Début février 2019, à Ratoma (une des cinq communes constituant la ville de Conakry), Ibrahima Kourouma, le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire a annoncé son intention de faire « nettoyer » le site du centre directionnel de Koloma, c’est-à-dire détruire tout un quartier squatté où vivent des dizaines de personnes pauvres.
L’expulsion-destruction de ce quartier (« déguerpissement » est l’expression utilisée localement), connu sous le nom de Kaporo rail, a débuté le mardi 19 février. Le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire s’est cette fois déployé avec des chefs de la Gendarmerie nationale et de la Justice militaire ainsi que tout un paquet de soldats en armes et des machines du génie militaire, pour démanteler les engins et voitures qui se trouvaient dans le quartier.
Dans un premier temps, le pouvoir a donc détruit des objets, des véhicules, puis des kiosques, des bars-cafés, des petits commerces, épargnant les habitations.
Comme souvent lors de telles circonstances, le ministre Ibrahima Kourouma a tenté de justifier cette action de démolition en la faisant passer pour une action d’intérêt commun : «à Conakry, les gens se lèvent tous les matins pour se diriger vers Kaloum où se trouve l’administration publique et privée. C’est le centre des affaires en quelque sorte. Donc, le président de la République, dans son souci de faire en sorte que la ville soit décongestionnée et que chaque Guinéen puisse vivre de façon décente et à l’aise, s’est investi pour avoir ce schéma directeur de Kaloum Vision 2040 et de Conakry vision 2040. Le centre directionnel de Koloma qui est un domaine réservé de l’Etat, doit être viabilisé pour accueillir l’administration publique, le centre des affaires. C’est pour cette raison que le président de la République a instruit le ministère de la Ville non seulement pour travailler sur les réserves foncières mais aussi à récupérer les domaines réservés de l’Etat.» Donc, si on écoute bien le ministre, commencer à détruire les lieux de vie d’un quartier de Conakry, c’est pour que chaque Guinéen puisse vivre de façon décente et à l’aise. Ça doit dépendre des Guinéen·ne·s quand même, non ?
Il faudrait demander à celles et ceux qui ont perdu leurs affaires, leurs véhicules, leurs lieux de vie sociale, puis, les jours suivants, leurs domiciles…
Mais en Guinée-Conakry comme ailleurs, c’est l’État qui décide. Le ministre Kourouma a d’ailleurs ajouté, toujours le 19 février dernier: «les gens savent qu’ils doivent quitter. Non seulement nous avons envoyé des inspections pour sensibiliser les populations, mais nous avons envoyé aussi un huissier qui est venu déposer les documents et des préavis avec des dates bien définies pour les gens qui doivent quitter. Ensuite, je me suis déplacé en personne avec les chefs de quartier et chefs secteur pour les sensibiliser à quitter. Ils savent qu’ils sont illégalement installés et il faut qu’ils assument et prennent leur responsabilité de quitter pendant qu’il est encore temps de partir librement.»
Partir librement… Si on disait au ministre « écoute coco, on te laisse quelques jours pour partir librement, car on a besoin de ta maison, tu comprends ? », il réagirait comment à votre avis ? Il aurait peut-être envie de rester librement chez lui…
Comme on peut le lire dans un article publié sur guineenews.org, certain·e·s habitant·e·s ont bien compris le message, mais c’est pas comme si les solutions de rechange étaient toutes trouvées. D’autant que plusieurs y ont passé quasiment toute leur vie et n’ont aucune idée ni aucun moyen pour aller s’installer ailleurs. Par exemple, Elhadj Youssoupha Diallo, qui a plus de 80 ans: «nous savions que les garages allaient être déguerpis. Mais en ce qui concerne les habitations, le chef de quartier nous avait signifié qu’avant de nous faire quitter les lieux, on nous dédommagerait d’abord. Moi depuis 1970, j’habite là, je ne refuse pas de quitter ici mais je n’ai vraiment pas où aller à moins que l’Etat m’indique où partir».
Le jeudi 21 février, les démolitions reprenaient de plus belle, s’attaquant cette fois à toutes les constructions du quartier: boutiques, bars-cafés, ateliers de couture, garages, hangars, restaurants, et maisons d’habitation !
Dans les cris et larmes, la colère des habitant·e·s n’est pas entendue. Mariam Diallo, une des habitantes expulsées: «vraiment, nous on est perdu·e·s, on ne sait plus quoi faire et que dire par rapport à cette situation. Il n’y a pas où aller ni rien. Beaucoup gagnaient leurs quotidiens ici mais hélas tout est démoli (…). J’ai ma grande sœur aussi qui a une boutique là mais malheureusement ils ont tout cassé.»
Sur les lieux ce matin-là, plusieurs véhicules de la gendarmerie (17 selon un des habitant·e·s du quartier !) étaient postés pour protéger les machines de démolition. Et si la colère pouvait se sentir, il n’y avait pas encore de résistance active à l’opération de démolition du quartier.
Le lundi 25 février, les démolitions ont redoublé d’intensité, touchant cette fois principalement des habitations. La révolte a commencé à se faire entendre, et les forces anti-émeute ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule, rendant la tâche encore plus compliquée à celles et ceux qui tentaient de réunir quelques affaires personnelles avant de partir.
Début mars, la zone est devenue un vaste champ de ruines. Même les écoles du quartier sont démolies. Comme on peut le lire dans un article d’africaguinee.com, le quartier vit au rythme des bruissements des Caterpillars de l’armée qui rasent tout, sous les yeux impuissants des victimes.
Selon Mamadou Samba Sow, un habitant du quartier, «ce qui s’est passé à Kaporo-rail ici c’est la démonstration et l’accomplissement d’une haine, parce qu’il faut dire les choses par leurs noms, c’est une haine contre la communauté locale et celle qui est majoritaire ici c’est la communauté Peulh, c’est elle qui habite Kaporo-rail. (…) Aujourd’hui la haine s’est matérialisée par la destruction de nos maisons et l’arrestation de nos frères.»
Et tandis que le quartier de Kaporo-rail est quasi entièrement détruit, ce lundi 4 mars 2019, plusieurs habitant·e·s d’une des zones de la cité Soloprimo (Koloma) ont été surpris·es par des agents de l’habitat qui sont venus mettre des croix sur leurs habitations, signe qu’elles sont les prochaines cibles des autorités. Ibrahima Kourouma a encore frappé et vise encore un autre quartier de la capitale guinéenne…
Ce week-end, le président Alpha Condé a promis d’être intraitable dans la récupération des domaines appartenant à l’Etat, alors que le passage des bulldozers à Kaporo-rail a laissé de nombreuses personnes et familles dans la misère et l’abandon.
[Sources: Libre Opinion Guinée | Guinée News | Guinée-Matin | Ma Guinée Infos | Mosaïque Guinée | Africaguinee.com 1 & 2.]