Du 30 novembre au 2 décembre, l’Huilerie Occupée a acceuilli la troisième rencontre du réseau intersquat francophone.
L’Huilerie Occupée, c’est un squat à Marseille, ouvert depuis près de deux ans. Espace de vie, de débats et de rencontres, c’est aussi un lieu d’activités, par le biais de ses ateliers vélo, vidéo, de son labo photo, de son infokiosk, de sa salle de concert/débats/auberge espagnole ou encore de son garage mécanique. Menacé-e-s d’expulsion suite à une décision de tribunal, les habitant-e-s et autres impliqué-e-s ont choisi de se défendre et de refuser la logique d’expulsion, en maintenant l’occupation et en sécurisant l’espace contre les attaques policières.
L’intersquat francophone, c’est un réseau relativement informel de squatteurs, de squatteuses et de sympathisant-e-s. Qu’ilelles vivent dans les squats, s’y impliquent ou mènent des luttes qui les rejoignent, les participant-e-s se sont jusqu’ici donné l’occasion, par ces rencontres, de rompre l’isolement géographique et les limites de la communication virtuelle pour se rencontrer, s’informer, confronter des points de vue et réfléchir ensemble sur nombre de questions qu’amènent leurs diverses pratiques.
Le but de ce troisième épisode était notamment d’approfondir la question de l’identité de cette intersquat, ou plutôt de définir ce que toutes ces personnes, fortes de pratiques, de cultures militantes et d’environnements différents pouvaient espérer réaliser ensemble. Egalement au programme : la question de la légalisation ainsi que celle de la résistance à une expulsion, agrémentées d’ateliers & d’échanges de savoirs. Cependant, on ne retiendra pas de grande avancée organisationnelle, théorique ou même pratique de cette intersquat, tant l’objet premier de la rencontre fut escamoté par la nécessité de répondre à des situations d’urgence, et tant les modes d’organisations, les cultures de parole des un-e-s et des autres différaient.
Ceci est donc un bref résumé de ce qui s’est déroulé pendant quelques jours, qui n’a pas pour but d’être un compte-rendu de l’intersquat ou une prise de position personnelle sur cette dernière, mais plutôt un rapport factuel des principaux événements, mis dans leur contexte.
Vendredi 30 novembre
Pour certain-e-s, c’est l’occasion de découvrir un squat énorme, constitué de différents bâtiments. Une aile d’anciens logements ouvriers, réservée à l’habitation ; un garage notamment utilisé pour des ateliers de réparation et pour le stationnement de camions, entre autres ateliers ; un hangar utilisé comme salle de « spectacles », auberge, bar, ou lieu de réunion ; un bâtiment principal abritant une cuisine et une salle collectives, uni nfokiosk, un bureau, une salle vidéo, une salle enfants, une salle « artistique », un sleep in, un labo photo et sérigraphie, une bibliothèque, entre autres espaces plus ou moins définis… sans oublier une large terrasse ensoleillée, située entre les différents bâtiments.
Au gré des arrivées, des discussions et rencontres informelles se créent, et une première assemblée générale a lieu le soir, pour définir les envies des divers-es participant-e-s. Malgré l’echec relatif d’arriver à une organisation concluante, il apparaît que des gens d’endroits fort divers sont présents : squats de Lille, de Grenoble, de Lyon, de Dijon, de Toulouse, de St-Etienne, de la Vieille Valette, de Rennes, ainsi que bien d’autres personnes plus mobiles. A noter qu’en contribution aux débats, les squatteureuses de Lille proposent un numéro de leur publication « La Monseigneur », consacré à la question de la légalisation des squats (disponible à prix libre chez les ImpôtsteurEs, 28bis rue de Trévise, 59000 Lille).
Samedi 1er décembre
Le gros de la journée est consacré à la réalisation d’une action contre la marchandise. En milieu d’après-midi, un cortège un peu spécial part de l’Huilerie, pour se diriger vers le centre de Marseille. Il compte plus d’une soixantaine de personnes, déguisées pour la plupart, poussant un bien curieux navire, monté sur roulettes pour l’occasion. Il s’agit d’une barque anticapitaliste, avec à son bord divers vêtements destinés à saper le processus marchand. Un bateau-fripe à drapeau pirate et à pancartes pour montrer qu’il est possible de donner, de pratiquer la gratuité. Le cortège est l’occasion de quelques slogans, de distributions de tracts et de poses de journaux muraux contre la guerre. Arrivé dans une artère commerciale (rue St-Ferréol), le convoi s’immobilise un moment, et les passant-e-s sont encouragé-e-s à se fournir en vêtements gratuits. Ceux-ci ont tous été préalablement marqués de slogans appropriés : « travaille, achete, consomme et meurs », « occupons des maisons vides », « insoumission, pillage et sabotage », etc. Beaucoup de gens s’arrêtent et prennent quelques fripes. Des flics s’excitent quand partent quelques pétards et fumigènes, mais n’entreprennent rien. Le cortège repart, pour finalement se planter en travers d’une grande voie commerciale de Marseille : la rue Estelle. Une banderole « foire de la gratuité » est déployée, et les manifestant-e-s se dispersent, laissant sur place leur « matériel ». Quelques consommateurs énervés jouent du klaxon, et des flics en civil un peu surpris suivent le groupe avec leurs talkies.
