Communiqué de quelques squatteureuses du quartier Molière suite à l’expulsion du collectif du Dehors ce lundi matin.
Ce lundi 17 avril, un des derniers squats du quartier Molière s’est fait expulser au petit matin. Si l’expulsion s’est déroulée sans résistance, la nuit précédente fut agitée. L’occasion de dire au revoir à un des quartiers les plus riches de Bruxelles.
Depuis le printemps de l’année dernière nous sommes quelques squatteureuses à habiter ce quartier habituellement réservé aux bourgeois, diplomates et eurocrates de Bruxelles. Alors que la crise du logement, la crise de l’accueil et le manque d’espace ravagent la ville, nous avons voulu arracher quelques maisons vides aux beaux quartiers. Car il n’est pas question pour nous de devoir donner de l’argent à des personnes qui en ont déjà beaucoup trop pour pouvoir se loger. Et parce qu’en occupant, nous entendons vivre mieux et non pas habiter ce dont personne ne veut.
Les squats se sont ainsi multipliés parmi les villas, ambassades et commerces de luxe du quartier Molière. D’abord l’ouverture de deux maisons de maitre par le collectif du Dehors, puis l’occupation d’un immeuble à l’abandon par des demandeur.euses d’asile, suivies de l’ouverture d’un lieu queer. Et enfin deux squats successifs sur l’avenue Molière et la rue Jean Chapelier. De tous ces lieux occupés de force, un seul tient encore aujourd’hui. La réponse des autorités, propriétaires et habitant.es du quartier est claire : nos vies ne sont pas les bienvenues ici.
Et pourtant, ailleurs dans Bruxelles, la gentrification avance à grands pas. La bourgeoisie reconstruit la ville à son image et les politiques parlent de « revitalisation », de « mixité sociale ». Les quartiers ciblés sont toujours les mêmes. Là où ça vit, où il faut pacifier à tout prix : les quartiers populaires. Bruxelles est une des rares métropoles où le centre-ville a historiquement toujours été habité par les classes populaires. Si les promoteurs tiennent autant à y « redonner vie » c’est bien pour y installer une vie qui profite au capital et à l’Etat. La tâche est simple : ramener des classes sociales plus élevées pour chasser et atomiser les pauvres en zones de banlieues. Au milieu de ce grand remplacement, plusieurs squats ont tenté d’ouvrir des brèches de résistance, mais force est d’admettre que les processus de gentrification nous dépassent.
Ici dans le quartier Molière, nous avons donc tenté de contrarier la logique et d’entacher un peu ces quartiers où la pauvreté est d’habitude repoussée au plus loin. Cela a permis d’ouvrir plusieurs lieux de refuge, de partage et de lutte, où en tout une soixantaine de personnes se sont logé.es dans un luxe auquel iels n’auraient jamais eu droit. L’hostilité et l’indifférence qui nous ont acceuilli.es ne nous ont pas étonné. Nous avons plutôt été surpris.es par toute cette richesse concentrée entre les mains de quelques-un.es. Étonné.es aussi par la facilité avec laquelle on peut se la réapproprier et faire changer la peur de camp.
Entre rage, tristesse et ricanements, c’est donc ici que nous avons su faire sens de notre présence et imposer un peu de cette vie menaçante. Il y a des tas d’espaces, abandonnés, évidés, barricadés qui pourrissent silencieusement dans les quartiers les plus riches de la ville. Ouvrons-les, envahissons-les et généralisons les occupations.
Pour nous l’aventure se termine malheureusement ici. Mais tant pis, on recommencera, ailleurs, mieux. Etre nulle part, c’est pouvoir être partout, insaisissables.
Ils investissent, nous aussi !
Une expulsion,
Mille occupations !
Des squatteureuses du quartier Molière
[Publié le 19 avril 2023 sur Stuut.]