Notre-Dame-des-Landes: la fin de la ZAD, le début de quoi ?

De ce que c’était la ZAD, quelque chose est fini, ou au moins se transforme. On a besoin de faire le point sur où on en est, et où on va. « On », c’est quelques personnes d’un même groupe qui se sont retrouvées pour écrire ce texte. Des habitant.e.s de la ZAD ont signé des COPs avec l’État. Pour nous c’est la fin de quelque chose. On a été nombreux.ses à participer à faire ce pari. Certain.e.s l’ont fait en se sentant un peu coincé.e.s, voire obligé.e.s par la grosse pression des flics mais aussi par celle des camarades. Les gens qui écrivent cet texte ne sont ni vraiment convaincu.e.s que c’était une bonne idée, ni que c’était une mauvaise idée. On a essayé de tenter quelque chose dans la situation, et ça ne nous a pas semblé pire comme option même si ça ne fait pas rêver. Si personne n’avait rien signé, peut être que tout aurait été rasé. Mais peut être qu’on aurait perdu moins de soutien, moins de dignité, qu’on se détesterait moins entre nous et qu’on aurait pas perdu plus de maisons. On ne saura jamais. Ça nous semble plus intéressant de partir d’où on en est maintenant et de réfléchir aux conséquences.

Avec toutes ces années de lutte ensemble on a déjà acquis plein de choses, dont plein de choses qu’on ne perdrait pas même si tout s’arrêtait là. Certain.e.s habitant.e.s commencent a partir d’ici parce que ce n’est plus ce qu’illes voulaient vivre ; d’autres pensent rester. On partage beaucoup d’analyses sur la situation de la ZAD, mais on fait des choix pratiques différents dans une situation très compliquée et pour l’instant assez désagréable.

Qu’est-ce que c’était la ZAD ?

Il y a quelques années, on s’était demandé « c’est quoi la ZAD ? ». La ZAD telle qu’elle a existé depuis une dizaine d’années était issue de l’action directe : le fait même d’y habiter était illégal. Une diversité de tactiques était mise en place pour résister à un projet et à ce qu’il représentait : des sabotages de pelleteuses aux semis collectifs sur les terres en « zone travaux » en passant par les résistances des habitant-e-s aux expropriations de maisons et de fermes par l’État ou encore par des contre-expertises.

C’était aussi un endroit où on essayait de construire une autre réalité, où l’on était moins dépendant-e-s de l’État et du capitalisme. On apprenait à être plus autonomes pour des choses pratiques comme la construction, le soin ou la nourriture comme pour des façons de nous organiser ensemble sans suivre les réglementations officielles.

La ZAD était aussi une communauté plus ou moins ouverte : avec des vécus communs, une entraide et des conflits entre celleux qui y vivaient, mais où chacun.e pouvait aussi venir passer quelques jours, quelques semaines, voire s’installer. Même si ce n’était pas évident pour tout le monde d’y trouver sa place, c’était un lieu de rencontres entre des gens issu.e.s de mondes très différents, des militant.e.s aux zonard.e.s, des squatteur.euse.s aux paysan.ne.s.

Tout ça se faisait grâce à quelques idées qui nous semblent assez largement partagées : lutter contre l’aménagement et la gestion du territoire ; essayer de s’écarter des logiques de dominations. Et ça s’est diffusé, notamment après l’opération César pour faire écho un peu partout, avec des soutiens à ce qui se passe ici mais aussi avec la création d’autres ZADs et plus largement la diffusion d’une forme de résistance. À l’époque, on se demandait : comment éviter la dépolitisation et la récupération par l’État de notre mouvement ?

Ce qui est fini

Il nous semble qu’une bonne partie de ce qui faisait cette ZAD dont on parlait alors est fini : non seulement il n’y a plus de projet qui fédère des oppositions multiples mais ce n’est plus un énorme squat.

