En plein contexte de menaces d’expulsion de la jungle de Calais, un drame de plus vient s’ajouter à tous ces parcours chaotiques, toutes ces vies mutilées, qui se frayent un chemin fragile et échouent sur les côtes normandes : une femme, interprète pachtoune, venue contribuer à un reportage pour France 5 a été agressée et violée par des afghans aux abords de la Jungle. Le lendemain toute la presse du net en parle. Rage et amertume que nous tentons de décortiquer ici.
Nous aussi on a connu des viols stéréotypés. Un chauffeur routier, père de famille espagnol et fervent chrétien. Un anesthésiste ayant violé un de nos proches quand il avait moins de cinq ans, un instructeur militaire qui a violé un autre pote pendant plus d’un an quand celui ci avait onze ans. Les viols de copines sont tellement nombreux qu’on en efface parfois les récits pour la survie de notre apparente santé mentale. ll y a encore deux semaines une copine a subi une tentative de viol et n’a pu s’en extraire que parce qu’elle a pu, elle a su, frapper.
Combien de femmes violées tous les jours en France ? Combien d’articles sur le viol de ma sœur, de ma pote, de cette femme, fille, collègue, inconnue, dans ces mêmes journaux ?
Existerait-il encore des incrédules qui s’imagineraient que le viol ne soit que le fait d’âmes perdues, de fous à lier, de dangereux criminels, de migrants sans foi ni loi ? Le viol est pourtant chose bien courante. Il est partout autour de nous, dans nos familles, nos loisirs, nos lieux de travail et de sociabilisation, pour qui veut bien y regarder.
Le viol n’est pas l’apanage de certains groupes ethniques, il est répandu partout. Et oui, réveillons-nous ! Et notamment à Calais, et ce n’est certainement pas la première fois. Et pourquoi à votre avis avançons-nous cette supposition ? Non pas parce que nous pensons que les migrants sont de dangereux violeurs mais parce que nous sommes persuadéEs que les hommes en général, grands, petits, blancs, blacks, à cravate, à capuche, fils à papa, ouvriers à l’usine, français, ouzbeks, américains, avec ou sans papiers, tous les hommes avec un petit « h » sont de potentiels violeurs.
De lire ce triste titre dans l’actualité ne fait que révéler une fois de plus, s’il y en avait besoin, l’oppression des hommes sur les femmes, le patriarcat, partout, tout le temps. Levons-nous pour mettre au grand jour ce monde masculino-centré, qui fait des femmes le « sexe faible », l’objet sexuel, la bonne mère, la gentille petite fille. Ce monde qui fabrique des hommes forts, à la sexualité débordante, à qui tout serait dû pour assouvir des pulsions soi-disant naturelles. Le viol n’est alors qu’une des facettes utiles à l’assise patriarcale, un moyen de plus pour ramener les femmes au rang d’objet, de proies, de victimes. Si on dénonce le viol, alors faisons-le radicalement, en s’attaquant aux racines du problème et non pas en l’instrumentalisant.
Alors le viol qui s’en soucie vraiment ? Les grands medias phallocentrés souvent décomplexés de leur sexisme ? Les politiciens paternalistes et moralistes dans leurs uniformes de dominants ? Non, ce fait « divers » apparaît dans un contexte d’expulsion, alors que les politiques essaient de justifier tous les jours la répression massive. Ce viol est utilisé à des fins politico-médiatiques. Sa médiatisation servira le racisme français et la psychose populaire. Le profil criminel du migrant se précise : il était déjà parasite, porteur de maladie, terroriste, il est maintenant violeur. Le parfait ennemi intérieur pour justifier une politique sécuritaire. Tremblez français et françaises, vos familles sont en danger !
Allons-nous perpétuer les projections discriminantes chargées de peurs ? Jusqu’où les clichés nous toucheront-ils ? Que se passera-t-il quand, dans l’espace public, une personne apparemment étrangère ou sans-papier se présentera à nous ? « Ce mec est dans la merde, il est sûrement prêt a tout, il a sûrement des intentions malsaines ou malhonnêtes. »
La politique est en marche et rien de nouveau dans ces outils.
