Texte publié le 14 février 2007 sur Indymedia-Grenoble:
Une exploitation immonde de la misère !
« Sans-abri : les Don Quichotte se déguisent avec la soutane de l’Abbé Pierre »
D’après un sondage commandé début décembre par l’association Emmaüs, près d’un Français sur deux craint de devenir un jour sans domicile.
Loin de la paranoïa ou du fantasme collectif, ce sentiment aigü de fragilité face à l’existence n’a rien d’étonnant et trouve même son entière légitimité dans un monde capitaliste parvenu aujourd’hui au stade suprême où plus aucune de ses promesses n’a de sens hormis celle de la pauvreté pour tous. Chômage, travail et revenus précaires, accès d’autant plus improbable au logement et aux soins ; l’avenir est devenu pour bon nombres de travailleurs un gigantesque point d’interrogation.
Avec ou sans travail, jeunes ou vieux, de plus en plus d’ouvriers vivent avec la peur au ventre, la menace sourde de se retrouver du jour au lendemain jetés à la rue comme de vulgaires chiens galeux. Les prolétaires ont d’excellentes raisons de s’inquiéter de l’avenir qui leur est réservé ainsi que de celui qui se prépare pour leurs enfants.
La réapparition et l’extension de bidonvilles dans un alignement de caravanes et de tentes sur les quais ou sous les ponts des grandes villes sont là pour en attester ; le capitalisme impose une marche ininterrompue vers la misère.
Il est bien difficile, dès lors, de ne pas être ulcéré par les conditions de vie inhumaines dans lesquelles se débattent des franges toujours plus grandes d’hommes, de femmes, voire de familles entières, privés de logement.
Comment ne pas être révolté contre un système qui laisse mourir ses esclaves parce qu’il est, de plus en plus, incapable de fournir le strict minimum pour assurer leur survie ?
Evidemment, la bourgeoisie (soucieuse de la conservation des bases sur lesquelles repose son monde) ne peut laisser l’indignation et la colère monter dans les rangs ouvriers.
Autant dire que l’arrivée sur la scène médiatique des Enfants de Don Quichotte au beau milieu du mois de décembre a été, pour elle, une occasion en or pour faire mine de « désamorcer » ce qu’il est convenu d’appeler désormais la crise du logement.
En effet, avec une rapidité fulgurante l’association des Don Quichotte, fraîchement mise sur pattes par la famille Legrand, est devenue le défenseur n°1 des sans-abri après l’installation d’un campement de 250 tentes le long du Canal Saint Martin à Paris. Le fils de cette sainte famille, Augustin, « le grand frère des pauvres », nouvelle coqueluche des médias habillée par ces derniers en Abbé Pierre collection hiver 2006/2007, s’explique : « Je me suis dis, je vais organiser une révolution pour leurs donner [aux SDF] la possibilité de s’exprimer et faire venir des bien-logés pour manifester »… « on s’est dit que si des milliers de personnes campaient dans la rue, le gouvernement serait bien obligé d’agir. »
En voilà une drôle de révolution où il faut s’agenouiller et supplier le gouvernement de ceux qui nous exploitent pour que cesse la misère !
Quoi qu’il en soit, on ne devient jamais superstar sur un simple mal entendu… ça se mérite ! De ce point de vue, il faut bien dire que le discours de la famille Legrand a constitué un savoureux pain béni pour la classe dominante.
Pourquoi avoir choisi la célèbre figure de Don Quichotte ? Est-ce parce qu’il s’agit du « combat de l’impossible » ? Pas tout à fait puisque Augustin Legrand n’a eu de cesse d’invoquer les grands principes de la démocratie et de ses droits : « je suis fier d’être Français parce qu’on a les Droits de l’Homme avec nous. » Extraordinaire espoir !
Ainsi, la messe est dite. Plus besoin finalement d’aller faire la révolution, le capitalisme se suffit à lui-même… il n’y a plus qu’à mettre un peu d’huile de coude, de la bonne volonté pour faire appliquer la loi, les droits et voilà le tour est joué… Don Quichotte est devenu Merlin l’Enchanteur.
« Le capitalisme ne peut tenir qu’une seule promesse : l’extension de la misère »
Evidemment, l’irruption de la question du logement en pleine campagne présidentielle a également conduit la plupart des partis bourgeois (montés sur leur poulain, pouliche, ou vieille carne respectivement) à se bousculer et jouer des coudes pour signer la Charte du Canal Saint Martin pour l’accès de tous à un logement dans un grand élan… d’hypocrisie.
