Il y a plus d’un an que les expulsions et l’abandon de l’aéroport on transformé ce qui se vivait sur la ZAD. Tout a été bousculé et depuis ces évènements on entend souvent qu’il est difficile de savoir ce qu’il se passe sur la ZAD. Il y a peu de récits qui sortent, et ce qui sort représente souvent une vision très manichéenne : soit on lit que tout est merveilleux et qu’on a tout gagné, soit on lit que toutes les personnes qui y restent encore sont des traîtres. Ce qu’on y vit est bien plus complexe. On est un petit groupe de gens d’affinités semblables. Quelques personnes parmi nous sont impliquées dans des structures collectives depuis longtemps, et d’autres sont arrivées plus récemment. Notre position est plutôt celle de personnes qui habitent là et qui y suivent encore des activités. Avec ce texte on essaie donc de raconter un peu où ça en est pour nous.
Morcellement et (dés)organisation
Si la ZAD n’a jamais été un bloc homogène et qu’il y a toujours eu des phénomènes de bandes, il a toutefois existé des tentatives d’organisation à large échelle dans des espaces ouverts à tou·te·s. principalement les réunions des habitant·e·s et les assemblées du mouvement. Aujourd’hui, ces espaces sont désertés au point qu’on pourrait affirmer qu’ils n’existent plus. Une des raisons de cette désertion que plusieurs ont invoquée a été l’absence de bases politiques claires, et force est de constater que beaucoup ont préféré multiplier les espaces avec différentes bases plutôt que de tenter de trouver un dénominateur commun.
L’assemblée des usages et ses commissions continuent d’être les espaces où s’élaborent les stratégies liées aux négociations avec les autorités et où participent des occupant·e·s, des organisations citoyennes et des paysan·e·s. Les occupant·e·s qui ont choisi la négociation se retrouvent aussi sans les autres composantes dans des réunions pour parler d’enjeux liés à la régularisation. Il n’existe par contre plus d’espaces formels pour traiter des enjeux du quotidien, de la gestion des conflits, etc.
Par ailleurs, une partie des occupant·e·s qui sont resté·e·s sont fortement contre cette dynamique de légalisation, ce qui crée parfois des tensions importantes, notamment entre des lieux voisins ou au sein du même lieu.
Les espaces d’organisation matérielle (partage de ressources financières, d’outils…) se sont également reconfigurés. Un groupe a décidé de faire bande à part de la caisse agricole commune et de créer sa coopérative. La dynamique Sème Ta Zad se poursuit sans cette bande et propose à tous les projets agricoles qui le désirent de mutualiser les expériences, les dépenses et les recettes. Le parc de tracteurs et d’outils agricoles issus de la lutte (Curcuma) fait l’objet d’une troisième dynamique et d’une caisse propre afin que différents projets qui ont chacun une autonomie comptable puissent y accéder. Par ailleurs, tous les projets agricoles qu’ils soient individuels, collectifs affinitaires ou collectifs ouverts continuent de gérer les terres communes au sein de réunions de coordination agricole. On trouve ça un peu grotesque d’en arriver à un tel niveau de complexité mais c’est un choix qui a été fait pour essayer de maintenir le plus de commun possible.
Des dynamiques d’activités collectives perdurent
Parmi les raisons qui nous motivent à rester ici, il y a différentes activités qui perdurent, et qui à nos yeux essayent de faire de cet endroit une zone vivante, ouverte, et accessible au plus grand nombre. Cette liste n’est pas exhaustive, mais rassemble des exemples qui font évidence pour nous en terme d’ouverture et de pratiques collectives à une large échelle.
Plusieurs groupes continuent de faire de l’agriculture collective, vivrière, et non-marchande, parfois aussi pour nourrir d’autres luttes : le jardin maraîcher du rouge et noire, le jardin médicinal, le groupe vaches, les cultures de tournesol, de patates, de sarrasin… Ces derniers mois le non-marché ne rassemble plus grand monde, mais un groupe tente de le relancer et d’autres imaginent de nouvelles formes de distribution pour partager les productions de la zone.
