L’accès au logement, le côté obscur du mythe grenoblois
Pendant deux ans, j’ai squatté à grenoble. Je me suis entendue dire que j’empêchais la construction de logements sociaux (1). Que mon mode de vie était un choix pseudo-contestataire. Que je n’étais qu’une petite bourgeoise qui choisissait une précarité pour se donner des frissons.Que je pouvais bien faire comme tout le monde, c’est à dire payer un loyer à un-e propriétaire. Que les « vrai-e-s pauvres » y arrivaient bien alors que moi, » fausse prol’ » je pouvais bien y arriver…
Aujourd’hui, je cherche à nouveau un appartement à louer, parce que j’ai plus ou moins choisi de faire une pause et d’arrêter de squatter. Au lieu de « m’assagir » comme certain-e-s auraient pu l’espérer, j’ai au contraire plus que jamais le sentiment que payer un loyer est un racket impossible à remettre en question. Qu’il n’y a rien à attendre des politicien-ne-s pour régler la « crise du logement ». Et que le squat peut être une solution sans être une fin en soi.
Je discute avec des gens autour de moi qui ont cherché un appartement il y a deux ou trois ans. J’entends dire qu’il y a bien peu de temps c’était « moins pire ». Que là, on atteint des sommets au niveau des exigences des agences et des propriétaires. « Non, pas de colocataires, pas de Rmistes, pas d’étudiants », pas de noms qui ne sonnent pas bien français. « On vous rappelle, notre assurance va calculer si vos revenus sont suffisants ». « Non, le/la propriétaire ne veut pas de colocation… Ah bon vous êtes un couple (2), alors votre dossier est retenu parmi trois autres et le/la propriétaire choisira. » J’imagine les proprios ricanant assis-es sur leurs titres de propriété. Leurs dents rayent le parquet, illes vont bientôt être encore plus riches, des milliers d’ingénieur-e-s sont attendu-e-s à Grenoble grâce à la fantastique expansion des nano et bio technologies.
Grenoble, ville d’exception et d’innovation. Contexte unique, ville pilote… où la majorité de la population est sacrifiée au rêve de gloire internationale d’une poignée de politicien-ne-s et de chercheur-e-s (3). Droite gauche même combat, aucune contestation n’est légitime. Elle ne peut être que le fait de « radicaux extrémistes » qui ne comprennent rien au contexte actuel. Qui ne comprennent pas que la lutte des classes, c’est dépassé. Que pour les pauvres, des logements sociaux sont bien suffisants. Même s’il n’y en a pas assez (4). Même s’ils sont conçus par des architectes qui bien évidement ne vivront jamais dedans. Même s’il faut attendre 2 à 3 ans pour y avoir accès et beaucoup moins pour en être expulsé-e en cas de difficultés financières. Si l’on fait le lien entre la dégradation de l’accès au logement à Grenoble et le développement de Crolles 2 (5) ou Minatec (6), on se fait traiter d' »obscurantistes ». On est contre la Science. Contre le Progrès. Mais comment ne pas faire le lien, vue la discrimination à l’accès au logement, vue l’augmentation constante du prix des loyers? (7) Si je ne suis ni étudiante, ni chômeuse, ni pauvre, qui suis-je ? Le profil idéal : le/la jeune cadre dynamique, le/ la jeune chercheur-e.
Naïvement, je me demande comment les gens arrivent (ou plutôt n’arrivent pas) à se loger. Combien de situations tragiques sont vécues et invisibilisées par des dirigeant-e-s qui se gargarisent de l’avenir radieux de leur belle cité. C’est toute cette hypocrisie qui me fait dire qu’attendre une solution des élu-e-s ou de l’Etat est un leurre. Que cette situation n’est pas nouvelle, qu’elle a été favorisée par des décisions politiques qui ont un sens et des répercussions très concrètes selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Des lois de réquisition des bâtiments vides existent depuis déjà longtemps et n’ont jamais été appliquées. Des expulsions locatives de familles ont lieu en plein hiver sans relogement (8). Des associations qui luttent avec des personnes précaires sont sans subventions ou sans locaux (9). Deux faces d’une même réalité politique. L’une portée en triomphe, relayée par les médias locaux et municipaux (10), l’autre invisibilisée la plupart du temps, sauf lors de campagnes démagogiques dont le but est à la fois de se donner bonne conscience et de redorer le blason (11).
