Berlin: autour de la lutte contre le Campus Google

Au début de la rivière

Mai 2017 – Berlin – Avalanche

Ce texte espère être plus qu’une brève esquisse de la lutte contre un Campus Google dont la construction est prévue à Berlin. Il cherche à communiquer, impulser des discussions et soulever des questions qui puissent aider à penser une lutte spécifique, ainsi qu’à analyser les projets du pouvoir, à un niveau international. Avalanche se prête bien à ces questionnements et analyses. Ce texte est bien plus une tentative de communication entre anarchistes, avec l’intention de développer un espace pour agir de manière offensive, qui ne reste pas juste dans l’action symbolique et ne puisse pas être limité par les frontières.

Fin 2016, lors d’une conférence de presse, était présenté le projet de Google d’ouvrir un campus à Berlin. Un Campus Google comme il en existe déjà à Londres, Varsovie, Sao Paulo, Séoul, Madrid et Tel Aviv. Le Campus de Berlin devait (bien sûr dans l’intérêt de Google, mais pas seulement) mettre à disposition de l’espace pour des start-up, proposer des workshops pour experts et amateurs, et héberger un „Google-Café“. Comme lieu pour tout cela a été choisi un vieux transformateur dans le quartier de Kreuzberg. Google a demandé un permis de construire pour commencer les travaux dans le bâtiment du vieux transformateur pour pouvoir ouvrir le campus fin 2017. Après la „Factory“ dans le quartier de Mitte, un campus de start-up appartenant à plusieurs entreprises dont Google, le Campus Google serait un pilier supplémentaire dans l’implantation de l’entreprise à Berlin. Mais le projet d’un Campus Google à Berlin n’est pas seulement dans l’intérêt de l’entreprise, mais aussi dans l’intérêt du gouvernement. Non seulement le maire actuel de Berlin, présent à la première conférence de presse, faisait les louanges de Google et expliquait quelle chance représenterait un Campus Google pour le développement économique de la ville. Mais lors d’une séance du sénat, on pouvait entendre également que le sénat se rangeait pleinement derrière les plans de Google.

Les raisons de mener un projet anarchiste offensif contre les projets de Google et du pouvoir sont diverses. D’une part, les quartiers de Kreuzberg et Neukölln (le quartier le plus proche du vieux transformateur de Kreuzberg) sont depuis longtemps des endroits où une intervention anarchiste est visible; par exemple, la bibliothèque anarchiste Kalabalik est dans le même pâté de maisons que le vieux transformateur. Mais Kreuzberg et des parties de Neukölln sont aussi concernées par une restructuration massive. Ces quartiers étaient autrefois des quartiers populaires, mais ils ont beaucoup changé ces dernières années (ou même décennies). Ce changement et cette éviction de ceux qui ne peuvent plus payer les loyers qui augmentent, causent une tension, en plus du fait qu’il y a toujours eu et qu’il y a encore des attaques contre l’État et ses acteurs. Mais ce quartier entre Kreuzberg et le nord de Neukölln est depuis longtemps devenu un lieu branché, où entre autres se développe le milieu des start-up berlinoises. Là, nous voyons un intérêt pour Google de venir à Kreuzberg, car cet endroit a encore l’image d’un quartier alternatif en dehors de Berlin et d’Allemagne. Google veut renforcer son image « cool », « alternative », « hype », et trouver des idées « créatives ». D’autre part, une raison de lutter contre Google peut être la tentative d’attaquer l’apparemment inattaquable pouvoir technologique. Pour nous il ne s’agit alors pas que de Google, mais aussi du projet de la domination de digitaliser et technologiser le monde. Prendre un projet de construction d’une entreprise technologique comme cible, pour empêcher et attaquer ce projet, c’est comme lancer une critique tranchante comme un couteau.

Depuis l’annonce que Google veut ouvrir un campus à Berlin, il y a, entre autres, des activités anarchistes dans le quartier contre ce projet. Et tandis que les protestations des citoyens et des gauchistes sont surtout dirigées contre la gentrification dans le quartier, une lutte anarchiste serait plutôt un projet offensif contre

Google en tant qu’entreprise technologique et contre les rêves du pouvoir. Depuis le début de l’année, il y a tout le temps des tags contre Google et la domination sur les murs du quartier et sur le vieux transformateur: « La liberté, on peut pas la googliser », « Power off », « Start up revolt »… Un journal anarchiste (Shitstorm) a été diffusé à 7 000 exemplaires, et plaçait l’opposition au Campus Google dans un contexte d’attaque contre les plans du pouvoir (comme par exemple la smart-city). Les affiches lisibles sur les murs et les tracts qui ont été diffusés ciblaient Google, la technologie, la domination, et aussi la politique, qui essaie de pacifier la résistance contre le Campus Google. Un fois par mois à la bibliothèque anarchiste Kalabalik il y a un „Anti-Google Café“, un endroit pour échanger des informations, se coordonner et discuter pour une lutte auto-organisée et informelle pour empêcher la construction du Campus Google de Berlin. La proposition anarchiste d’une lutte auto-organisée, informelle et offensive, sans faire appel à la politique ou à une autre autorité, est visible dans le quartier. Pour l’Etat, cela est assez dangereux pour que par exemple, le vieux transformateur soit le seul bâtiment qui ait été explicitement protégé par les flics pendant la manif du 1er mai.