La boulangerie des Fosses Noires distribue toujours du pain à prix libre plusieurs jours par semaine tandis que celle de Bellevue est en chantier pour reprendre dans les prochains mois. Les dynamiques autour de l’artisanat sont plutôt enthousiasmantes : des ateliers comme la forge, la tannerie, les dynamiques autour du bois, l’atelier de couture ou de sérigraphie servent à fabriquer ou réparer des outils. Ce sont des espaces d’entraide où on peut apprendre et se transmettre différents savoirs techniques.
Il perdure également des activités comme les ateliers rap du ZSR, l’organisation de concerts ou de bals trad, la bibliothèque ; et il y a encore différentes volontés d’organiser de grands événements (Zad En Vies, semaine intergalactique, etc.) ou d’ accueillir sur zone les rencontres de groupes extérieurs.
Ça reste une préoccupation que la zone soit ouverte et traversée par différentes personnes. Certains lieux comme la Grée proposent un accueil inconditionnel et des dynamiques d’accueil plus formelles cherchent à renaître ou à se consolider. Certains lieux se rénovent dans ce but comme Bellevue ou la Wardine. On est encore pas mal nombreuses sur la ZAD, et pas tou·te·s à faire les mêmes trucs, à trouver ça pertinent d’avoir des espaces d’organisation ouverts et rejoignables. Mais on a l’impression que les récits qui disent que la ZAD a été totalement accaparée par une seule bande invisibilisent ces tentatives et ne nous permettent pas d’être rejoints par grand monde.
Légalisation : quelle résistance à l’individualisation ?
Où en est-on du processus de légalisation ? Petit rappel des faits : suite à la première vague d’expulsions du printemps 2018, la peur et la pression policière aidant, un dossier contenant les fameuses « fiches » de déclaration de projets qui tentent de couvrir tous les lieux et terres qui le voulaient a été déposé. Un an après, environ 300 ha de terres, dont quasi toutes les terres occupées par le mouvement, sont couvertes par des conventions d’occupation précaires (COP) qui ont été renouvelées et qui sont en train de se traduire en baux. Les terres occupées semblent donc en bonne voie d’être sauvées des appétits d’agrandissement des agriculteurs voisins qui avaient accepté de vendre.
Dans le même temps un fonds de dotation appelé « La Terre en Commun » a été crée. C’est une structure juridique d’intérêt général qui permet l’acquisition de terres, forêts et bâtis, sans système de parts ou d’actions. Cette structure permettrait à long terme de racheter la ZAD, et d’avoir une forme de propriété collective à l’échelle du mouvement.
Mais en attendant, les COPs et les baux ont tous été signés par des individu·e·s, officiellement des « porteurs de projet » qui sont dans un parcours d’installation agricole plus ou moins classique. On s’était promis que ces terres resteraient celles du mouvement même après le refus d’un bail global collectif. Mais force est de constater qu’entre la pression du pouvoir à rentrer dans le moule, les envies parfois très différentes et le manque d’énergie ou de volonté à vraiment travailler ensemble, le commun est de moins en moins réalité. Des dynamiques d’installation individuelles « classiques » ou en petits groupes prennent de plus en plus de place sur le commun à l’échelle de la ZAD. Beaucoup des ex-occupantes continuent d’envisager des rotations de parcelles collectives. Mais pour tout le reste, l’individualisation qui ne devait être qu’une façade devient de plus en plus réelle, et les tentatives de continuer à se regrouper dans les activités ne se font plus à l’échelle de la ZAD, échelle dont certain·e·s ne veulent plus entendre parler. On ne sait pas jusqu’où ira cette dynamique de morcellement et ça nous inquiète pas mal pour la suite.
En parallèle des dynamiques qui concernent le foncier agricole, il en existe d’autres qui concernent les habitats et qui visent à ce qu’il puisse exister des espaces pour des activités non agricoles.
