Cachan (94): histoire d’un squat express

La Garce est un squat qui a ouvert à Cachan, en Ile-de-france, fin avril 2024, dont le propriétaire est la société des Grands Projets (anciennement le Grand Paris) et qui a été expulsé le 8 août 2024. On raconte ici brièvement son histoire, son procès et son expulsion (ça parle notamment d’ouverture depuis la nouvelle loi Kasbarian et de mauvaise foi).

La parcelle est située 19 rue du parc de Cachan à Cachan. Il y a une maison principale et une annexe, entourées par un grand jardin. Pendant 1 mois, on a fait pas mal de travaux, on était visibles et les voisin.es ont cru qu’on était les nouvelleaux locataires. Aucun signe du propriétaire ni de la police pendant presque 1 mois, jusqu’au 27 mai, jour où la police municipale et l’ASVP arrivent devant la maison. On leur file alors des preuves que le lieu est occupé depuis plusieurs semaines. Des vigiles envoyés par les proprios arrivent au cours de la journée avec plusieurs voitures et des chiens. Le soir, ils bloquent notre portail et nous disent qu’on doit partir et que si on sort, on ne pourra plus rerentrer. La nuit tombée, ils sont 8 et plusieurs d’entre eux commencent alors à essayer d’ouvrir le portail à coups de pied de biche et de pince monseigneur dans l’idée de garer leurs voitures dans notre jardin. Ça dure un peu longtemps, ça fait plein de bruit et il est super tard du coup les voisin.es appellent les keufs. La police nationale arrive et leur dit d’arrêter, que la maison est considérée comme notre domicile et donc qu’ils pourraient se prendre violation de domicile s’ils continuent. Ils s’arrêtent alors et le lendemain, ils ne sont plus que deux et repartent dans la journée. Un huissier passe ensuite et délivre une sommation de quitter les lieux sous 48h.

Ensuite, le 13 juin, l’huissier repasse et nous assigne en référé d’heure à heure devant le tribunal de proximité de Villejuif, l’audience est le 26 juin. Le Grand Paris a acheté la maison car celle-ci se trouve sur le tracé de la future ligne 15 du métro. La maison a des fissures importantes et le passage du tunnelier (qui creuse le métro) en dessous risquerait de l’endomager encore plus. Ils utilisent à fond cet argument de danger que représentent les fissures pour faire traiter en urgence le cas de la maison. Cependant, cela fait maintenant plusieurs années que le tunnelier est passé, que la maison tient debout, que les fissures n’ont pas bougé et que les préconisations du bureau d’étude des structures engagé par le propriétaire recommandent d’interdire l’accès à la maison seulement au moment du passage du tunnelier et deux mois après.

Le jour de l’audience, on demande un report pour les AJ (aides juridictionnelles), le report est refusé par la juge qui accepte les AJ à titre provisoire. C’est un peu la panique parce qu’elle décide aussi de ne pas attendre l’avocate pour commencer et ne nous laisse même pas 5 minutes pour rassembler les pièces et nous préparer un peu. C’est alors deux habitant.es (les seul.es sur la procédure) qui se retrouvent à plaider du mieux qu’iels peuvent, les autres étant prié.es de se taire. Notre avocate arrive 2 minutes après la fin de l’audience, et la juge refuse de l’écouter. L’avocat du Grand Paris a plaidé la mauvaise foi en faisant valoir une jurisprudence sur le fait que le simple fait de squatter constitue la mauvaise foi. Il n’avait rien préparé de plus, ses trois autres minutes d’intervention ont juste été remplies par le fait que la maison avait des grosses fissures et que « vous savez même des maisons saines s’écroulent donc les maisons fissurées faut pas prendre le risque d’y habiter ». Bref sa plaidoirie faisait trop tiep. En face, les 2 habitant.es ont des justificatifs qui montrent des difficultés à trouver du travail pour des raisons médicales, pas de revenus et des demandes de logement social. Iels plaident sur l’absence de voie de fait, sur le fait que des vigiles envoyés par le Grand Paris ont essayé pendant 2 heures de rentrer dans la maison, sur le fait que les fissures n’ont pas bougé depuis plusieurs années (photos à l’appui) et qu’elles sont dans tous les cas rebouchées et surveillées par les habitant.es depuis leur entrée dans les lieux, que les pièces fournies par les propriétaires sont des projections et pas la réalité étant donné qu’ils n’ont pas évalué l’état de la maison depuis le passage du tunnelier en 2020 et que sur la parcelle se trouve un 2e bâtiment habitable ne présentant aucun désordre structurel.