Bien que Google ait déjà son contrat de location et veuille ouvrir fin 2017, les travaux de réaménagement du vieux transformateur n’ont pas commencé, jusqu’à maintenant. Il y a un mois, on a pu lire que le permis de construire pour le réaménagement prévu par Google avait été refusé, du moins dans la première version des plans. Il n’est alors pas sûr, jusqu’au jour où est écrit ce texte, que Google puisse emménager dans le vieux transformateur de Kreuzberg. Il y a visiblement des problèmes dans les plans de construction. Mais Google peut encore les retoucher, et commencer les travaux avec une nouvelle version. Nous pensons que Google a vraiment un intérêt à venir à Kreuzberg, et donc que c’est juste une question de temps avant que les travaux ne commencent.

C’est le parti des Verts qui était contre le premier plan de construction de Google pour déménager dans le vieux transformateur de Kreuzberg. Les politiciens prennent le rôle de médiateurs, en essayant de canaliser la résistance et la lutte dans le quartier vers un dialogue politicien, et de les pacifier. Dans la presse il y a eu plusieurs articles autour de la résistance dans le quartier contre le projet de Campus Google. Les différentes composantes, politiciens, gauchistes ou citoyens, argumentent sur le risque de gentrification et de nuisances dans le quartier si Google emménage à Kreuzberg. Ce n’est pas que nous pouvions attendre autre chose des assistants et médiateurs du pouvoir, mais nulle part n’est évoqué le fait que Google n’est pas juste une entreprise comme une autre, ni le rôle qu’il joue dans le projet de restructuration du pouvoir. Rien n’était écrit sur la critique anarchiste, pourtant bien visible, de la technologie. En effet, la critique anarchiste sur la technologisation du pouvoir de l’Etat et du capital ne peut pas être acceptée par la politique ou par la gauche, car ce serait pour eux se tirer dans le pied, c’est pourquoi ils doivent l’ignorer totalement. Cela nous montre encore une fois qu’une lutte anarchiste ne doit pas seulement s’opposer à la récupération par la politique (radicale), mais doit aussi voir la politique comme un ennemi.

Pour nous en tant qu’anarchistes, peu importe au final si Google arrive à Kreuzberg ou plutôt dans un autre quartier de Berlin. Pour nous il ne s’agit pas de réagir à un projet du pouvoir, mais d’attaquer ce projet et par là de développer notre propre projet. Le projet de Google ne fait qu’accompagner les plans de l’Etat de technologisation, comme le projet de smart-city, ou le plan du gouvernement pour créer les conditions pour une industrie hautement technologique. Cela signifie que les infrastructures du pays et de la ville doivent être renforcés : une liaison internet plus rapide, plus de lieux avec du Wifi gratuit, plus de prises dans l’espace public… ce qui nécessite encore des travaux de construction, comme la pose de nouveaux câbles. Sans attendre que des cibles d’attaque visibles et évidentes se présentent, nous essayons d’attaquer le pouvoir aujourd’hui. Cela veut dire aussi attaquer l’idéologie par laquelle toutes ces entreprises technologiques comme Google se distinguent. Nous pensons donc que c’est une méthode adéquate de prendre pour cible un projet concret, pour ne pas seulement parler de « l’apocalypse technologique » et rester dans son fauteuil, mais attaquer concrètement ici et maintenant – se jeter dans la rivière, essayer de rester la tête hors de l’eau et bien localiser l’ennemi.

On pourrait dire que c’est trop tôt pour dessiner une esquisse d’une lutte qui n’a pas plus de six mois. Et ce texte a sûrement surgi d’une certaine spontanéité, mais tout de même avec l’intérêt profond d’avoir une discussion. Une discussion autour des questions de comment et si une lutte spécifique peut être internationale, ou plutôt de ce que pourrait être une proposition internationale, qui ne soit pas sur le terrain du symbolique ou du spectacle. Mais aussi des questions autour de l’attaque anarchiste contre les projets du pouvoir, comme la technologisation, le « smart », la digitalisation. La restructuration du pouvoir est un projet international, c’est pourquoi une lutte anarchiste doit pas être limitée régionalement, mais rechercher des chemins pour dépasser les limites géographiques – être internationale. Comme cela a déjà été dit, ce texte d’adresse aux compagnons et compagnonnes d’autres endroits du monde, pour entrer en communication. Avec le recul quand on est moins proche de la lutte, on peut sûrement faire d’autres analyses, voir d’autres angles d’attaque et développer d’autres propositions. Cette courte esquisse, peut-être très précoce, de la lutte à Berlin contre le projet de Campus Google, est aussi le refus de n’en rédiger une description que quand c’est fini, plutôt que dans les remous de la lutte elle-même.

[Publié en pages 9-10 d’Avalanche n°11, juillet 2017.]