L’action est un vécue comme un relatif succès par pas mal de monde, car dynamique, assez bien perçue par des passant-e-s et un peu rebondissante.
De retour à l’Huilerie, se prépare le concert du soir. Un groupe de punk/hardcore de Grenoble (Chicken Calls) ainsi qu’un groupe ska de Marseille (Magadocks) proposeront à prix libre un moment musical, qui se veut surtout l’occasion de rencontres et d’échanges. Au moins deux-cent personnes sont présentes.
Le concert se poursuit tard, et le bruit attire la flicaille, qui fait vite d’un tapage nocture une occasion de se mettre quelques squatteurs sous la dent. En effet, l’équipe de police qui arrive s’en prend violemment aux personnes présentes devant le lieu. Vu l’heure et le contexte, la situation s’envenime rapidemment. Quelques coups de matraques éclatent joues, bras et têtes, et trois flics se prennent du gaz lacrymogène dans la figure. Ce sera le pretexte à une démesure et à un déchaînement de violence exemplaires de leur part. En quelques secondes, le boulevard est bouclé, et les voitures de police accourent de toutes part. Une ambulance et un camion de pompier sont sur place, bientôt rejoints par cinq vans de CRS ! Des policiers de la BAC hurlent (« on va tous vous crever », « on va vous faire sortir ») en braquant leurs « flashballs » sur les gens aux fenêtres, et d’autres entraînent leurs chiens vers l’entrée, qui est vite encerclée. Craignant un carnage si les flics parvenaient à rentrer, les occupant-e-s barricadent vite les portes du squat.
Appelé par téléphone alors que la situation devenait tendue, un sympathisant du lieu arrive en vélo. Cible facile, car tout le monde s’est enfermé à l’intérieur. Les flics lui sautent dessus, le traînent sous un camion et le tabassent, jusqu’à lui casser un bras. D’autres tirent quelques balles en caoutchouc en direction des voix d’indignation qui s’élèvent.
Les CRS fraichement débarqués tentent alors d’enfoncer les portes du squat, sans succès. A ce moment là, il semble clair que le pretexte est bon pour anticiper de quelques semaines une expulsion qui les fait sans aucun doute saliver. Il est trois heures passées. Bredouilles, les CRS repartent, laissant sur place plusieurs effectifs de police, qui encercleront le lieu jusqu’à près de 5 heures du matin.
A l’intérieur, des gens s’impatientent et veulent sortir. Que faire, dès lors que les flics n’attendent qu’une occasion pour rentrer, et promettent de sauter sur la première personne sortant du squat ? Les autres sympathisant-e-s arrivé-e-s sur les lieux, si elles/ils ne se sont pas fait-e-s tabasser, ont tout de même eu droit à une fouille complète, plaqué-e-s contre la porte métallique du bâtiment.
La situation se détend quand la police finit par lever le camp. Cependant, des policiers restent postés aux extrémités du boulevard, dans l’espoir de faire d’autres captures.
Dimanche 2 décembre
On apprend que la personne interpellée a été emmenée à l’hôpital pour être opérée (bras cassé), puis ramenée en garde à vue. Pendant la garde à vue, elle subira divers interrogatoires, de la part de plusieurs services de police.
Du côté du squat tentent de s’organiser quelques réactions rapides. Un premier communiqué est publié sur Indymedia et autres réseaux militants, pendant que quelques contacts sont pris avec la presse institutionnelle et des avocats. La police refuse catégoriquement de livrer quelque information quant au camarade arrêté, et les appels de pression au commissariat se multiplient.
La sécurisation du lieu se poursuit (barricades), tant l’attaque de la veille laisse présager de nouvelles actions de la police dans de très brefs délais. En somme, il reste peu de place pour les questionnements relatifs à l’intersquat, qui se fait entreprise de soutien pour l’occasion.
