Octobre 2021, l’immeuble 1 place Sadi Carnot, alors occupé par une quarantaine de personnes: des mineurs non-accompagnés, des familles et simplement des personnes sans toit, est expulsé. La justice française et sa police n’hésitent plus à mettre à la rue des enfants en bas-âge, des jeunes scolarisés et simplement des personnes qui tentent de survivre et se débrouiller sans possibilité de légalisation de leur situation, et ce juste avant le début de la trêve hivernale. Au passage, toutes leurs affaires ont été jetées dans l’heure, certain.e.s ont perdu leurs documents.
En Novembre 2021, les habitant.e.s s’organisent entre elleux et occupent un nouveau bâtiment quelques mètres plus loin, toujours sur la rue de la République.
Rappelons un peu le contexte. Plus de la moitié de la rue de la République est cédée en 2004, sous le régime de J-C Gaudin, à une société immobilière domiciliée à Paris, appelée « SCI MARSEILLE CITY », et appartenant elle-même à une « société de gestion portefeuille » nommée PRIMONIAL REIM qui se targue sur son site internet de «gérer et valoriser sur le long terme pour le compte de ses clients investisseurs, un parc immobilier représentant plus de 21 Mds € d’encours sous gestion et réparti sur 7 pays européens».
L’objectif est de réaliser ce que l’ancien maire appellera «une requalification de la rue de la République». Il s’agit en réalité d’éliminer ce qui fait alors de la rue une rue vivante, populaire et solidaire; sa population, ses activités et ses commerces, pour remplacer tout ça par des commerces de luxe et des logements chics et chers.
Presque 20 ans plus tard, cette rue est vide. Personne ne se précipite pour acheter dans les nouveaux commerces qui n’intéressent pas, entre autres parce que la nouvelle clientèle n’est jamais arrivée. Selon un rapport de «Centre Ville pour tous» datant de 2016 :
«Sur 208 immeubles et 3947 locaux à usage d’habitation actuels, un quart des immeubles est à l’abandon ou en travaux. Sur les lots d’habitation rénovés, un tiers du parc privé n’est pas loué. Concernant les 205 locaux d’activité en rez-de-chaussée, deux tiers sont à l’abandon. Seul le parc de près de 500 logements sociaux est entièrement rénové et habité.»
Le bâtiment rue de la République occupé depuis novembre par les familles expulsées du 1 Sadi Carnot appartient justement à un de ces fameux bailleurs sociaux : UNICIL, filiale du groupe ACTION LOGEMENT, entreprise prestataire de services sociaux et immobiliers pour les collectivités territoriales dans toute la France. Sur son site internet, à l’onglet « notre raison d’être », UNICIL dit vouloir intervenir «dans la lutte contre l’habitat indigne, la gestion de copropriétés dégradées et le centre de villes moyennes à redynamiser, en apportant des réponses concrètes aux enjeux sociétaux des collectivités locales, avec lesquelles nous dialoguons sans cesse, travaillant avec elles de manière étroite et concertée».
On se demande alors pourquoi le bâtiment était fermé par une porte antisquat, verrouillant un chantier laissé en suspens qui a laissé l’immeuble dans un état habitable mais nécessitant les travaux gratuits d’artisans solidaires des familles nouvellement habitantes.
La réponse se trouve peut-être dans le fait que la moitié du Conseil d’Administration d’UNICIL se trouve être membre du Medef, syndicat patronal bien connu pour son goût du profit et de la spéculation. N’y aurait-il pas comme une odeur de socialwashing au bénéfice d’entreprises locales ?
On se demande aussi si les appartements de ce bâtiment faisaient partie des «près de 500 logements sociaux rénovés et habités» cités en 2016 par Centre Ville pour Tous. Si c’est le cas, on peut légitimement s’inquiéter pour le reste des logements sociaux de la rue de la République. Sont-ils tous devenus, à l’instar du bâtiment avant qu’il ne soit occupé par les familles de Sadi Carnot, des chantiers abandonnés, vides et empoussiérés ?
Au 1 Sadi Carnot, une rumeur qu’on a tendance à croire laissait entendre que l’immeuble fait l’objet d’un projet d’hôtel de luxe, à deux pas des marches qui mènent au panier. Pour qui ? Pour quand ? On vous laisse imaginer la réponse.
En réalité, les investisseurs se fichent bien de laisser leurs bâtiments vides ou d’en faire des projets qui ne répondent en rien à une crise du logement qui concerne une grande partie de la population à Marseille.
Pour ne pas gâcher leur spéculation, ils préfèrent s’assurer qu’ils restent vides en détruisant les appartements à l’intérieur des immeubles, en plaçant des vigiles qui passent leur nuit à faire des allers-retours rue de la République et en dépensant de l’argent dans des dispositifs aberrants comme les portes antisquat.
Leurs profits ne viendront enrichir ni Marseille, ni sa population. Leur gestion n’apportera pas de solution aux problèmes d’insalubrité des bâtiments marseillais, des personnes sans domicile, des loyers qui ne cessent d’augmenter.
Nous ne laisserons pas Marseille être accaparée par des grands investisseurs qui n’en n’ont que faire des gens qui vivent dans cette ville ! Nous continuerons à demander à la mairie de prendre ses responsabilités. Et notamment de laisser ses propriétés vides à ceux et celles qui n’ont pas de toit. En attendant d’avoir le courage de réquisitionner les bâtiments vides laissés aux spéculations d’investisseurs privés. Et nous continuerons aussi à considérer que le droit d’usage de personnes dans le besoin est bien plus sensé que la propriété privée cultivant le vide absurde et criminel du capitalisme. Nous nous donnerons les moyens de reprendre les espaces qu’ils cherchent à spolier pour y créer une solidarité combative.
Des Occupations plutôt que de la Spéculation !
Des logements dignes pour tous.tes et mort au capitalisme !
Des frontières aux métropoles, solidarité avec les exilé.e.s !
Collectif El Manba / Soutien migrant.e.s 13
[Publié le 22 janvier 2022 sur MIA.]