Une baraque laissée à l’abandon par l’armée a été investie pour y faire un lieu de vie, de mise en place de projets culturels et politiques en rupture avec les circuits commerciaux et institutionnels.
Ça faisait un bail que ça trottait dans nos p’tites têtes… Vient d’abord le désir, pour quelques-un(e)s de se trouver un endroit adéquat pour vivre collectivement. Partant du constat que certains jouissent d’espaces plus que suffisants à la survie de leur vieille peau, que de nombreux endroits, appartenant souvent aux mêmes, sont inoccupés depuis de longues années, tout ce petit monde se décide de se mettre en quête de l’endroit idéal. L’objet de la quête doit répondre au désir de créer un espace de rencontre où pourraient voir le jour des projets d’ordre culturels et politiques et permettre à toutes celles et tous ceux qui oeuvrent en des domaines divers de se rencontrer, dès l’instant qu’ils sont rassemblés par la conviction que la société dans laquelle nous vivons est décidément trop pourrie pour que nous continuions à laisser se faire les choses ou se contenter de discours. Un an à discuter et à parler du projet à qui veut l’entendre. Un an à rêver debout, ça suffit. C’est parti.
Ronde de nuit
Un petit tour dans les coins déjà visités l’an dernier nous amène à la belle aubaine, nous accueillant de ses portes grandes ouvertes, comme par miracle. Aucune formule n’est nécessaire, pas même un pied de biche. Nous pénétrons allègrement en ce lieu décidément hospitalier, malgré quelques déprédations commises par le propriétaire. Une vieille habitude. On laisse pourrir une baraque abandonnée, on saccage les évacuations d’eau, quelques fils électriques pour rendre la tâche plus délicate à d’éventuels squatteurs ! Mais c’était sans compter sur notre détermination.
Nous n’en jouirons pas en « bon père de famille » Le joyau avait du plomb dans l’aile mais l’espace était là. De quoi nous trouver une petite place pour dormir, pour manger, accueillir nos potes. En se serrant un peu, on peut voir un peu plus loin. Le lieu de rencontre, d’activités diverses, pourrait se tenir là. Une première expérience avec un Sound System nous a amené des têtes connues, d’autres qui l’étaient moins. On en profite pour les mettre au jus en attendant de voir. Venez à nous les petits amis pour voir ce qu’on pourrait faire ensemble en nous tenant éloignés des gueules baveuses et puantes des prédateurs de toutes sortes, des opportunistes de tout poil. Eh oui, nous ne garderons pas la grosse caillasse pour nous seuls, à condition bien sûr qu’on nous file le coup de patte nécessaire à la restauration de son écrin.
Les choses se gâtent
Entrés dans la chose grande ouverte, accueillis favorablement par le voisinage que nous avons convié à boire le pot de l’amitié, notre installation n’a tout d’abord été perturbée par aucun pandore ou autre huissier. Nous entreprenons donc d’avertir ses messieurs de la Grande Muette qui restent cois durant une semaine encore. Et puis, ils se réveillent. La maréchaussée se radine, courtoise mais quand même. Plus rien de nouveau. Pris par surprise, on nous coupe le jus. Le nucléaire et la bougie, rien ne va plus mais les jeux ne sont pas encore faits. Une petite visite à EDF est entreprise pour une demande d’explication aux responsables de ce grand monopole d’État, service public à son heure. Les grands muets avaient parlé et ordonné la suspension des prestations électriques, se croyant dans leur bon droit, les bougres. Bougre aussi le responsable EDF qui se demandait s’il avait fait les choses dans le bon ordre du droit. Il était moins dubitatif, pourtant, quand il décidait d’obéir la veille à l’usurpation kaki. On lui promet donc une entrevue plus tard dans la journée, histoire de le laisser se dépatouiller de l’embrouille dont il était lui-même responsable. Las ! Les casqués-bottés flanqués d’un moustachu d’officier de police barraient l’accès à l’agence clientèle du monopole susnommé. La traîtrise était patente, appuyée par une mystérieuse décision préfectorale venant à la rescousse du veule responsable. Sécurité publique, telle est la raison invoquée. Serions-nous de dangereux terroristes ? Nous n’en savons encore rien. Toujours est-il que nous sommes foutrement embêtés avec nos bougies qui ne cessent de dégouliner sur nos dôilles (1) bleuies par un froid toujours plus incisif. Les vautours se pointent à l’horizon pour nous distribuer le même jour quatre assignations à comparaître au tribunal des référés. On avance. Nous avons la joie d’apprendre que nous sommes entrés par effraction dans la cahute que nous occupons, le 11 août 2001. Les Kakis sont décidément à la hauteur de leur réputation. Chauffés comme ils sont, ils n’ont pas froid aux yeux. L’engeance inutile se croit et se donne tous les droits. Propriétaire défenseur de tous les propriétaires, on ne pouvait s’attendre à moins. Ca va cartonner ! Et puis viens le jour du référé. Nous sommes une petite vingtaine sur les marches du Palais de Justice, bloqués encore par un cordon de pandores. Quelques minutes d’attente pour apprendre le report de l’audience d’une semaine exactement. Nous sommes bien conscients de ce qui nous attend. De toute façon, notre préoccupation n’était pas de s’accrocher à ce lieu, encore moins de négocier quoi que ce soit pour le faire reconnaître des autorités et a fortiori de le faire légaliser. Le but de l’opération est avant tout de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière capitaliste sans se préoccuper des réactions de ses chiens de garde, civils ou militaires. Nous ne cherchons de reconnaissance qu’auprès de celles et ceux qui comprendront la nécessité de construire des îlots de résistance au capitalisme et aux institutions qui le défendent. Néanmoins, nous ne nous laisserons pas faire et continuerons d’appeler à faire vivre ce lieu dans la plus grande autonomie, avec les moyens du bord s’il le faut. L’appel constitué par l’ouverture est donc permanent, ici ou ailleurs, nous devons nous inviter dans les lieux laissés à l’abandon par leurs propriétaires institutionnels ou privés. Nous mettrons en avant le droit d’usage contre celui de la propriété, nous continuerons ainsi de dénoncer le droit bourgeois qui, en protégeant le droit des uns remet en cause les droits vitaux de la majorité des autres.
Les Sans Titres de la Grosse Caillasse, le 18 novembre 2001
(1). Doigt, de pied ou de main, en patois ardennais.