Le 9 juillet 2021 à Carahue (Chili), Pablo Marchant Gutiérrez était assassiné lors d’une attaque contre des véhicules de l’entreprise Forestal Mininco, filiale du géant de la cellulose CMPC. L’ex-étudiant en anthropologie de 29 ans, qui avait ensuite rejoint la lutte mapuche à travers la CAM (Coordinadora Arauco Malleco), était en train de participer à l’incendie d’un minibus, d’un skidder et d’un camion-citerne vers 17h sur le domaine de Santa Ana-Tres Palos, lorsqu’il a reçu une balle en pleine tête tirée à courte distance par des carabiniers chargés de protéger les intérêts des exploitants forestiers. Suite à cet assassinat policier, c’est alors toute la zone mapuche qui s’était enflammée pendant de longues semaines.
Aujourd’hui, un an après la mort de Pablo Marchant, comment pense-t-on que des camarades tombés au cours de la lutte puissent être commémorés ? En organisant des marches blanches où l’on s’assoit dignement par terre dans un silence de granit ? En organisant des manifestations unitaires pour faire flotter ses grands drapeaux au vent entre deux conférences, tout en se gardant bien que rien ne puisse déborder, au nom de la « dignité » et de la « mémoire », bien entendu ? Ou alors en multipliant les attaques en ordre dispersé afin de poursuivre la lutte, continuant ainsi de faire vivre leurs idées en son sein ? C’est en tout cas ce qu’ont par exemple choisi les groupes décentralisés de la CAM, nommés Organes de résistance territoriale (ORT[*]), mais aussi d’autres groupes de lutte mapuche et des anonymes, avec une multiplication des intérêts forestiers détruits autour de cette date anniversaire dans différentes zones de la région.
Petit aperçu chronologique de ces attaques récentes en territoire mapuche (régions de La Araucanía, Los Ríos et Bío Bío) …
Région de Bío Bío
Samedi 2 juillet vers 21h dans la commune de Cañete, un petit groupe marche dans la nuit (c’est l’hiver au Chili) et se dirige tout droit vers son objectif : quatre chalets en bois situés près du lac Lanalhue, dans le secteur de La Vaina. Ils y mettent le feu avant de disparaître, ne laissant derrière eux que des cendres. Ces quatre chalets de vacances ne sont pas n’importe lesquels, puisque leur propriétaire n’est rien d’autre que Carlos Sanhueza, ancien préfet de la police criminelle (PDI) à la retraite, et recyclé dans le privé comme responsable à la sécurité de plusieurs entreprises forestières de la région. Sur place, les flics trouveront une banderole, sur laquelle était écrit : « Riches et forestiers dégagez du territoire mapuche« , demandant notamment la liberté pour tous les prisonniers mapuche.
Région de La Araucanía
La nuit de dimanche à lundi 3 juillet dans la commune de Carahue sur les domaines de La Liebre et San Guillermo, 4 camions, 8 machines et 3 préfabriqués sont incendiés. Ils étaient exploités pour le compte de l’entreprise Forestal Mininco, et ce sont près de 30 individus en armes qui ont participé à cette attaque, selon la presse. Revendiqué par l’ORT Pablo Marchant (CAM), qui a dû affronter les forces spéciales qui gardaient le site.
Région de La Araucanía
Mercredi 6 juillet dans la matinée sur la route de Traiguén à Lumaco, sur le domaine El Coigüe d’une entreprise forestière, 1 entrepôt et 3 véhicules appartenant à l’homme d’affaires et latifundiste Cortessi sont incendiés. Selon la presse, l’entrepôt arrosé d’essence n’est pas parti en fumée suite à l’échange de coups de feu entre les cinq assaillants et le proprio, qui n’a toutefois pas pu sauver ses caisses. Revendiqué par l’ORT Mangil Wenu (CAM).
Région de La Araucanía
Mercredi 6 juillet dans la matinée à 10 kilomètres de la commune de Collipulli, sur le domaine La Granja, 5 camions d’une entreprise forestière sont incendiés après en avoir fait descendre les chauffeurs. Selon la presse, la dizaine d’individus en armes à réussi à fuir malgré les barrages de carabiniers installés très vite dans les environs, qui ont d’abord été accueillis sur place par des tirs d’armes à feu.
Région de Los Ríos
La nuit du jeudi 7 juillet dans la commune de Máfil, sur le domaine Santa Loreto d’une entreprise forestière, 2 camions, 6 machines, 2 préfabriqués et 1 camionnette sont incendiés. Revendiqué par l’ORT Kallfulikan (CAM).
Région de La Araucanía
Vendredi 8 juillet au petit matin sur la route de Traiguén à Lumaco, à la hauteur du domaine San Alonso de l’entreprise Forestal Mininco, le conducteur d’un camion porte-engin forestier est stoppé par un groupe de cinq personnes en armes, qui l’obligent à en descendre, avant d’incendier entièrement le camion. Revendiqué par l’ORT Pelontraru (CAM).