Et face à des actes de violences venants de personnes oppressées, quels mécanismes relançons-nous ?
Tout comme avec les fanatiques de Daech, il n’y a pas de pardon envisageable, et tout comme dans n’importe quel conflit, grattons à la source complexe de la friction devenue furie. Quelle part de responsabilité revient à la France dans les asiles, les bidonvilles et les misères sociales ? Alors que les afghans sont humiliés et ramassent les miettes dans de très nombreux pays du Moyen-Orient à l’Europe, il n’y a plus grand étonnement à voir la violence démultipliée au sein de leur communauté. Alors face à ces cercles vicieux, on tabasse ? On expulse ? On soutient l’État français pour renvoyer 70 000 afghan.es en Asie centrale, au sein de la corruption sous perfusion de l’occident ? Serions-nous assez aliéné.es pour relancer de l’huile sur le feu de la tuerie mondialisée ?
Face à la répression qui tente de rameuter à sa cause, nous ne pouvons pas laisser la tribune aux idéologies stigmatisantes et simplificatrices. Le jour où le racisme sera mort et que nous bannirons l’imaginaire de la race, nous étudierions enfin les cascades d’oppressions complexes qui dégueulent jusqu’à cette femme interprète. « La nature violente des réfugiéEs, le mal ancré dans ces peuples, la barbarie génétique ? » Ces idioties et leur cheval de Troie -la nature- pourraient ainsi être tolérées lorsqu’elles se déguisent en ethnologie de comptoir pour justifier la répression ? Une moindre considération de l’égalité des peuples suffirait à balayer de telles simplicités fascisantes. Rien n’est d’aujourd’hui, toutes les haines ont des histoires. Et l’occident, depuis longtemps, devrait brûler son rôle de donneur de leçons.
Dans ces terreurs en marche, il n’existe que des pouvoirs, des oppressions en cascade et des bricolages pour y survivre. Alors, se font face les bornés répressifs et les idéalistes légitimes. Maintenant plus que jamais, notre détermination est grande à combler les représentations collectives de nos expériences propres. Les rencontres et les amitiés sont si belles quand elles se frayent un chemin entre nos murs. Elles viennent apporter un nouveau savoir, précieux comme une pépite de confiance et de dignité ; un savoir merveilleux dans l’ambiance qui prête au désespoir, un éloge des contrastes, encore et toujours…
Dans ce contexte où partout dans les campagnes des tensions surgissent face à l’arrivée de « migrants », le gouvernement a du pain sur la planche pour construire un consentement national. Tout en justifiant l’expulsion de Calais, il se donne un masque humaniste en érigeant des « Centres d’Accueil et d’Orientation » un peu partout. Après les avoir pourchassé.es, humilié.es, stigmatisé.es, laissé.es croupir dans des conditions indécentes, expulsé.es voire tué.es, l’empire et ses frontières se mettrait à accueillir celles et ceux qu’il affiche haut et fort comme des criminel.les ? Balivernes ! Ces centres vont surtout permettre d’expulser, de gérer et de fabriquer des illégaux. L’instrumentalisation de ce viol par les médias et les politiques d’État ne font qu’alimenter la machine à merde du FN, tout en minimisant notre lutte à nous, femmes, laissant sous-entendre que ces graves actes de violence ne seraient pas le fait aussi et surtout de nos concitoyens…
Le fascisme a le vent en poupe et se paye le culot de la robe sociale. Le gouvernement attise encore les peurs en pompier-pyromane mais l’expulsion et la division ne pourront jamais amputer nos luttes de solidarités.
Contre les frontières, les nations et le patriarcat !
Des chercheuses et chercheurs d’or dans la lutte quotidienne
[Publié le 21 octobre 2016 sur Paris-Luttes.info.]