Je ne suis pas obscurantiste. Je ne suis pas non plus réductible à une image de « dangeureuse extrémiste radicale » qu’on agite pour détourner l’attention et ne pas répondre aux critiques.(12) Je réfléchis et je prends position. Ma pensée est complexe, n’en déplaise à certain-e-s qui la caricaturent.Je construis ma réflexion au contact de situations vécues et avec les personnes que je côtoie.Je ne suis pas toujours d’accord et je le dis. J’ai envie d’autre chose que tout ce que l’on pense être bon pour moi et plus largement pour la « masse ». Je me permets de critiquer alors que je ne suis « rien », ou plutôt ni politicienne, ni spécialiste, ni entrepreneuse… Je retourne le mépris que je perçois à mon égard quand on simplifie ma pensée et mes pratiques parce qu’elles ne vont pas dans le sens du poil de quelques dominant-e-s. Et j’espère continuer à le faire encore longtemps, quelle que soit ma situation, squatteuse, locataire, étudiante, chômeuse ou autre.
Une future ex-squatteuse, grenoble, juin 2004.
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Notes :
(1) Le maire communiste de St Martin d’hères, René Proby, a rendu public il y a quelques semaines que contrairement à ce que la mairie avait toujours annoncé, il n’y aurait pas de logements sociaux à la place du squat la Charade, expulsé il y a un an et rasé il y a peu. Sans commentaire… Voir l’article sur http://squat.net/fr/news/grenoblesmh100604.html
(2) Si tu as la « chance » de chercher un appartement en colocation, ce petit mensonge ne te coûtera pas grand-chose et t’ouvrira toutes les portes. Attention, cet argument marche uniquement pour un couple hétérosexuel…
(3) A ce propos, il est intéressant de constater les liens très étroits existant entre les politiciens, les chercheurs et les universitaires. Pour mémoire, Michel Destot, actuel maire PS de Grenoble est un ancien chercheur du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique).
(4) 17 communes de l’agglomération grenobloise sont en dessous du seuil de 20% de logements sociaux soit plus de 5000 logements manquants.(livre blanc du logement en Isère).
(5) Méga projet industriel de hautes technologies, le plus gros investissement industriel public depuis les centrales nucléaires.
(6) pôle européen de recherche publique sur les micro et nano technologies. Pour plus d’infos, Voir le site de « pièces et main d’oeuvre » http://pmo.erreur404.org/PMOtotale.htm
(7) hausse des loyers de 3,8% en 2002. (livre blanc du logement en Isère)
(8) lors d’un appel téléphonique à la préfecture afin de savoir si le squat de la Flibustière allait être expulsé bientôt, une employée nous a répondu que la préfecture ne se gênait pas pour expulser des locataires sans respecter la trêve d’hiver, alors des squatteureuses encore moins…
(9) c’est le cas de l’association grenobloise « Femmes évasion », qui lutte avec des femmes précaires depuis de nombreuses années. Elles se sont vues supprimer ces derniers mois leurs subventions dans leur quasi totalité mais aussi les 2 ou 3 appartements qui leur permettaient un hébergement d’urgence pour les femmes battues quittant leur foyer.
(10) Voir les articles plus qu’élogieux du Dauphiné Libéré, journal local grenoblois tout acquis au nano et bio technologies. Voir aussi les « Nouvelles de Grenoble » et « Métroscope », véritables outils de propagande de la mairie de Grenoble et de la Metro, la communauté de commune de l’agglomération grenobloise.
(11) Telles que les « Assises sociales du logement »qui ont eu lieu cet hiver à Alpexpo. Voir deux articles sur indymedia Nantes http://nantes.indymedia.org/article.php3?id_article=2665et squat!net http://squat.net/fr/news/grenoble220204.html
(12) Voir à ce propos « une petite analyse des communiqués des autorités grenobloise pendant l’expulsion du parc Paul Mistral » disponible sur http://infokiosques.net
une future ex-squatteuse