Nous sommes la lutte contre le monde de l’aéroport !
Ce petit texte propose une analyse de la résistance aux expulsions d’avril-mai 2018 à partir du rôle joué par les soutiens du mouvement d’occupation contre l’aéroport et son monde.
Je me suis engagée dans la lutte contre l’aéroport et son monde au moment des expulsions de l’automne-hiver 2012. Je n’ai pas arrêté, depuis l’abandon du projet en janvier 2018, de faire l’aller-retour entre Paris et la ZAD pour soutenir mes camarades, mes ami-e-s, pour fêter la victoire, une victoire, et défendre l’autonomie d’une expérience qui a marqué l’histoire des luttes contemporaines. Souvent les copains et les copines me demandent : « Mais alors qu’est-ce que tu penses de tout ça ? » Bien sûr, ils me parlent des nombreuses tribunes publiées ces derniers mois pour dénoncer les comportements des un-e-s et des autres, la reproduction de rapports de pouvoir, affirmer des positions divergentes quant aux enjeux actuels de la lutte, etc. Je ne reviendrai pourtant pas ici sur les conflits qui se sont concentrés autour de l’ouverture de la RD281 et des fameuses « fi-fiches ». Je ne nie pas l’importance de ces débats mais je veux déplacer la réflexion vers un autre enjeu, celui de notre engagement, en tant que soutiens, sur la zone. Ce texte ne s’adresse donc pas aux occupant-e-s mais à tou-te-s celles et ceux qui ont un jour cru à cette lutte et qui l’ont portée, d’une manière ou d’une autre, jusqu’à l’abandon du projet d’aéroport.
Autant aller droit au but : les occupant-e-s de la ZAD de NDDL ne représentent pas l’avant-garde du mouvement révolutionnaire à laquelle il s’agirait d’attribuer tous les mérites ou tous les torts ! D’ailleurs, et dans la mesure où ielles visent l’autonomie, ielles ne représentent rien ni personne. C’est pourtant cette idée, au cœur de tant de discours et de jugements sur ce qui se passe actuellement, qui a selon moi participé à notre défaite lors de la bataille d’avril-mai 2018. Combien de camarades, pourtant engagé-e-s depuis des années aux côtés du mouvement d’occupation et des autres composantes de la lutte, j’ai entendu se justifier par un : « Non mais moi la ZAD… avec ce qui se passe entre les gens… » ou encore, pour celleux qui se positionnent plus précisément contre la signature des conventions d’occupation précaire : « Non mais moi je me bas pas pour la normalisation ! » ? Le problème que ces discours me posent, même si je comprends les critiques qu’ils soulèvent et que je les respecte, c’est qu’ils laissent aux occupant-e-s l’entière responsabilité de ce qu’a été, de ce qu’est et de ce que sera la ZAD de NDDL.
Pourtant, tout l’intérêt de cette expérience était d’ouvrir un espace dans lequel chacun-e pouvait concrétiser ses désirs, se donner la liberté d’imaginer autre chose, d’espérer d’autres choses. Et c’est dans ce territoire arraché à l’Ordre, qui a pris vie dans la convergence de nos combats et de nos fuites, qu’un ensemble de lieux solidaires a émergé. Solidaires dans le conflit qui nous oppose à l’État et au Capitalisme mais solidaires aussi et surtout dans l’anti-autoritarisme, c’est-à-dire dans la possibilité de ne pas être d’accord les un-e-s avec les autres et d’entrer en conflit les un-e-s avec les autres, et parfois (souvent même), de se retrouver autour d’une envie, d’une idée, d’un repas, d’une soirée sans pour autant céder à un nouveau conformisme… Bien sûr, « ce n’est pas parce que c’était un squat » qu’on pouvait tout se permettre et oublier que des gens vivaient ici, que des choses avaient été construites, que différentes formes de vie s’y étaient installées. Mais toujours le va-et-vient permanent des soutiens, des nouvelles et des ancien-ne-s occupant-e-s, empêchait que ces routines ne se sclérosent, que la zone ne se referme sur elle-même, que les conflits de positions ne se muent en postures et en déchirements. Sans cette rencontre, la ZAD de NDDL n’aurait jamais été ce que nous regrettons tou-te-s aujourd’hui, ce que nous n’avons pas su préserver, nous occupant-e-s ET soutiens, ce que nous pouvons aussi, maintenant, réinventer.
