Istanbul: Solidarité avec l’occupation de l’usine Kazova

Une Usine occupée à Istanbul

Les employés de l’usine de textile Kazova avaient l’habitude de recevoir leur paye avec quelques mois de retard. Mais fin janvier 2013, c’est avec quatre mois de salaires non payés qu’ils se retrouvent tous licenciés du jour au lendemain. C’est pour eux le début d’une longue lutte qui va amener une douzaine d’entre eux à occuper l’usine, à reprendre la production, et à envisager un autre fonctionnement du travail, sans hiérarchie.

Du licenciement à la reprise de la production dans l’usine occupée

Au début de l’année 2013, les 94 employés de l’usine Kazova (vêtements en coton tricoté) apprennent que l’usine va être vendue. Ils n’ont pas encore reçu leurs quatre derniers mois de salaire. Le 31 janvier, leur patron, Mr. Ümit Somuncu, leur donne une semaine de congés, en promettant de résoudre la situation et de les payer. Lors de leur retour à l’usine, ce sont les avocats de Mr Somuncu qui les accueillent avec une lettre de licenciement.

Avec le soutien des avocats de l’Association des Avocats Contemporains (Çağdaş Hukukçular Derneği) et des membres du Mouvement des Travailleurs Révolutionnaires (Devrimci İşçi Hareketi), les anciens ouvriers de Kazova portent l’affaire au tribunal. La procédure est en cours.

Pendant les mois suivants, ils organisent plusieurs manifestations et conférences de presse, à raison de trois par semaine: une vers la place Taksim, au centre d’Istanbul, une dans le quartier Şişli Bomonti où se trouve l’usine, et une devant la maison de leur ancien patron.

A la fin du mois d’avril, devant le constat que des camions viennent à l’usine la nuit pour emmener des machines, une douzaine d’entre eux décident de réagir en donnant une nouvelle forme à leur résistance: ils installent un campement devant l’usine où ils resteront pendant deux mois, jusqu’au 29 juin.

Depuis ce jour là c’est l’usine elle-même qu’ils occupent.

Dès le premier jour de l’occupation, Mr Somuncu tente de négocier avec ses anciens employés en leur promettant de les payer après 50 jours s’ils quittent l’usine. Celui-ci ne s’était pas du tout manifesté pendant les cinq premiers mois de lutte. Les occupants ne le croient pas et refusent de quitter l’usine avant d’obtenir leur paye et la reconnaissance de leurs droits.

Pendant l’été les occupants continuent à s’organiser. Ils trouvent dans l’usine un stock de vêtements dont la fabrication a été interrompue. Ils terminent cette production, la vendent, utilisent l’argent pour réparer des vieilles machines qui se trouvent dans l’usine, pour pouvoir reprendre la production début septembre. Le samedi 28 septembre ils organisent un défilé de mode, pour faire connaître leurs produits et leur lutte au public. Beaucoup de monde vient les soutenir et ils vendent presque tout leur stock.

L’après « Occupy Gezi » et la solidarité avec Kazova

L’ambiance générale de résistance et de solidarité dans laquelle est plongée une partie de la Turquie citadine depuis juin a permis aux travailleurs de Kazova de se sentir plus soutenus dans leur lutte. Si ce contexte les a aidés à décider d’occuper l’usine, la solidarité a été aussi concrète à plusieurs reprises.

Pour mémoire, le parc Gezi, au cœur d’Istanbul, a été le théâtre d’un important soulèvement populaire en juin, contre un projet d’urbanisme qui menaçait le parc. Le parc a été occupé pendant deux semaines, jusqu’à une opération policière particulièrement violente le 15 juin. Par la suite, si le mouvement de résistance est devenu plus discret, il est encore présent dans l’esprit de beaucoup de Turcs et a trouvé d’autres formes d’existence. Après l’expulsion du parc Gezi, des forums, ou assemblées populaires, sont organisés dans les parcs. Ces forums sont moins fréquentés qu’au début mais leur existence est maintenue par ceux qui y voient un modèle de fonctionnement pour une organisation sociale future.

Les forums ont aujourd’hui un rôle dans l’organisation de la résistance au niveau de diverses luttes locales. Les occupants de Kazova y ont trouvé du soutien et de l’aide pour réparer des vieilles machines, vendre leurs premières productions, organiser des rassemblements ponctuels à l’usine lorsqu’une difficulté particulière se présente…

Si les occupants de Kazova ne sont qu’une douzaine, beaucoup plus nombreux sont ceux qui sont prêts a venir les soutenir en cas de besoin.

Envisager l’avenir: la coopérative

La lutte est loin d’être finie. Le bâtiment de l’usine est vendu à une autre entreprise, et son nouveau propriétaire est susceptible de venir réclamer son bien. La propriété des machines n’est pas claire car l’entreprise était endettée. La procédure judiciaire est toujours en cours pour les anciens employés de Kazova qui réclament leurs droits. Les occupants de l’usine espèrent obtenir la propriété des machines en contrepartie des salaires impayés. Le tribunal en décidera.

Une fois par semaine les occupants de l’usine tiennent une assemblée dans l’ancien bureau du patron pour décider de la marche à suivre. Sont présents aussi des avocats de l’Association des Avocats Contemporains et des membres du Mouvement des Travailleurs Révolutionnaires.

Ensemble ils cherchent des solutions pour pouvoir pérenniser dans un autre local une nouvelle organisation du travail sans hiérarchie. Ils souhaitent mettre en place une coopérative autogérée dans laquelle chacun ne travaillerait pas plus de 6h par jour et serait rémunéré de façon équitable.

Une partie des bénéfices de la coopérative serait destinée à être utilisée pour soutenir d’autres luttes…