Région de La Araucanía
Vendredi 8 juillet au petit matin dans la commune de Chol Chol-Galvarino, sur le domaine forestier de l’entreprise Forestal Mininco, 4 camions, 2 machines et 1 camionnette sont incendiés. Revendiqué par l’ORT Txenka Marimán (CAM).
Région de Bío Bío
La nuit de vendredi 8 juillet vers 2h30 du matin dans la ville de Concepción, 2 voitures de luxe sont incendiées chez un concessionnaire automobile situé Avenida Prat. Sur place, les flics trouveront une banderole, sur laquelle était écrit : « Nous venons de la nuit et c’est vers elle que nous allons. Pablo Toño Marchant est présent, Justice !!« .
Région de Los Ríos
La nuit du mardi 12 juillet vers 3h du matin dans la commune de La Unión, sur le domaine Peleco de l’entreprise forestière Forestal Anchile, 8 camions sont incendiés. Selon la presse, une quinzaine de personnes en armes a déboulé en tirant en l’air, avant d’asperger d’essence les huit camions forestiers. Revendiqué par la WAM (Weichan Auka Mapu) en solidarité avec les prisonniers mapuche.
Région de Bío Bío
La nuit du mardi 12 juillet vers 22h40 du matin sur la commune de Arauco, dans le secteur de Las Peñas où se trouve un parc éolien, une groupe d’une dizaine de personnes en armes s’en est pris aux vigiles de ces structures énergétiques, d’abord en les désarmant, puis en les expulsant de leur maison, avant d’y mettre le feu en même temps que deux hangars techniques de maintenance des éoliennes. Un peu plus tard, vers 2h du matin dans le secteur de Coihueco, les inconnus ont rasé au sol les deux chalets de l’ancien maire de Contulmo, Mauricio Lebrecht, en y boutant le feu. Inutile de dire que la presse chilienne a fait grand bruit de cette attaque « contre le parc éolien », d’autant plus qu’une banderole laissée sur place faisait allusion à la libération des prisonniers mapuche…
Région de Bío Bío
Mercredi 13 juillet dans la matinée sur la commune de Arauco, le long de la route de la Reserva Raqui, une groupe d’une dizaine de personnes en armes s’en est pris à plusieurs intérêts forestiers à cinq endroits différents lors d’attaques sur la même route P40.
Au long de leur pérégrination, ils ont incendié 5 camions, un skidder, une grue, une jeep, une camionnette, un débardeur et un container servant de cantine. Puis un peu plus tard, dans le secteur de Los Huapes, le groupe a intercepté une camionnette transportant des travailleurs forestiers, les a fait descendre, puis y a mis le feu.
Région de Los Ríos
La nuit de dimanche 17 juillet se sont produites deux attaques, la première à Máfil et la seconde à Lanco.
Sur la commune de Máfil vers 3h30, c’est l’entreprise de granulats de bois Áridos del Sur sur le domaine Santa Elena qui a commencé à payer cher. Là, une vingtaine de personnes ont cramé 22 engins de chantier : 3 pelleteuses, 13 camions et 3 camionnettes. Une banderole de l’ORT Williche Kalfulikan (CAM) a été retrouvée sur place, qui disait notamment « Entreprises forestières, de granulats et latifundistes, dégagez du Wallmapu. Toñito [Pablo Marchant] vit à travers la lutte.«
La seconde attaque s’est produite dans la commune de Lanco vers 5h45, sur le domaine San Antonio de l’entreprise Forestal Arauco, une dizaine de personnes armées ont neutralisé les vigiles du site, puis ont incendié 1 pelleteuse, 1 camionnette et 1 container (servant de cantine).
Note de la traduction:
[*] Dans un communiqué du 8 juillet revendiquant plusieurs attaques de ses ORT, la Coordinadora Arauco Malleco (CAM) a tenu à préciser que « l’extractivisme et la militarisation dans le Wallmapu ne changeront pas sous le gouvernement de la pseudo-gauche de Gabriel Boric, ni avec une nouvelle Constitution… Nous appelons à renforcer des Organes de Résistance Territoriale – ORT et autres expressions de résistance dans l’optique du weychan [la lutte], sans céder aux miettes offertes par la nouvelle institutionnalité folklorique de l’indigénisme multiculturel, qui est également promu par les grandes entreprises forestières et d’autres pour intégrer certaines parties de notre population... Bien que nous ayons vécu les conséquences du colonialisme et du système capitaliste sur notre territoire, sa dynamique est continentale et mondiale, ce qui nous unit dans la résistance avec d’autres expressions révolutionnaires en dehors du Wallmapu historique. »
[Synthèse de la presse chilienne publiée le 19 juillet 2022 sur Sans Nom.]