Je ne veux culpabiliser personne (aucune lutte intéressante ne s’est jamais bâtie sur ce genre de sentiments) et pourtant, il faut bien faire ce constat douloureux : nous n’étions pas assez nombreuses pour résister aux expulsions, pour imposer un véritable rapport de force. Celleux qui sont resté-e-s, celleux qui sont venu-e-s et ont combattu sous toutes les formes qui nous sont nécessaires (en manifestation, sur les barricades ou à l’arrière, en assurant le ravitaillement, les soins et la communication, etc.) ont fait preuve d’une détermination et d’un sérieux qui forcent le respect. Mais nous n’étions pas 50 000…
Je ne crois pas qu’on aurait pu empêcher toute forme d’institutionnalisation, d’une part, parce qu’il ne suffit pas de le vouloir pour tenir un territoire, d’autre part, parce que certaines activités, certains modes de vie, et pour tou-te-s simplement la routine (la normalisation n’est pas toujours là où on la cherche), nous y préparaient déjà. L’enjeu était donc surtout, à mon avis, de soutenir un rapport de force qui aurait pu nous permettre d’imposer un certain nombre d’exigences : la gestion collective des terres, la protection des habitats mobiles et légers, l’amnistie de nos camarades amendé-e-s, interdit-e-s de territoire, incarcéré-e-s, etc. Mais on ne négocie pas en position de faiblesse et nous n’étions pas 50 000…
Je ne crois pas que l’abandon de l’aéroport suffise à expliquer cette démobilisation. Après tout, celleux qui luttaient contre ce Grand Projet Inutile et Imposé se battaient aussi dans l’espoir de créer d’autres mondes. Au-delà de la réaction, de la volonté de défendre le bocage contre la prédation capitaliste, c’est le désir de quelque chose de mieux, de plus juste, de plus beau qui donnait sens à leur combat. Il serait sûrement très compliqué de traquer l’ensemble des facteurs qui ont contribué à la démobilisation des soutiens du mouvement d’occupation. Des embrouilles au sein des comités locaux et des orgas qui formaient les autres composantes de la lutte, à l’envie, pour beaucoup, de se concentrer sur le mouvement qui s’est développé autour des cheminots et des facs, une chose est sûre, les conflits qui ont opposé les occupant-e-s ne permettent pas non plus de comprendre pourquoi une lutte qui avait suscité tant d’espoirs et cristallisé tellement d’envies n’a pas pu, en 2018, mobiliser les 50 000 personnes qui avaient permis la réoccupation de la zone le 17 novembre 2012 et sa défense jusqu’au départ des forces de l’Ordre en avril 2013.
La démesure du dispositif policier et militaire déployé ne justifie rien parce qu’il est le résultat et non la cause de cette démobilisation ! Dans la situation politique actuelle (et malgré tout ce qui existe déjà et tout ce qui est en train de changer), 2 500 gendarmes, même avec des blindés, ça ne fait pas grand-chose contre un bocage remplit par plusieurs dizaines de milliers de personnes déterminées. Le déchaînement de violence que le gouvernement nous a opposé n’avait de sens que face à une résistance démographiquement faible. Stratégie du choc, comme un camarade l’a alors évoqué, Blietzkrieg, guerre éclair, qui n’est efficace que parce qu’elle est rapide, ce qui voulait dire, dans cette situation spécifique, qui ne fonctionne que si peu de gens se mobilisent sur une courte durée. Et nous, comme eux, savions déjà, depuis l’abandon du projet d’aéroport et l’annonce des expulsions qui a suivi, que nous ne pouvions compter que sur un petit nombre de soutiens. Les dix jours d’ateliers et de débats organisés au moment où la zone devenait expulsable (ce que les occupant-e-s avaient appelé « Avril fertile ») n’ont mobilisé qu’une trentaine de personnes. Alors, déjà nous savions. Nous savions que quelques un-e-s viendraient tenir les barricades mais nous savions aussi que nous n’aurions pas le compte.
Je pourrai revenir sur tout ce qui a déjà été dénoncé : sur les discours et les comportements qui, de toutes parts, ont alimenté les divisions, mais ce n’est pas cela qui, selon moi, nous a coûté la bataille d’avril-mai 2018. Ce qui nous a manqué c’est une prise. Le sentiment de nécessité qui naît de la possibilité de s’approprier une lutte, un lieu, celui qui te fout la rage quand tu le sais menacé, qui te tord les viscères jusqu’à ce que tu lui cèdes. Ce besoin irrépressible d’être là qui a conduit tant de gens à venir sur la zone et à y rester, quitte à tout quitter. C’est cette attraction formidable que le mouvement d’occupation et ses soutiens avaient suscité qui nous a alors manqué. Nous ne pourrons probablement pas la faire renaître, les pertes sont trop grandes, mais nous pouvons en créer une autre. Car une bataille, aussi importante soit-elle, ne résume jamais la guerre. Et c’est bien cet espoir qui doit aujourd’hui s’imposer : nous devons nous remobiliser, non pas pour conserver ce qui a déjà disparu, mais pour créer quelque chose d’autre et maintenir la zone dans l’archipel sur lequel l’autonomie construit ses bases matérielles !
Ce qu’il nous faut donc aujourd’hui c’est une prise. Il faut que les occupant-e-s nous donnent cette prise, qu’ielles nous laissent la possibilité de nous investir, de proposer de nouvelles idées et de créer de nouvelles choses, qu’ielles l’intègrent dans la construction même de cette autre ZAD à venir. Mais cette prise, c’est surtout à nous qui soutenons le mouvement d’occupation de la prendre en participant à des activités qui existent déjà et en en proposant de nouvelles, en accentuant les liens entre la zone et nos autres luttes notamment autour de l’Ambazada et du réseau de ravitaillement La Cagette des Terres, en organisant des ateliers, des débats, des concerts, etc., sur la zone et en dehors, bientôt, en réoccupant, d’une manière ou d’une autre (je ne crois pas qu’on ait encore réfléchi à toutes les possibilités légales et illégales, matérielles et symboliques qu’on pourrait imaginer), etc. Parce que la victoire contre l’aéroport est NOTRE victoire, parce que la défaite de la zone d’autonomie définitive est NOTRE défaite, parce que NOUS sommes la lutte contre le monde de l’aéroport, à nous de prendre en main l’avenir de la ZAD de NDDL !!!
Rendez-vous sur la zone du 7 au 15 juillet pour la semaine d’ateliers, de construction et de débats ZADenvies et du 27 août au 2 septembre pour la semaine Intergalactique de convergence internationale des luttes pour les communs !