Porte fracturée au bras hydraulique, volet forcé, crâne ouvert… Mi-mai dans le quartier Canal du Midi, un propriétaire garagiste de métier a délogé des squatteur-euses à l’aide de sa dépanneuse. Lui et son fils ont défoncé les fenêtres et volets à coup de masse et ont tenté de trouer les habitant-es avec une perceuse… Le tout sous l’œil bienveillant des flics qui ont laissé faire. Brève interview avec un des habitant-es.
On a ouvert à Canal du Midi, ça faisait dix ans que la maison était vide et ça faisait trois semaines qu’on était à l’intérieur, avec des preuves (lettres, securibox, témoignages de voisin).
Un jour je sortais et je croise un petit vieux qui fait le tour de la maison avec des clefs, me suis dit « c’est bon c’est le proprio ». Vu que j’avais le cadastre j’arrive je lui demande si c’est bien lui, « oui », je lui dis « écoutez je suis un des occupants de la maison, ça fait trois semaines qu’on est là », il me fait « non mais en fait vous sortez ». Je lui dis « est-ce qu’on peut un peu dialoguer au lieu d’être extrémiste, ça fait trois semaines qu’on habite ici, on a nos affaires, on a notre vie, on a ancré quelque chose, on est un collectif, on peut pas partir comme ça d’une minute à l’autre. On peut trouver un arrangement… »
Le mec se vener et me dit qu’il y a un serrurier qui arrive. Là y a une petite camionnette qui arrive, un mec tout vener en sort. Il sort avec un gros percu [1], il met deux coups dans chaque verrou, les verrous étaient fumés. Il les a fumé en deux coups. Bon la porte était fermée de l’intérieur et il pouvait pas l’ouvrir, on avait barricadé. Il a dit « Je peux pas ouvrir ? C’est pas grave, je vais chercher un camion ». Il part comme ça, nous entre-temps on appelle les flics. On n’avait pas d’autres solutions que d’appeler les flics. Le commissariat est à 400 mètres de la maison, mais ils ont mis un quart d’heure pour venir.
Y a trois baqueux qui arrivent, en voiture banalisée, pas d’uniforme, pas de plaque, pas de brassard. Un d’eux sort avec son flashball. Ils me chopent direct, me mettent contre le mur, me fouillent. Pendant ce temps le proprio est toujours là et le fils est parti chercher un camion. Le flic m’insulte : « Si c’était chez moi, j’appellerais pas la police, je te mettrais une balle direct ».
J’étais avec une autre copine, ils la chopent, lui prennent son sac, la palpent alors que c’est une nana [2]. Puis ils décident de se barrer. Ils ont à peine calculé le proprio.
Puis là t’as une dépanneuse qui arrive. Ils sont quatre ou cinq. Ils ont continué à mettre des coups de perceuse dans les murs, puis ils nous ont menacé avec la perceuse, ils essayaient de me la mettre dans le bide pour m’empêcher de bloquer la porte, ça m’a pris la chemise c’était assez violent.
Crâne ouvert
Ils arrivent à nous virer de devant la porte du garage qui était pas assez barricadée. Le mec sort un bras hydraulique de sa dépanneuse, il le pose contre la porte et la pousse vers l’intérieur. Y a tout qui pète.
Dans le jardin y avait ma masse que j’avais utilisée pour faire le poulailler. Ils prennent ma masse et se mettent à défoncer le volet. Le mec finit en sang car il se prend des bouts de verre et des bouts de bois, tout seul tu vois. Il a le front qui gonflait à vue d’œil.
Quand le fils du proprio a éclaté le volet de la fenêtre pour rentrer à l’intérieur, il a sauté sur un pote. On l’a maîtrisé à quatre ou cinq et on l’a fait sortir. Le pote a eu le crâne ouvert.
Les flics reviennent, y avait deux voltigeurs avec leur BM et un fourgon avec 4 ou 5 flics en uniforme. Ils nous disent : « Bon vous avez 48h pour partir ». On sait que c’est du fake, mais on vient de vivre un truc éprouvant, la porte elle est ouverte… Le proprio nous menaçait de revenir tous les jours avec la dépanneuse. Tous les jours tous les jours tous les jours…
On a demandé trois mois au proprio. Il nous a dit qu’il nous laissait deux heures. On a négocié 12 jours…
Quelques jours plus tard, ça faisait plusieurs fois que des petits groupes de mecs tournaient autour de la maison, regardaient à l’intérieur, essayaient de mater ce qu’il se passait. Un soir je suis sorti pour leur dire de dégager et je me suis pris une patate, j’ai pas pu bouffer pendant trois jours. C’étaient des flics, sous leur t-shirt on voyait les guns, etc.
Mon pote qui a eu le crâne ouvert a porté plainte. Nous on est partis, la porte a été fermée. Moi j’arrête le squat (sic)…
(En illustration en haut, la photo du volet après le passage du proprio et de sa masse.)
Notes
[1] Une grosse perceuse.
[2] Les fonctionnaires de police n’ont pas le droit de procéder à la palpation sur un individu du « sexe opposé ».
[Publié sur Iaata le 27 mai 2017.]