Autant dire que l’ambiance n’est pas très « détente ». Les activités prévues initialement (atelier graf + musiques électroniques) sont annulées.
Lundi 3 décembre
L’expulsion redoutée n’a pas eu lieu. Il semble que les flics se soient plus laissés aller à des pulsions vangeresses spontanées qu’à un acte prémédité samedi soir, et qu’ils préfèrent désormais attendre la date d’expulsion légale.
Vers 12h, des agent-e-s de la « Brigade des Violences Urbaines » s’invitent au squat, profitant d’une ouverture de la porte pour rentrer. Aussitôt reconduits sur le trottoir, ils laissent entendre qu’ils sont à la recherche de personnes dont ils ont la « signalisation », par rapport aux incidents de samedi.
Le camarade interpellé n’a toujours pas été relâché. Un nouveau communiqué est réalisé, ainsi qu’une lettre de protestation à faire parvenir aux autorités marseillaises. Un rassemblement de soutien est organisé devant la préfecture, pendant lequel des tracts sont distribués. Le gardé-à-vue sort finalement de cellule vers 17 heures, avec une convocation au tribunal pour « rebellion », le 1ier février.
Entre temps, sont parus quelques articles dans la presse, à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre, puisque les communiqués des flics y sont généralement rois : « La Provence », qui titre « intervention musclée au squat de l’Huilerie » évoque des « affrontements ravers-police » (!), « La Marseillaise » revient plus en détail sur l’action de l’après-midi, et une brève de quelques lignes dans Libé fait état de cinq blessés, soit quatre policiers et un squatteur (hum).
Enfin, l’intersquat se disperse, certain-e-s restant sur place pour continuer le soutien, d’autres s’en retournant par chez eux.
Quelques infos supplémentaires :
– L’expiration du délai de l’Huilerie Occupée aura lieu le 8 décembre. De source policière, l’expulsion aura lieu entre le 8 et le 12 décembre. Les soutiens physiques (ou autres) sont les bienvenus.
– Cependant, le squat est censé légalement bénéficier de la trêve d’hiver (article 613-3 du Code de la contruction et de l’Habitation). Reste à savoir si la préfecture se permettra ou non de violer cette règle…
– Une plainte contre la police a été déposée par l’interpellé. Le centre d’observations des violences policières se joint à sa plainte.
– Un document vidéo a été réalisé à partir d’images prises lors de l’attaque de la police samedi soir. Il a d’ores et déjà été diffusé publiquement, et le sera à nouveau dans différents lieux ces prochains jours à Marseille.
– Plus d’infos sur l’Huilerie Occupée sur internet : http://squat.net/huilerie – Vous êtes vivement encouragé-e-s à manifester votre solidarité contre l’expulsion en faisant pression auprès des autorités. Pour ce faire, une lettre-type est disponible ci-dessous, ainsi que les contacts nécessaires.
Lettre-type :
A faire parvenir à…
Mairie centrale de Marseille,
Quai port, 13002 Marseille
tel : 04.91.55.11.11
fax : 04.91.55.44.42
Mairie 1er et 7e arrondissement,
125 La Canebière, 13001 Marseille
tel : 04.91.14.54.10
fax : 04.91.14.54.11
Procureur de la République,
Palais de Justice,
6 place Moutyou, 13006 Marseille
fax : 04.91.15.56.80
Préfecture de la region PACA et Bouches du Rhône,
Place Félix Baret, 13006 Marseille
tel : 04.91.15.60.00
fax : 04.91.53.15.40
Monsieur/madame,
Cette lettre a pour but de protester contre les graves faits de brutalité policière survenus samedi soir à l’Huilerie Occupée. Je soutiens également les initiatives de cet espace collectif d’habitation et d’activités, et refuse de le voir expulser.
Samedi 2 décembre, lors d’un concert public à l’Huilerie Occupée, une brigade de police est intervenue avec violence (faisant des blessures ouvertes au visage chez trois personnes, cassant un bras chez une autre), pour ensuite essayer d’expulser le lieu, en toute illégalité. Arrêté arbitrairement alors qu’il arrivait sur les lieux, Thierry L. s’est fait casser un bras et mettre en garde-à-vue. Il est aujourd’hui poursuivi pour « rebellion ».
J’exige l’abandon des poursuites contre Thierry L. Il est scandaleux que s’ajoute a ses blessures une inculpation que rien ne peut justifier. Je proteste également contre les manoeuvres d’intimidation et la tentative d’expulsion illégale (le lieu ne peut être expulsé pendant la trêve hivernale).
Je tiens ainsi à vous faire part de ma vigilance.
darkveggy