appliquer la loi. Pour être autorisés à occuper ces maisons, les colons doivent d’abord passer par le ministère, déposer un dossier qui sera étudié avant validation éventuelle. Leur évacuation est sans doute temporaire. Une fois que le ministère l’aura validée, ils pourront y retourner, car leur projet s’inscrit dans celui du gouvernement actuel qui poursuit sa politique de colonisation des territoires palestiniens. [Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a d’ailleurs exprimé le 24 janvier son soutien aux colons – NDLR]


[Évacuation des colons par la police israélienne, après l’occupation sans l’autorisation du ministère de la Défense des maisons palestiniennes. Source : Youth Against Settlements.]

Yehuda Shaul
(Article écrit en collaboration avec Dorothée Myriam Kellou)

[Publié le 29 janvier 2016 sur le site des Observateurs.]