« L’aménagement du territoire est une idéologie qui voudrait voir les espaces comme des surfaces homogènes, où toute friction serait lissée voir supprimée, le territoire autant que les résistances, les corps autant que les mémoires. »
Jean-Baptiste Vidalou, Être forêts. Habiter des territoires en lutte
Vendredi 8 juillet, les cabanes de l’Ilot U sont tombées sous le poids des tractopelles et de la bêtise capitaliste et politicienne.
Ces cabanes construites avec des matériaux de récup, des dons, de la solidarité et de l’entraide ont été complètement rasées, mais pas avec elles nos amitiés, ni notre colère ! Bien au contraire ! Notre détermination et nos aspirations politiques sont plus fortes encore et contre elles aucune machine ne peut rien ! Rien contre les liens créés avec tous les collectifs qui ont pu profiter de cet espace et/ou le soutenir, rien contre le souvenir d’un coin de vie où nous étions si bien et qui faisait sens.
Nous avons perdu du matériel (outils de chantier, tonne à eau, cafetière, cagoule et autres précieux) et la vie des cabanes qui nous abritait, qui abritaient des oiseaux et nos yeux rêveurs, plein de joies et de plaisirs, dans cet espace hors du temps, qui accueillait de nombreuses rencontres et découvertes.
Depuis le lundi 16 mai, l’Ilot U était occupé jour et nuit, avec plus ou moins de régularité. Des événements s’y tenaient toutes les semaines, et chaque journée avait ses petites surprises de passage : des curieux.ses, des courtois.es, des déters, des musien.ne.s, des flaneureuses.
On y tenait nos AG ouvertes tous les mardis, rendez-vous fixes qui permettaient de mieux comprendre les enjeux d’organisation pour la lutte et ainsi d’y prendre part.
Nous y tenions des buvettes (presque) tous les mercredis, et ces derniers temps, des chantiers tous les jours pour finir les cabanes en terre paille, en palette et autres qui avaient pour but, outre d’acter dans la pratique nos ambitions politiques et de nous former collectivement à différents savoirs et techniques, de rendre l’accès et la vie quotidienne sur place plus accessible, plus agréable et plus appropriable pour les nouvelles et nouveaux venu.e.s. Un fascicule d’accueil pour expliquer le fonctionnement présent et un plan en cas d’expulsion allaient bientôt pouvoir circuler et ouvrir publiquement le camping gratuit et auto-géré. Une douche et un abri à vélo, entre autre, étaient nos prochains chantiers.
Mais depuis plusieurs semaines, la pression se faisait de plus en plus prégnante sur le lieu : visites de la police nationale, prises de photos, passage d’employés d’une prétendue entreprise de nettoyage, chantier d’installation de la grande nomade sur le premier terrain de l’Ilot U… La veille de la destruction des maisons, nouvelle visite de la police municipale avec cette fois contrôle d’identité et menace d’amende en cas de nouveau contrôle sur le lieu.
Préfecture et mairie auront bien attendu le passage des élections législatives et le manque de monde à Rennes en cette période estivale, profitant de la conjoncture pour écraser les initiatives autonomes et indépendantes de leur emprise. Car ils savent bien que le pouvoir offert par un espace occupé représente un réel enjeu de déstabilisation du système, de perturbation dangereuse pour le cours des choses, de déploiement de nos capacités d’organisation et d’émancipation, mais aussi de visibilité de l’inutilité et de la nocivité des pouvoirs en place au service du capital, par nature écocidaire, par nécessité raciste et patriarcal.
Ces élus et détenteurs de capital iniques et mégalos, marquant par là leur domination impérialiste, appellent construction ce que nous appelons guerre. Il n’y a qu’à voir la dévastation programmatique des espaces naturels ou agricoles et la situation si critique à laquelle ils restent totalement aveugles, dans un élan d’irresponsabilité chronique, d’un mépris purement criminel au regard de l’urgence climatique dont ils refusent obstinément de prendre la mesure. Ils préfèrent bétonner encore et encore des montagnes périssables et non résilientes. Il en est ainsi à la Prévalaye, où la mairie vient de voter l’extension du stade Rennais. Il en est ainsi à Via Silva où un arrangement public-privé permet à l’entreprise d’aménagement Territoires de prendre l’argent public avec le consentement des élu·es et de le détourner vers les intérêts du secteur privé de la construction et du béton. Ainsi encore de l’Îlot U dont ils ne savent pas bien quoi faire, sinon le proposer en bail précaire à l’Élabo, qui ne peut accepter une proposition si dérisoire et malhonnête. L’affaire est d’autant plus cocasse que la mairie cède à Territoires le terrain de l’Îlot U en janvier 2023, date à laquelle ils leurs proposaient d’emménager à la place des artistes qui sont déjà en bail précaire dans la maison Tournebride.
Tout cela au mépris et à la vue de centaines de personnes sans papiers, dont des enfants, à la rue depuis plusieurs années à Rennes, les laissant sans réponse malgré les quantités indécentes de logements vides.
Ainsi, tous nos efforts pour ce lieu, en une matinée, rayés de la surface de la terre, comme si nos mémoires devaient oublier nos rêves après le réveil.
Mais c’est raté ! On n’oubliera pas ! Les cultures et la végétation, rescapées de leurs pelleteuses ignares, poursuivent nos envies de soin à la terre et à l’atmosphère.
C’est pourquoi la sale besogne de destruction de notre espace de liberté ne saurait nous faire taire ni nous décourager à créer de semblables espaces en dehors de leur logique infernale d’aseptisation des lieux de vie, de destruction du vivant, de mépris démocratique au service de la croissance économique !
Ils nous confirment au contraire la nécessité toujours plus grande de lutter pour un monde où nous réaliserons encore librement nos constructions autonomes, où nous prendrons de réelles décisions locales sur nos vies et en assemblées populaires. Ils rappellent la nécessité de créer des lieux où nous pourrons poursuivre nos expérimentations sociales et dégager une nouvelle culture collective, ouverte et radicale, née de la lutte.
L’Ilot U n’est pas mort ! Il reviendra !
[Publié le 15 juillet 2022 sur Expansive.]