Toulouse : au Faubourg Bonnefoy, l’expulsion d’un squat telle une opération anti-terroriste

Dimanche 11 septembre, le Collectif Lascrosses [1] ouvrait un bâtiment au 149 rue du Faubourg Bonnefoy pour héberger 75 personnes (dont 25 enfants) menacées de se retrouver à la rue. Récit.

Le bâtiment est occupé au rez-de-chaussée par des bureaux inutilisés servant de boîtes aux lettres à plusieurs entreprises. Des voisinEs zéléEs s’empressent néanmoins de contacter la propriétaire pour la prévenir du péril qui la guette. Celle-ci débarque et, très vite, la situation se corse.

CertainEs habitantEs de la résidence cossue dans laquelle se trouve le bâtiment sont extrêmement remontéEs, visiblement plus sensibles à la fable de la-travailleuse-qui-ne-peut-plus-travailler qu’au sort des 75 personnes à la rue. Leurs arguments sont atterrants. Florilège :

– Je risque de les entendre quand j’ouvrirai mes fenêtres !
– Comment ils vont faire pour manger ? Ils vont faire des allers-retours permanents !
– Ils vont chier partout !
– Qui nous dit que ce ne sont pas des terroristes ?
– Me faites pas le coup de la solidarité, je donne à des associations.
– Moi déjà je vois des femmes voilées, donc on n’est pas de la même culture, comment voulez-vous qu’on cohabite ?
– Ils écoutent de la musique musulmane.

Heureusement, quelques voisinEs solidaires viennent apporter leur soutien.

Le bâtiment vide dans lequel le Collectif Lascrosses avait élu domicile.

[Ci-dessus, le bâtiment vide dans lequel le Collectif Lascrosses avait élu domicile.]

La police finit par intervenir. Elle recueille les différents témoignages et ramène le calme.

Mardi matin, les flics reviennent pour prendre en photo le cadenas installé par le Collectif Lascrosses. Ils ne répondent pas aux questions. Ça sent mauvais, les personnes en situation irrégulière quittent peu à peu le bâtiment.

En milieu d’après-midi, le quartier est bouclé. Un déploiement policier digne d’une opération anti-terroriste se met en place. La rue du Faubourg, qui n’est autre que la très fréquentée route d’Albi, est carrément déviée. Une bonne douzaine de véhicules sérigraphiées ainsi que plusieurs équipages de baqueux prennent place. Attentat ? Alerte à la bombe ? Non, dix personnes dans un bâtiment vide.

La police a pris prétexte de dégradations imaginaires (qui ne sont étayées par aucune photo, aucune preuve) pour expulser sans passer par la case tribunal administratif.

Sur les dix personnes présentes lors de l’expulsion, sept sont interpellées et font 24 heures de garde à vue. Parmi elleux, trois sont envoyéEs au Centre de Rétention Administratif à Cornebarrieu. Deux en sortent dans les jours qui suivent, mais un y est toujours détenu dans les conditions qu’on connaît. Son recours sera jugé mercredi 21 au TGI. Courage à lui…

Les jours suivants, dans la résidence Vendôme où se sont déroulés les faits, on pouvait lire un mot à l’attention du voisinage :

Note:

[1] Le Collectif Lascrosses a écrit le texte de présentation suivant:

Nous sommes des gens en galère, des chômeurs, des femmes seules, des familles avec enfants, des travailleur-se-s pauvres, des étudiant-e-s précaires, des personnes âgées et des personnes de différentes régions du monde.

Notre point commun est celui de ne pas avoir de logement depuis bien trop longtemps.

Nous avons donc décidé de nous organiser par nous-mêmes pour appliquer, ici et maintenant, notre droit à vivre dignement. Nous n’attendons plus rien de l’État ou des institutions qui se moquent bien de nous.

Nous avons pris l’initiative de réquisitionner les bâtiments situés au 44 et 46 boulevard Lascrosses, vides et abandonnés depuis plus d’un an, propriété de la *Société Anonyme Le Groupe des Chalets*, un des plus gros bailleurs sociaux en Midi-Pyrénées. Selon* les Chalets*, ces bâtiments d’une vingtaine d’appartements sont non habitables en l’état, ils préfèrent donc laisser les lieux vacants tout en sachant que de plus en plus de gens dorment à la rue toutes les nuits sur Toulouse : drôle de politique sociale ! Nous, nous répondons le contraire. Dès notre arrivée, nous avons collectivement fait les travaux nécessaires avec l’aide de professionnels, et nous avons nettoyé les lieux pour rendre ce bâtiment habitable, et cela dans des conditions décentes.

Au lieu de tenter de comprendre notre situation, *les Chalets*, ’’bâtisseurs d’émotion’’ sur leur plaquette, ont préféré s’organiser en quelques jours pour nous assigner au tribunal *dès le 10 avril (le report aura lieu le 17 avril)*, afin d’exiger et d’obtenir notre expulsion dans les plus bref délais. Ainsi, les Chalets prennent aujourd’hui la responsabilité active de mettre *une soixantaine de personnes* à la rue. Ils leur suffit de quelques jours pour organiser notre expulsion quand dans le même temps des dossiers de demande de logement prennent plusieurs années à aboutir !

Nous voulons simplement avoir un toit au-dessus de notre tête, des chambres pour nos enfants, de l’eau courante, pouvoir être en sécurité avec nos familles, bref, vivre dignement. Nous nous mettons donc en lutte pour rester chez nous ! Détourner les yeux, c’est cautionner les actions que *les Chalets*, “bailleurs sociaux”, sont en train d’appliquer afin de faire toujours plus de profit sur le dos des plus pauvres.”

Pour en savoir plus, vous pouvez écouter ici l’émission que Canal Sud y a consacré.

[Publié le 20 septembre 2016 sur Iaata.]