Pour la plupart d’entre nous, la lutte contre l’aéroport n’était pas le but final, mais faisait partie d’une lutte plus globale contre « le monde qui va avec ». Par contre, on a tou.te.s des avis différents sur ce que ça veut dire exactement. Tant qu’il y avait le projet d’aéroport, c’était une évidence pour beaucoup que ça valait le coup d’être là et d’occuper le terrain. Des dizaines de milliers de personnes étaient d’accord pour se rassembler contre le projet d’aéroport mais elles ne le sont pas forcément pour protéger la ZAD. Même entre habitant.e.s on se demande si ça fait vraiment sens pour la lutte plus globale de rester ici squatter un bout de terrain à la campagne, et si on peut continuer à faire exister ici quelque chose qu’on trouve pas ailleurs. Depuis l’abandon du projet, il y a plus de débat sur où et comment construire parce qu’on n’imagine plus que tous les bois, les friches et les champs sont menacés. Par exemple, ça a moins du sens en termes de défense de construire des cabanes dans les arbres alors que les forêts ne risquent plus d’être rasées. Il y a même des gens qui aimeraient reconstruire seulement là où il y avait d’anciens hameaux. Physiquement et psychologiquement ça change comment on voit et on vit la ZAD.

Ça n’est plus un squat géant où l’on est tou.te.s des pirates et où l’on fait tou.te.s les règles du jeu nous-mêmes. Après l’abandon du projet on a décidé plus ou moins collectivement de commencer un processus de négociation avec l’État sur l’avenir de ces terres. Maintenant qu’on a signé des COPs, il y a une forme de légalisation qui s’installe, même si c’est encore précaire. Qu’on le veuille ou non, ça change quelque chose de fondamental sur ce qu’est la ZAD.

L’ouverture de la ZAD est peut être en danger. Même avec les meilleures intentions entre nous (et ce n’est pas toujours facile d’y croire en ce moment), avoir pris des engagements envers l’État fait que ce n’est plus aussi évident de laisser des nouvelles personnes venir, construire où elles veulent et faire leur projets pirates comme elles l’imaginent. Chercher à avoir une certaine sécurité amène d’autres conséquences. Si on veut faire quelque chose avec cet endroit qui donne encore envie, il faudra qu’on admette ça, puis qu’on trouve des moyens de garder des espaces pour les pirates.

C’est bien possible qu’on se sente restreint.e.s en termes de risque pour les stratégies de lutte illégales contre « le monde qui va avec ». On comprend très bien pourquoi il y a des gens qui se sont dissuadé.e.s de nous soutenir politiquement et matériellement depuis qu’on a choisi de suivre plutôt le chemin que le gouvernement nous a « suggéré », et également pourquoi des gens d’entre nous ne veulent plus habiter là.

Ce qu’on ne pourra pas nous reprendre

Penchons-nous sur ce qui s’est construit, pendant toutes ces années de luttes. Nombreux sont les outils que nous avons essayé de faire vivre : le cycle des douze, l’équipe médic, la facilitation sont autant d’expériences pour les luttes d’aujourd’hui, ici et ailleurs.

De nombreux liens se sont noués ici, des gens improbables se sont rencontrés, des écologistes radicaux aux paysan.ne.s en lutte, des citoyen.ne.s engagé.e.s aux squatteur.euse.s anarchistes. Ces liens sont certainement mis à mal par les tensions qu’on traverse ces derniers mois, mais ils nous ont affecté.e.s durablement. On garde les enseignements d’une volonté commune de travailler et de produire ensemble, toujours pour redistribuer de façon équitable. Il s’agit du non marché à prix libre, mais aussi d’alimenter les solidarités nouées avec les grévistes ou encore d’étendre notre soutien aux manifestant.e.s blessé.e.s ou incarcéré.e.s. Dans nos tentatives d’autogestion partagée, on a aussi découvert puis fait découvrir d’autres luttes parallèles, telles le racisme ou le sexisme. Des gens qui venaient lutter contre l’aéroport commençaient par partager des tâches ménagères et se retrouvaient par exemple dans des réflexions sur le validisme.

On a aussi appris et partagé plein de compétences qu’on n’aurait jamais imaginé comme la facilitation de discussion, l’agriculture avec des tracteurs ou la soudure, mais aussi la préparation de bouffes collectives véganes, la batucada, les premiers secours, etc. Et tout cela, nul.le ne nous le reprendra, pas même la répression étatique.

Nous avons tenté, quelques fois avec succès, de vivre sans État, sans police, ni prisons ou hôpitaux psychiatriques. On a fait l’expérience des embûches qu’on rencontre sur cette voie avec beaucoup de moments de doutes ou d’échecs, mais aussi avec plein de fois où on a fait mieux qu’ailleurs. Par exemple avec le cycle des douze – organe de médiation des conflits personnels fonctionnant sur le volontariat et le tirage au sort, l’atelier de co-écoute fonctionnant notamment sur le concept de bienveillance, des groupes de parole traitant de nos addictions, des lieux de sevrage, etc.