La commission habitat de l’assemblée des usages rassemble des occupant·e·s et des soutiens et cherche à conjurer les menaces que le droit de l’urbanisme fait peser sur les auto-constructions encore debout (et celles à venir). Ça passe par négocier avec les élus locaux en charge de l’urbanisme un cadre légal à nos constructions. C’est pas gagné, mais on espère que si on y parvient, ce sera une victoire qui fera avancer la cause de l’habitat léger et biscornu sur d’autres territoires.
On comprend que certain.e.s préfèrent défendre cette cause (et d’autres) en reconstruisant sur les parcelles expulsées. Début mars, les flics sont revenus détruire trois lieux dont deux, la Cabane sur l’Eau et Youpi Youpi, qui tenaient depuis l’été et un depuis le 17 janvier, Lama Fâché. C’était assez affligeant la lenteur avec laquelle l’info a circulé en interne et la faiblesse des réactions. Depuis il y a eu des appels à réoccuper qui n’ont pas spécialement trouvé d’écho. On voudrait bien que ce ne soit pas la fin des reconstructions pirates. Mais il ne semble pas y avoir assez d’énergie pour mener de front les deux stratégies, d’autant moins quand, d’un côté comme de l’autre, beaucoup d’énergie est gaspillée à accuser une stratégie de saboter l’autre.
L’avenir de nos usages dans les bâtis en dur qui n’ont pas une fonction agricole évidente reste incertain. On pense que leur rachat par le fonds de dotation serait la meilleure des solutions même si ce n’est pas encore clair quel serait le niveau d’engagement entre les usagères du bâtiment racheté par le fonds de dotation et le grand collectif. Des discussions sont en cours à ce sujet.
Et dans tout ça, comment on se sent ?
Aujourd’hui beaucoup d’événements ont augmenté notre charge de travail : la convalescence de l’agression militaire de 2018, la résistance administrative qui en découle, les conflits entre nous, les départs de beaucoup de copain·e·s, les changements de projections de vie sur la ZAD…
La perte de sens collectif et d’espaces communs, la légalisation et des dynamiques de luttes frontales moins présentes, amènent le départ de pas mal de nos camarades qui étaient fortement impliqué·e·s dans des démarches collectives. Ielles partent dégoûté·e·s. Ces départs fragilisent nos capacités à nous organiser collectivement, que ce soit entre les personnes ou dans la mise en place d’activités. Mais aussi nous pousse à réfléchir sur notre décision à rester ici.
Devant ces changements et les impératifs qui les accompagnent on se dévoue tou·te·s à des tâches difficiles et chronophages. Et cela pèse maintenant souvent plus lourd que les activités chouettes que l’on fait et que l’on projette. Cette hausse de boulot on la bouffe pour garder prise sur la lutte et nos choix de vie qui y sont liés. Afin d’empêcher la récupération d’une zone que l’État ne voit que comme un territoire à normaliser ou assainir… et rester présent·e·s sur une terre que nous voulons protéger et conserver comme un lieu de contestation.
Aujourd’hui la contestation sur la ZAD s’exprime différemment que dans un rapport de force frontal avec l’État. Nous souhaitons la faire grandir par la création et l’application de pratiques collectives, anticapitalistes et solidaires avec d’autres luttes. Et si on regarde en arrière, c’est aussi beaucoup comme cela que s’est vécu le quotidien de la ZAD ces 10 dernières années.
La ZAD telle qu’on la connaît s’est construite sur l’appel de 2009 à venir occuper contre ce projet imposé. Depuis 2012, les lieux de contestation contre des projets capitalistes ont poussé comme des champignons en France et ailleurs dans le monde avec et sans l’influence de la ZAD de NDDL. Ici on a enfin réussi à virer l’aéroport ! Une victoire pour les luttes, mais la fin de cette ZAD là.
On souhaiterait maintenant mettre notre énergie dans le support et la consolidation de toutes ces luttes. Mais, il faudra aussi réussir à empêcher la normalisation de grignoter toutes les facettes de la vie dans le bocage et survivre à la période trouble qu’on traverse.
Un petit groupe d’occupant·e·s
[Publié le mardi 9 juillet 2019 sur Indymedia-Nantes.]