Le délibéré est rendu le 16 juillet. On n’obtient aucun délai pour partir, la juge a retenu la mauvaise foi, ce qui supprime les 2 mois de délais réglementaires pour quitter les lieux. Elle considère qu’elle n’empiète pas tant sur notre droit au logement car la maison n’est habitée que depuis 2 mois et que le propriétaire a besoin de récupérer son bien au plus vite pour mener à bien son « projet d’utilité publique » : une friche lol. Légalement, elle ne peut pas nous retirer la trêve hivernale à partir de fin octobre, qui nous est donc accordée. L’huissier arrive le 24 juillet signifier la décision et en profite pour remettre le commandement de quitter les lieux sous 48h. La Garce est donc expulsable. On fait appel, et on tente de faire un recours au premier président de la cour d’appel pour essayer de rendre l’appel suspensif – pour que le squat ne soit pas expulsé avant la date d’audience de l’appel – mais on n’a pas pu obtenir de date d’audience avant l’expulsion. On a aussi fait un recours au JEX (juge de l’exécution) pour tenter d’obtenir des délais, dont l’audience va être le 27 septembre.

Le 6 août, en fin de matinée, 3 mecs de la BAC sautent le muret et se retrouvent dans notre jardin. Ils nous disent qu’ils ont la réquisition de la force publique et que l’expulsion sera dans les prochains jours. Ils nous demandent un numéro de téléphone pour nous prévenir quand ce sera le moment et repartent après ce petit coup de pression.

Le 8 août en début d’après-midi, vers 14 ou 15h, des ouvriers arrivent et rapidement la police aussi (ils sont une quinzaine dont les bacqueux passés 2 jours avant) + une huissière et un représentant du proprio. C’est un peu la panique, on est que 4 personnes à l’intérieur à ce moment-là. On remet la barricade et on ferme les volets le plus vite possible. On fait nos affaires pendant que les keufs essaient de rentrer, ce qui dure une dizaine de minutes, et on se regroupe dans une chambre à l’étage. Pour rentrer, ne parvenant pas à forcer la porte barricadée, iels ont meulé un volet et pété une fenêtre. Iels nous crient de descendre en nous menaçant avec un taser. Quand iels arrivent en haut, iels nous font descendre sans nous laisser prendre nos sacs et nous regroupent dans le salon. Là, iels demandent les pièces d’identité, et les cherchent dans nos affaires quand on leur dit qu’elles ne sont pas ici. Iels commencent à s’énerver quand iels se rendent compte que les noms qui leur ont été donnés au début sont faux parce qu’iels trouvent les papiers d’une des personnes. Iels menacent de ne pas laisser récupérer les affaires si les vraies identités ne leur sont pas données mais rapidement une keuf dit à un autre qu’iels vont nous laisser 5 min chacun.e pour faire nos affaires et partir. Donc iels nous font monter un.e par un.e pour chercher nos pièces d’identité dans le bordel qu’iels ont fait. Tout le contenu de nos sacs a été retourné par terre et fouillé, iels ont regroupé les trucs d’extrême-gauche (livres, brochures, accessoires de manif), les carnets et agendas persos, et les ordinateurs et téléphones. La première personne a été enfermée dans une autre chambre pendant une heure, le temps que les 3 autres montent faire leurs affaires, parce qu’elle ne voulait pas balancer les autres. Iels trouvent les papiers de la 2e personne mais ne l’ont pas laissée repartir avec son téléphone et son ordinateur car elle n’a pas voulu balancer non plus. Iels trouvent aussi l’identité de la 3e personne mais pas de la dernière, qui est alors prise en photo et retrouvée par reconnaissance faciale, la photo a matché aves des photos dans le TAJ (photos prises en garde-à-vue). Au final, iels laissent tout le monde repartir avec tout le contenu des sacs et les téléphones et ordinateurs. Iels ont aussi pris en photo des affiches militantes et des pages dans un carnet. Juste après, deux ouvriers mettent en place des nouvelles portes anti-squat et des alarmes et un vigile et un chien gardent la maison. La police municipale est repassée depuis pour fouiller la maison.

Malgré la procédure accélérée, les refus de reports et de délais, on a réussi à ouvrir en Ile-de-France et à avoir une procédure alors que la loi Kasbarian est passée, on a l’impression que ça fait longtemps que ce n’est pas arrivé alors on tenait à le souligner.

Squats partout et à bientôt pour de nouvelles aventures.

[Publié le 22 août 2024 sur Paris-Luttes.info.]