Ainsi, Nicolas Sarkozy (empruntant à Jospin la formule du « zéro SDF ») a promis, lors de son déplacement à Charleville-Mézières le 19 décembre, que « plus personne ne sera obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid » (à condition qu’il soit élu) car « le droit à l’hébergement est une obligation humaine » (toujours à la même condition !). De son côté Ségolène Royal, qui promet elle aussi monts et merveilles aux mal logés, déclare dans une envolée lyrique « que la grande pauvreté existe encore dans un pays comme le nôtre, voilà le scandale ». Bayrou, Besancenot, Hollande, Boutin, Buffet… les uns après les autres, sont venus souffler dans les voiles du moulin à promesses en signant la Charte des Don Quichotte et par là répondre à l’inquiétude grandissante des ouvriers leur faisant croire que la solution pour demain est contenue dans le système capitaliste lui-même.
Plus fort, le gouvernement Villepin (poussé par les voeux du président) est allé jusqu’à donner dans le concret en annonçant l’adoption prochaine d’une loi faisant du « droit au logement », inscrit dans la constitution de 1946, un droit « opposable ». Xavier Emmanuelli, membre du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, chargé de la rédaction du fameux projet de loi explicite ce charabia juridique : « Le droit au logement opposable consiste à mettre le citoyen en situation de s’adresser à une autorité responsable et à lui ouvrir des voies de recours. »
En somme, « si tu n’as plus de logement, fait appel à la Justice pour qu’elle te trouve un toit ».
La classe ouvrière vient donc de gagner le droit de se plaindre (ou d’aller se faire voir, c’est quif quif)… belle affaire !
Désormais, le droit au logement sera « opposable » au même titre que le droit aux soins, nous dit-on triomphalement. Mais lorsque l’on jette un oeil sur la politique de santé menée depuis quelques années (déremboursement des médicaments, sous effectifs et suppressions de lits dans les hôpitaux) on mesure mieux la valeur de cette nouvelle loi… à savoir, nettement moins qu’un pet de lapin.
Voilà ce que la bourgeoisie ose présenter comme une « victoire » et une « sortie de crise » pour les sans-abri et les mal logés. Et notre Don Quichotte national de se dire, au 13h de France 2 le 3 janvier, « très satisfait » des annonces de Villepin car « bien sûr c’est la loi qui va réinsérer ces gens là, on est en train de faire appliquer des mesures d’urgence qu’on peut appliquer très vite par décret de loi que le gouvernement va prendre et ça on est formel, ils vont le faire… c’est une question de Droit de l’Homme… »
» « Bien sûr »… dormez braves gens, l’Etat veille sur vous ! »
Ainsi, Augustin Legrand peut « héroïquement » faire lever le camp le 8 janvier. C’est fini, « Un changement radical de politique concernant les sans-abri…nous conduit à une sortie de crise immédiate »… « nous démarrons immédiatement le processus qui nous conduira à la fin de tous les campements ». « Et hop…circulez, plus rien à voir » ; « rentrez chez vous messieurs dames » ; « on a gagné, faut remballer ». Les SDF se regardent dubitatifs à l’annonce du patron des Don Quichotte… « partir ? oui, mais où ? ». Evidemment, rien n’a été réglé et les campements du Canal Saint Martin et d’ailleurs n’ont pas bougé d’un seul centimètre.
« La lutte du prolétariat possède le monopole…de l’avenir »
« Mes amis au secours… une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures sur le trottoir du boulevard Sébastopol… Chacun de nous peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain, 5000 couvertures, 300 grandes tentes… Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse, ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris. Merci. » Cet appel aurait très bien pu être celui des Don Quichotte de 2007 mais ce n’est pas le cas. Ici c’est l’Abbé Pierre qui donne de la voix et nous sommes le 1er février 1954. Cinquante ans plus tard, il y a comme un goût de déjà vu et pourtant ce n’est pas la guerre qui est venue cette fois balayer les hommes et leurs logements. Il faut dire que la faillite du capitalisme a plus d’un tour dans son sac pour anéantir la vie. Ainsi, le retour de la crise économique depuis la fin des années 1960 (après un bref instant de répit) n’a cessé de répandre la misère à travers le monde. A ce jour, la France compte 7 millions de travailleurs pauvres, 3 millions de sans abris dont 30% ont un boulot mais cherchent pourtant soir après soir un endroit où dormir …
L’idée donquichottesque selon laquelle « les moyens existent » pour « un plan Marshall d’éradication de la pauvreté » est dans le meilleur des cas une chimère.
Ne pas voir la réalité de ce monde mais le fantasmer tel qu’il ne sera jamais est exactement l’effet que la bourgeoisie cherche à produire sur les cerveaux ouvriers pour qu’ils oublient leur révolte et s’éloignent de la tentation révolutionnaire.
Les enfants de Don Quichotte et après eux (pourquoi pas ?) les petits-enfants d’Emile Zola, avec leurs suppliques adressées à l’Etat, ne peuvent rien pour sauver les indigents toujours plus nombreux dans ce monde…à part donner l’occasion à la classe dominante de nous bercer d’illusions.
Seuls les fils d’Octobre 1917 portent avec eux l’espoir d’en finir avec la misère, parce qu’ils portent en eux la perspective d’un autre monde, celui du communisme.