Cette lutte n’a pas seulement arraché l’abandon du projet d’aéroport. Elle nous a aussi permis d’acquérir les liens, les expériences de vie, les compétences et les moments forts et chouettes qu’on a vécus depuis toutes ces années. Ça nous donne une confiance en nous qu’ensemble on peut être capables de faire plier l’État malgré la force de sa répression.

Il reste encore à continuer le travail de mémoire, à laisser des traces pour que ces expériences alimentent une culture des luttes qui puisse resservir ailleurs.

Espoirs pour le futur

Nous pensons qu’une page se tourne sur la ZAD. Il nous semble que ce qui se fera ici sera très différent de ce qui s’y faisait avant. Dans ce sens, une ZAD est morte. Mais c’est aussi le moment de se réorganiser pour la suite. Certain.e.s d’entre nous ne s’y retrouvent plus ou sentent que c’est le moment d’aller s’impliquer ailleurs ou de (re)devenir nomades. Pour d’autres, c’est une nouvelle lutte qui commence ici, avec plein des choses à construire et à faire – avec continuités et des choses nouvelles. Nous espérons qu’en gardant des liens, ces deux choix puissent se renforcer mutuellement. Mais qu’est-ce qui nous motive ici pour la suite ?

La ZAD peut déjà être un endroit où habiter et avoir accès à des terres collectivement alors que c’est très difficile ailleurs. On espère que les gens qui y passeront et y habiteront continueront d’essayer de construire une autre réalité. On veut continuer à avoir une agriculture collective non-marchande qui alimente les résistances ici et mais aussi ailleurs – cantines militantes, lieux en luttes en ville.

Il ne faudra pas que nos ambitions se limitent à faire un truc un peu cool et différent dans notre coin : s’il n’y a plus quelque chose de visible et d’ouvert sur l’extérieur qui s’y passe, la ZAD aura beaucoup moins d’intérêt à nos yeux et aux yeux de nos ami.e.s ! Les autorités seraient bien contentes si nous présentions le visage lisse des néoruraux bio, inventif.ve.s mais pas trop. C’est à nous de nous battre pour que cela n’arrive pas et que la zone garde son ouverture et sa diversité. Comment s’y prendre ? Par exemple, en soutenant les luttes pour le droit au logement, la défense des habitats légers, mobiles et auto-construits, en ville comme à la campagne ; en maintenant des lieux d’accueil sur la ZAD et des équipes volontaires dédiées ; en restant ouvert.e.s aux initiatives non agricoles ou non marchandes ; en n’essayant pas d’invisibiliser la diversité des points de vue ; et en continuant d’inventer des stratégies multiples pour contrecarrer les volontés de contrôle des « autorités ». Les dynamiques autour du soin ne doivent pas s’éteindre, mais se renforcer. Il ne s’agit pas seulement de l’équipe médic et des formations aux premiers secours en manif, mais aussi du soin par les plantes, avec les jardins médicinaux et la cabane de transformation et des groupes qui se forment à la phytothérapie, ainsi que des dynamiques autour de vieillir ensemble, comme le projet « Vivre à tout âge sur la ZAD ». Si la ZAD retrouve un peu de stabilité, certaines personnes aimeraient pouvoir fonder un collectif de vie autour d’un projet qui tenterait un vrai accompagnement des personnes en détresse psychique ou souhaitant lutter contre leurs addictions.

Un autre atout de la ZAD, c’est de pouvoir offrir de l’espace pour héberger des rencontres, des ateliers et des formations autogérées et non marchandes, qui auraient plus de mal à se réaliser si elles devaient payer pour occuper un espace. La ZAD doit ainsi continuer à combattre ouvertement et activement le capitalisme et les dominations. Elle peut continuer à partager et faire vivre des idées et des luttes. Elle peut rester un lieu de convergence des luttes, en fournissant une aide logistique ou organisationnelle. L’action directe, qui ne se concentre plus sur la défense du lieu et le combat anti-aéroport, peut aller vers les autres luttes. Face aux blocages de l’État répressif, on n’a pas réussi à faire ce qu’on voulait sur de nombreux points, mais on désire ardemment que les luttes pour reprendre en main nos vies se répandent partout ailleurs et que les liens qui se sont tissés ici y aident.

Quelques occupant-e-s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes qui font partie du POMPS
Juin 2018

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[Publié le dimanche 29 juillet 2018 sur ZadNadir.]